CAA de NANTES, 2ème chambre, 28/02/2020, 19NT02858, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné sa demande de naturalisation.

Par un jugement n° 1708113 du 28 mai 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 juillet 2019 et le 10 octobre 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 mai 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif ;

Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé que la matérialité des faits sur lesquels il s'est fondé n'était pas établie alors que ceux-ci ont donné lieu à une mesure de classement sans suite après régularisation, ce qui implique nécessairement que l'infraction, dont la réalité ressort des différents procès-verbaux, a été commise ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. F... ne sont pas fondés.


Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2019, M. F..., représenté par Me B... C..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- le moyen soulevé par le ministre de l'intérieur n'est pas fondé ;
- la décision contestée n'est pas motivée ;
- il répond à l'ensemble des conditions d'acquisition de la nationalité française ;
- la décision d'ajournement qui lui a été opposée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu de son assimilation à la communauté française.



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code civil ;
- le code de procédure pénale ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.



Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.



Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.



Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.





Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 20 juillet 2019, le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans la demande de naturalisation présentée par M. F.... A la demande de ce dernier, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision d'ajournement au motif que la matérialité des faits sur lesquels s'était fondé le ministre de l'intérieur n'était pas établie. Le ministre relève appel de ce jugement.


Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...), l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes du troisième alinéa de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation (...) sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) ".
3. En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables obtenus sur le comportement du postulant.
4. Pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation présentée par M. F..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur la circonstance que le postulant avait, le 2 juillet 2016, commis un délit de fuite par conducteur de véhicule. Il ressort des éléments recueillis par la gendarmerie au cours de l'enquête préliminaire que le véhicule de M. F..., lequel reconnaît l'avoir utilisé le 2 juillet 2016, a percuté le rétroviseur d'un autre véhicule stationné sur la voie et que son conducteur ne s'est pas arrêté après l'accident. Si le requérant fait valoir qu'il ne s'est pas rendu compte de l'accrochage de sorte qu'aucun délit de fuite ne peut lui être reproché, il ressort du procès-verbal d'audition de témoin que le choc a produit un bruit audible et que le conducteur suivant le véhicule de M. F..., témoin de l'accident, l'a alerté par un appel de phares. Dans ces conditions, la matérialité de la fuite sur laquelle s'est fondé le ministre de l'intérieur doit être regardée comme suffisamment établie. Au surplus, alors qu'il ressort des pièces du dossier que les faits en cause ont fait l'objet d'un classement sans suite conditionné à régularisation sur demande du parquet (motif 55), le requérant ne peut sérieusement se prévaloir de ce que la régularisation requise correspondait à la réparation du rétroviseur endommagé dès lors que cette procédure alternative aux poursuites, prévue par les dispositions du 3° de l'article 41-1 du code de procédure pénale et permettant au procureur de la République de demander à l'auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements se distingue de celle prévue par les dispositions du 4° du même article, consistant à demander à l'auteur des faits de réparer le dommage résultant de ceux-ci et correspondant au motif 54. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal s'est fondé, pour annuler la décision du ministre de l'intérieur du 20 juillet 2017, sur le motif tiré de ce que la matérialité des faits retenus par le ministre n'était pas établie.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
Sur les autres moyens invoqués par M. F... :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 27 du code civil : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée. ".
7. La décision contestée se réfère aux articles 45 et 46 du décret du 30 décembre 1993 et indique que le postulant a fait l'objet d'une procédure pour des faits de délit de fuite après un accident par conducteur survenus le 2 juillet 2016. Elle énonce ainsi avec suffisamment de précision les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. La circonstance que le motif sur lequel s'est fondé le ministre serait erroné est sans incidence.
8. En deuxième lieu, si M. F... affirme remplir les conditions d'âge, de résidence, d'assimilation dans la communauté française, de bonnes vie et moeurs et d'absence de condamnation pénale, la satisfaction, à la supposer avérée, des conditions de recevabilité de la demande du postulant, posées par le code civil, ne faisait pas obstacle à ce que le ministre de l'intérieur décide en opportunité d'ajourner sa demande.
9. En troisième lieu, eu égard à la nature et au caractère très récent, à la date de la décision contestée, du comportement de M. F... sur lequel le ministre s'est fondé, la décision prononçant l'ajournement de sa demande de naturalisation à deux ans n'est pas, alors même que le requérant, dont le père et l'épouse sont ressortissants français, a été scolarisé en France, y exerce son activité professionnelle ainsi que des activités associatives, entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 20 juillet 2017.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens.


DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 mai 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... F....



Délibéré après l'audience du 4 février 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président,
- M. A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 28 février 2020.

Le rapporteur,
K. D...Le président,
C. BRISSON
Le greffier,
K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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