Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 27/03/2020, 429549

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009, 2010 et 2011, du complément de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes et, à titre subsidiaire, de prononcer la restitution des prélèvements sociaux d'un montant total de 1 026 073 euros qu'ils ont acquittés par voie de prélèvement à la source au titre des années 2010, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1519840 du 3 mai 2017, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'une somme totale de 408 553,83 euros ayant donné lieu à un dégrèvement en cours d'instance, accordé à M. et Mme A... la décharge d'une somme de 40 746 euros au titre des prélèvements sociaux et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Par un arrêt n° 17PA02278 du 7 février 2019, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. et Mme A..., prononcé un non-lieu à statuer à concurrence des pénalités dont ont été assorties les cotisations supplémentaires de contributions sociales établies au titre des années 2009 et 2011, qui ont fait l'objet d'un dégrèvement en cours d'instance, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 avril et 8 juillet 2019 et le 17 février 2020, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle à l'issue duquel l'administration a remis en cause l'exonération d'impôt sur le revenu dont ils bénéficiaient sur le fondement du II de l'article 163 bis B du code général des impôts, à raison des dividendes perçus, et, sur le fondement des 3 et 4 du III de l'article 150-0 A du même code, à raison d'une plus-value réalisée par M. A..., dans le cadre du plan d'épargne d'entreprise (PEE) dont il était titulaire en sa qualité de salarié de la société DNCA Finance. M. et Mme A... ont, en conséquence, été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2009, 2010 et 2011, ainsi qu'à un complément de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre de l'année 2011. Par un jugement du 3 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'une somme totale de 408 553,83 euros ayant donné lieu à un dégrèvement en cours d'instance, accordé à M. et Mme A... la décharge d'une somme de 40 746 euros et rejeté le surplus des conclusions de leur demande de décharge de ces impositions. Par un arrêt du 7 février 2019, contre lequel M. et Mme A... se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel des intéressés, prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'une somme de 37 222 euros dégrevée en cours d'instance, correspondant aux pénalités ayant assorti le rappel de contributions sociales au titre des années 2009 et 2011, et rejeté le surplus des conclusions de la requête. Les conclusions de ce pourvoi ont fait l'objet d'une admission par une décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 21 novembre 2019, en tant seulement qu'elles portent sur l'impôt sur le revenu et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

2. En vertu, d'une part, du I de l'article 163 bis B du code général des impôts, les sommes versées par l'entreprise en application d'un plan d'épargne constitué conformément aux dispositions du titre III du livre III de la troisième partie du code du travail sont exonérées de l'impôt sur le revenu établi au nom du salarié. En vertu du II du même article, les revenus des titres détenus dans un plan d'épargne mentionné au I sont également exonérés d'impôt sur le revenu s'ils sont réemployés dans ce plan et frappés de la même indisponibilité que les titres auxquels ils se rattachent et sont définitivement exonérés à l'expiration de la période d'indisponibilité correspondante. Aux termes du III de l'article 150-0 A du code général des impôts, relatif à l'imposition des gains nets retirés des cessions à titre onéreux des valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés : " Les dispositions du I ne s'appliquent pas : / (...) 3. Aux titres cédés dans le cadre de leur gestion par les fonds communs de placement, constitués en application des législations sur la participation des salariés aux résultats des entreprises et les plans d'épargne d'entreprise ainsi qu'aux rachats de parts de tels fonds ; / 4. A la cession des titres acquis dans le cadre de la législation sur la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et sur l'actionnariat des salariés, à la condition que ces titres revêtent la forme nominative et comportent la mention d'origine (...) ".

3. En vertu, d'autre part, des articles L. 3332-1 et suivants du code du travail, le plan d'épargne d'entreprise constitue un système d'épargne collectif ouvrant aux salariés de l'entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières. L'article L. 3332-10 du même code prévoit que les versements annuels d'un salarié sur un plan d'épargne d'entreprise ne peuvent excéder un quart de sa rémunération annuelle. Enfin, l'article L. 3332-15 prévoit que les sommes recueillies par un plan d'épargne d'entreprise sont affectées à l'acquisition de valeurs mobilières. Il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles qui les ont précédées avant leur codification en 2007, que les plans d'épargne d'entreprise ont pour principal objet l'acquisition, par les salariés de l'entreprise, de valeurs mobilières. Dès lors, le transfert, sur un plan d'épargne d'entreprise, de titres acquis antérieurement à sa constitution ne relève pas d'un fonctionnement conforme à cet objet.

4. Il résulte de la combinaison des dispositions du code du travail et de celles du code général des impôts mentionnées ci-dessus que ne peuvent bénéficier des mesures de faveur prévues par ces dernières dispositions les revenus de titres détenus dans un plan d'épargne d'entreprise dont la constitution, d'une part, et le fonctionnement, d'autre part, ne sont pas conformes aux dispositions des articles L. 3332-1 et suivants du code du travail. Dans l'hypothèse où un plan d'épargne d'entreprise a été constitué régulièrement, les versements effectués conformément à ces dispositions et les revenus et gains de cession des titres correspondants ouvrent droit aux exonérations prévues respectivement par le I et le II de l'article 163 bis B et par les 3 et 4 du III de l'article 150-0 A du code général des impôts, sans qu'y fasse obstacle le caractère éventuellement irrégulier d'autres versements effectués sur ce plan, qui n'en bénéficient pas.

5. Pour écarter le moyen soulevé par M. et Mme A..., tiré de ce que l'irrégularité correspondant au transfert sur le plan d'épargne d'entreprise de M. A..., le 30 juillet 2002, de 377 titres qu'il détenait antérieurement, n'était pas de nature à rendre le fonctionnement de ce plan irrégulier dans son ensemble, la cour s'est fondée sur la circonstance qu'à la date du 12 janvier 2004 à laquelle M. A... avait inscrit sur son plan les 102 titres qu'il a cédés le 28 juillet 2011 et qui ont donné lieu aux rectifications litigieuses, le compte fonctionnait irrégulièrement, dès lors qu'à cette date, les 377 titres transférés le 30 juillet 2002 y figuraient encore. En statuant ainsi et en en déduisant que l'administration était fondée à remettre en cause les exonérations des dividendes et de la plus-value de cession dont les requérants avaient bénéficié au titre des années 2009, 2010 et 2011, à raison des 102 titres cédés, alors que l'irrégularité du transfert des 377 titres sur le plan n'avait pas d'incidence sur l'appréciation de la régularité de son fonctionnement dans son ensemble ni sur le bénéfice de l'exonération afférente aux revenus tirés des 102 titres en cause, mais seulement sur les revenus procédant de ces 377 titres litigieux, la cour a commis une erreur de droit.

6. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il a statué sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009, 2010 et 2011, ainsi que sur le complément de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus établi au titre de l'année 2011 et sur les pénalités correspondantes.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 7 février 2019 est annulé en tant qu'il a statué sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. et Mme A... ont été assujettis au titre des années 2009, 2010 et 2011, sur le complément de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus établi au titre de l'année 2011 ainsi que sur les pénalités correspondantes.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... A... et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2020:429549.20200327
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