Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 16/03/2020, 434918, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et par un nouveau mémoire, enregistrés les 23 décembre 2019 et 13 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des centres commerciaux demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-795 du 26 juillet 2019 relatif à la faculté de suspension de la procédure d'autorisation d'exploitation commerciale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 752-1-2 du code de commerce.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du commerce ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Vaiss, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 752-1-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 157 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dispose que : " Le représentant de l'Etat dans le département peut suspendre par arrêté, après avis ou à la demande de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes signataires d'une convention d'opération de revitalisation de territoire mentionnée à l'article L. 303-2 du code de la construction et de l'habitation, l'enregistrement et l'examen en commission départementale d'aménagement commercial des demandes d'autorisation d'exploitation commerciale relatives aux projets mentionnés aux 1° à 5° et au 7° de l'article L. 752-1 du présent code dont l'implantation est prévue sur le territoire d'une ou plusieurs communes signataires de cette convention mais hors des secteurs d'intervention de l'opération. La décision du représentant de l'Etat dans le département est prise compte tenu des caractéristiques des projets et de l'analyse des données existantes sur la zone de chalandise, au regard notamment du niveau et de l'évolution des taux de logements vacants, de vacance commerciale et de chômage dans les centres-villes et les territoires concernés. / Le représentant de l'Etat dans le département peut également suspendre par arrêté, après avis ou à la demande du ou des établissements publics de coopération intercommunale et des communes concernés, l'enregistrement et l'examen en commission départementale d'aménagement commercial des demandes d'autorisation relatives aux projets mentionnés aux 1° à 5° et au 7° du même article L. 752-1 qui sont situés dans des communes qui n'ont pas signé la convention mais sont membres de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre signataire de la convention ou d'un établissement public de coopération intercommunale limitrophe de celui-ci, lorsque ces projets, compte tenu de leurs caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur leurs zones de chalandise, sont de nature à compromettre gravement les objectifs de l'opération, au regard notamment du niveau et de l'évolution des taux de logements vacants, de vacance commerciale et de chômage dans les centres-villes et les territoires concernés par ladite opération. Lorsque les demandes d'autorisation concernent des implantations sur le territoire d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre limitrophe situé dans un autre département, la mesure de suspension est prise par arrêté conjoint des représentants de l'Etat dans chacun des deux départements. / La suspension de l'enregistrement et de l'examen des demandes prévue aux deux premiers alinéas du présent article est d'une durée maximale de trois ans. Le représentant de l'Etat dans le département peut, le cas échéant, après avis de l'établissement public de coopération intercommunale et des communes signataires de la convention mentionnée à l'article L. 303-2 du code de la construction et de l'habitation, la proroger d'un an. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions et modalités d'application du présent article ".

3. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil national des centres commerciaux soutient que ces dispositions de l'article L. 752-1-2 du code de commerce méconnaissent la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles confèrent au représentant de l'Etat dans le département la possibilité de suspendre, pour une durée maximale de trois années, susceptible d'être prorogée pendant une année, l'enregistrement et l'examen par les commissions départementales d'aménagement commercial des demandes d'autorisation d'exploitation commerciale de projets de création ou d'extension des magasins de commerce de détail ou d'ensembles commerciaux excédant 1 000 m2 de surface de vente dont l'implantation est prévue à proximité d'un territoire couvert par une opération de revitalisation de territoire mentionnée à l'article L. 303-2 du code de la construction et de l'habitation, au regard des seuls effets économiques susceptibles d'être attendus de ces projets sur les territoires faisant l'objet de cette opération et notamment sur la préservation du tissu commercial qui y existe.

4. Toutefois, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

5. Au cas présent, il résulte des dispositions de l'article L. 751-1-2 du code de commerce que le représentant de l'Etat dans le département ne peut légalement suspendre, sous le contrôle du juge, un projet d'urbanisme commercial dont l'implantation est prévue sur le territoire d'une ou plusieurs communes signataires d'une convention d'opération de revitalisation du territoire mais hors des secteurs d'intervention de l'opération que si, compte tenu de ses caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur sa zone de chalandise, ce projet est de nature à compromettre les objectifs poursuivis par cette opération, au regard notamment du niveau et de l'évolution des taux de logements vacants, de vacance commerciale et de chômage dans les centres villes des territoires concernés par l'opération. De même, lorsque le projet est situé dans une commune qui n'a pas signé la convention mais qui est membre de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre signataire de cette convention ou d'un établissement public de coopération intercommunale limitrophe de celui-ci, le représentant de l'Etat ne peut légalement le suspendre que si, compte tenu de ses caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur sa zone de chalandise, il est de nature à compromettre gravement les objectifs de l'opération, au regard des éléments mentionnés précédemment. Dans les deux cas, la mesure de suspension est prise pour une durée qui ne peut excéder trois ans, éventuellement susceptible d'être prorogée pour un an, par décision du représentant de l'Etat dans le département, après avis de l'établissement public de coopération intercommunale et des communes signataires de la convention. Dans ces conditions, les dispositions litigieuses ne portent pas, au regard de l'objectif d'intérêt général qui s'attache à un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, à la lutte contre le déclin des centres-villes, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

6. Il résulte de ce qui précède que la question posée ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 752-1-2 du code de commerce porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.




D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Conseil national des centres commerciaux.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des centres commerciaux, au ministre de l'économie et des finances et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

ECLI:FR:CECHR:2020:434918.20200316
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