Conseil d'État, Juge des référés, 06/04/2020, 439099, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, Juge des référés, 06/04/2020, 439099, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - Juge des référés
- N° 439099
- ECLI:FR:CEORD:2020:439099.20200406
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
lundi
06 avril 2020
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de l'accueillir avec sa fille dans un logement d'urgence ou tout autre type de logement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1907091 du 29 octobre 2019, le du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a enjoint à la Préfecture de la Haute-Savoie de procurer dans un délai de 48 heures un hébergement à Mme B..., sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de procéder à la liquidation de l'astreinte mise à la charge de l'Etat par l'ordonnance n° 1907091 du 29 octobre 2019 et à ce que le montant de l'astreinte soit porté à 300 euros par jour et, d'autre part, de condamner l'Etat à payer les factures de ses précédents hébergements et de prendre en charge son hébergement dans une résidence hôtelière de Thonon. Par une ordonnance n° 2000127 du 13 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
I - Sous le n° 439099, par une requête, enregistrée le 25 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 13 février 2020 ;
2°) de faire droit à ses demandes de première instance.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'engagement de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 522-1 du code de justice administrative n'a pas été suivi de la tenue d'une audience publique ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle se fonde, pour refuser de prononcer la liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance du 29 octobre 2019, sur l'exécution de celle-ci ;
- elle est entachée d'une dénaturation des pièces du dossier dès lors que la preuve de ce qu'une proposition d'hébergement lui aurait été adressée le 7 janvier 2020 et qu'elle l'aurait refusée ne figurent pas dans la procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2020, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête. Elle soutient, en premier lieu, que la requête est irrecevable dès lors que, contrairement aux demandes d'hébergement d'urgence, l'exécution du dispositif du droit à l'hébergement opposable ne peut être demandée au juge administratif sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, eu égard aux dispositions spécifiques de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, en deuxième lieu, que l'ordonnance du 29 octobre 2019 est entachée d'une erreur de droit et, en dernier lieu, que Mme B... a fait l'objet d'une proposition d'hébergement qu'elle a refusée.
La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé, qui n'a pas produit de mémoire.
II - Sous le n° 439579, par une requête, enregistrée le 16 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 29 octobre 2019 ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance présentées par Mme B....
Elle soutient que :
- sa requête d'appel est recevable et n'est entachée d'aucune tardiveté dès lors que l'ordonnance attaquée ne lui a pas été notifiée ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit pour ne pas avoir rejeté les conclusions de la requête de première instance comme manifestement irrecevables ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le calcul de l'astreinte prononcée n'a pas été fondé sur les mentions obligatoires visées à l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation.
La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas produit de mémoire.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., d'autre part, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 2 avril 2020 à 15 heures :
- Me de Chaisemartin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Mme B... ;
- la représentante de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 3 avril 2020 à 18 heures.
Vu le nouveau mémoire et les pièces nouvelles, enregistrés le 3 avril 2020, produits par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes présentent à juger des mêmes questions. Il y a lieu d'y statuer par une seule ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
3. Mme B... a été désignée comme prioritaire et devant être accueillie en urgence avec sa fille dans une structure d'hébergement, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale par une décision du 14 mars 2019 de la commission de médiation de Haute-Savoie. Par un jugement n° 1904445 du 4 septembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a, sur le fondement de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation, enjoint au préfet de la Haute-Savoie d'assurer l'hébergement de Mme B.... Par une ordonnance n° 1907091 du 29 octobre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a, d'une part, constaté la non-exécution du jugement du 4 septembre 2019 et, d'autre part, prononcé à l'encontre du préfet de la Haute-Savoie une injonction de procurer à la requérante un hébergement dans un délai de 48 heures, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une requête enregistrée le 6 décembre 2019, Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de procéder à la liquidation de cette astreinte et, d'autre part, de condamner l'Etat à payer les factures de ses précédents hébergements et de prendre en charge son hébergement dans une résidence hôtelière de Thonon. Par une ordonnance n° 2000127 du 13 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. D'une part, par une requête n° 439099, Mme B... fait appel de l'ordonnance du 13 février 2020. D'autre part, par une requête n° 439579, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales fait appel de l'ordonnance du 29 octobre 2019.
