Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 22/01/2020, 421913, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L'Etat du Koweït a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 1509090 du 10 juillet 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17VE02899 du 3 mai 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'Etat du Koweït contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet et 2 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Etat du Koweït demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Humbert, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de l'Etat du Koweit ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 janvier 2020, présentée par l'Etat du Koweit ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'Etat du Koweït, par l'intermédiaire du fonds Kuweit Investment Authority (KIA), donne en location nue un bien immobilier, dénommé " Tour Manhattan ", qu'il possède dans le quartier de La Défense à Courbevoie. A l'issue d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, l'administration fiscale a mis à la charge de l'Etat du Koweït des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2010 et 2011. Le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 10 juillet 2017, rejeté sa demande de décharge de ces cotisations. L'Etat du Koweït se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 mars 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil.

2. Aux termes du 1. de l'article 206 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA, 239 bis AB et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes dans les conditions prévues au IV de l'article 3 du décret n° 55-594 du 20 mai 1955 modifié, les sociétés coopératives et leurs unions ainsi que, sous réserve des dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l'article 207, les établissements publics, les organismes de l'Etat jouissant de l'autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif (...) ".

3. Ces dispositions assujettissent à l'impôt sur les sociétés, au-delà des sociétés qu'elles désignent expressément, toutes les personnes morales qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, sans exclure les Etats étrangers. Il s'ensuit que l'activité qu'un Etat étranger exerce en France est assujettie à l'impôt sur les sociétés si cette activité, eu égard à son objet et aux conditions particulières dans lesquelles elle est exercée, relève d'une exploitation à caractère lucratif.

4. Si l'Etat du Koweït fait valoir que son activité de location nue d'un immeuble bâti ne saurait être qualifiée d'exploitation à caractère lucratif sauf à priver de portée utile les dispositions du 5 de l'article 206 du code général des impôts, en vertu duquel sont assujettis à l'impôt sur les sociétés à un taux réduit, à raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives, les établissements publics, associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, les dispositions du 5 de l'article 206 demeurent toutefois sans incidence sur la qualification d'une activité de location d'immeuble exercée par un Etat étranger au regard du 1 du même article, laquelle est déterminée, conformément à ce qui est énoncé au point 3 ci-dessus, eu égard aux conditions particulières dans lesquelles cette activité est exercée.

5. En l'espèce, pour juger que l'activité de location nue d'un bien immobilier réalisée par l'Etat du Koweït en France pouvait être soumise à l'impôt sur les sociétés, sans qu'y fasse obstacle le caractère en principe désintéressé de la gestion de cet Etat, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la nature de l'activité en cause et sur les conditions particulières dans lesquelles elle est exercée, en écartant comme inopérante la circonstance que cette activité ne présente pas un caractère commercial au sens des articles 34 et 35 du code général des impôts. En statuant ainsi, la cour n'a pas méconnu les dispositions du 1 de l'article 206 du même code et n'a pas commis d'erreur de droit.

6. Il ressort, en outre, des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que l'activité de location de la tour Manhattan en litige était réalisée dans des conditions similaires à celles dans lesquelles des entreprises privées exercent leur activité, avec des prix pratiqués correspondant aux prix du marché et une clientèle composée de sociétés commerciales. En déduisant de ces constatations que l'activité ainsi exercée par l'Etat du Koweït relevait d'une exploitation à caractère lucratif passible de l'impôt sur les sociétés, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.

7. Il résulte de ce qui précède que l'Etat du Koweït n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font alors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'Etat du Koweït est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Etat du Koweït et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2020:421913.20200122
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