Sur la requête n° 439579 de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales :
4. Aux termes du II de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation : " II. Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être accueilli dans une structure d'hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale et qui n'a pas été accueilli, dans un délai fixé par décret, dans l'une de ces structures peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son accueil dans une structure d'hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale. / (...) Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne, lorsqu'il constate que la demande a été reconnue prioritaire par la commission de médiation et que n'a pas été proposée au demandeur une place dans une structure d'hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale, ordonne l'accueil dans l'une de ces structures et peut assortir son injonction d'une astreinte./ (...) Le montant de cette astreinte est déterminé en fonction du coût moyen du type d'hébergement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation. / Le produit de l'astreinte est versé au fonds national d'accompagnement vers et dans le logement, institué en application de l'article L. 300-2. ". Ces dispositions, par lesquelles le législateur a ouvert aux personnes déclarées prioritaires pour l'accueil dans une structure d'hébergement un recours spécial en vue de rendre effectif leur droit à l'hébergement, définissent la seule voie de droit ouverte devant la juridiction administrative afin d'obtenir l'exécution d'une décision de la commission de médiation. Par suite, ces personnes ne sont pas recevables à agir à cette fin sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toutefois, dans l'hypothèse où un jugement de tribunal administratif qui a, sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation, ordonné l'accueil du demandeur reconnu prioritaire dans l'une des structures d'hébergement mentionnées par ces dispositions, demeure inexécuté, les dispositions des articles L. 345-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles permettent à l'intéressé de solliciter le bénéfice de l'hébergement d'urgence. Le demandeur peut, s'il s'y croit fondé, saisir le juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de prendre toutes mesures afin d'assurer cet hébergement dans les plus brefs délais. Une carence caractérisée dans la mise en oeuvre du droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose au sein du département concerné ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
5. Il suit de là que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a fait droit aux conclusions que Mme B... avait présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lesquelles devant être interprétées comme tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de mettre à sa disposition un hébergement d'urgence afin de remédier à la grave situation dans laquelle elle-même et sa fille se trouvent.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales doit être rejetée.
Sur la requête n° 439099 de Mme B... :
7. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable, ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée, sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". Aux termes de l'article L. 523-1 dudit code : " Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L. 521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort. Les décisions rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification (...) ".
8. Pour les pouvoirs qu'il tient des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés dispose des deux procédures prévues respectivement aux articles L. 522-1 et L. 522-3 du même code. La procédure prévue à l'article L. 522-1 est caractérisée à la fois par une instruction contradictoire entre les parties, engagée par la communication de la demande au défendeur, et par une audience publique. La procédure prévue à l'article L. 522-3, qui ne peut être utilisée que s'il apparaît au vu de la demande que celle-ci encourt un rejet pour l'une des raisons énoncées par cet article, ne comporte ni cette communication ni cette audience. Ces deux procédures sont dès lors distinctes. Au demeurant, dans le cas où la demande est présentée sur le fondement de l'article L. 521-2, les voies de recours diffèrent selon que la procédure suivie est celle de l'article L. 522-1 ou celle de l'article L. 522-3. Il suit de là que lorsque, au vu de la demande dont il était saisi, le juge des référés a estimé qu'il y avait lieu, non de la rejeter en l'état pour l'une des raisons mentionnées à l'article L. 522-3, mais d'engager la procédure de l'article L. 522-1, il lui incombe de poursuivre cette procédure et, notamment, de tenir une audience publique.
9. Il résulte de l'instruction que, saisi d'une demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir, dans les conditions prévues à l'article L. 522-1, communiqué la requête au défendeur, a rejeté la demande comme manifestement infondée, en se fondant sur l'article L. 522-3 et sans tenir d'audience publique. Il suit de là que l'ordonnance attaquée du 13 février 2020 a été prise à la suite d'une procédure irrégulière et doit être annulée.
10. Il y lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur le référé présenté par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble.
11. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment des nouvelles pièces versées au dossier par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, qu'un hébergement a été proposé à Mme B... le 7 janvier 2020 au CHRS La Passerelle. Malgré les relances de l'administration, la proposition n'a pas abouti, Mme B... faisant cependant valoir qu'elle n'a pas entendu refuser une proposition d'hébergement pérenne. S'il appartient toujours au préfet d'assurer l'exécution de l'ordonnance du 4 septembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard aux diligences déjà accomplies par le préfet, de prononcer la liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance du 29 octobre 2019.
12. D'autre part, les demandes de Mme B... tendant à la condamnation de l'Etat à la prise en charge des coûts de ses précédents hébergements et de son hébergement dans une résidence hôtelière de Thonon, qui sont sans lien avec la liquidation de l'astreinte et relèvent au demeurant d'un litige distinct, ne peuvent qu'être rejetées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme B... doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête n° 439579 de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est rejetée.
Article 2 : L'ordonnance n° 2000127 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 13 février 2020 est annulée.
Article 3: La requête présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la ministre de cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales à Mme A... B....