CAA de PARIS, 1ère chambre, 12/12/2019, 18PA00421, Inédit au recueil Lebon
CAA de PARIS, 1ère chambre, 12/12/2019, 18PA00421, Inédit au recueil Lebon
CAA de PARIS - 1ère chambre
- N° 18PA00421
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
12 décembre 2019
- Président
- Mme PELLISSIER
- Rapporteur
- M. Stéphane DIEMERT
- Avocat(s)
- SCP ORTSCHEIDT
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
D'une part, M. E... D... et la SARL Kuendu Dive Safari ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision du maire de la commune de Touho (Nouvelle-Calédonie) du 2 mars 2017 résiliant le contrat du 1er juillet 2012 conclu en vue de l'exploitation d'une base nautique et, à titre subsidiaire, de condamner cette commune à leur verser la somme de 50 millions de francs CFP à titre d'indemnité d'éviction.
Par un jugement n° 1700208 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande.
D'autre part, M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la commune de Touho à leur verser la somme de totale de 127 545 506 francs CFP (1 063 227,26 euros) en réparation des préjudices subis à raison des fautes commises durant l'exécution du contrat.
Par un jugement n° 1800100 du 15 octobre 2018, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a condamné la commune de Touho à verser à la SARL Kuendu Dive Safari et M. D... une indemnité d'un million de francs CFP (8 836,06 euros), avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2018.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 6 février 2018 sous le n° 18PA00421, un mémoire complémentaire enregistré le 8 mars 2018, un mémoire récapitulatif enregistré le 14 novembre 2018 à la suite d'une demande sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative et un mémoire en réplique enregistré le 2 mai 2019, M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari, représentés par la SCP Ortscheidt, demandent à la cour, :
1°) d'annuler le jugement n° 1700208 du 7 novembre 2017 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler la décision du 2 mars 2017 par laquelle le maire de la commune de Touho a résilié unilatéralement le bail commercial relatif à l'exploitation d'une base nautique, signé le 1er juillet 2012 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Touho le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :
- le contrat en cause doit être analysé comme un bail commercial soumis aux dispositions de la loi n° 89-496 du 6 juillet 1989 et non comme une convention d'occupation du domaine public, la base nautique ne relevant pas du domaine public tel qu'il est défini par l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dès lors qu'elle est destinée à l'accueil d'un club sportif, n'est pas affectée à l'usage direct du public et n'a fait l'objet d'aucun aménagement indispensable à la réalisation d'une mission de service public ;
- la demande d'annulation de la décision du 2 mars 2017, qui ne mentionne pas les voies et délais de recours, n'est pas tardive ;
- la décision du 2 mars 2017 est mal dirigée, puisqu'elle ne mentionne pas la société Kuendu Dive Safari, et est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2019, la commune de Touho, représentée par la SELARL Tehio, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 000 francs CFP soit mise à la charge de la SARL Kuendu Dive Safari et de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens de la requête relatifs à la nature du contrat sont inopérants ;
- les conclusions tendant à l'annulation de la décision de résiliation du contrat étaient tardives car formulées après expiration d'un délai de deux mois après cette décision ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
II. Par une requête enregistrée le 13 décembre 2018 sous le n° 18PA03902 et un mémoire en réplique enregistré le 2 mai 2019, M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari, représentés par la SCP Ortscheidt, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1800100 du 15 octobre 2018 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de faire droit à leur demande d'indemnisation de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Touho le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir précisé les articles du code de commerce dont il fait application, alors qu'il le mentionne dans ses visas ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui a dénaturé les faits de l'espèce, ils ont contesté que le contrat était une convention d'occupation du domaine public ; aucune autorité de la chose jugée par le jugement non définitif du 7 novembre 2017 ne peut leur être opposée sur ce point ;
- l'indemnisation sollicitée doit être appréciée au regard de la loi n° 89-496 du 6 juillet 1989, le contrat en cause étant un bail commercial et la base nautique ne relevant pas du domaine public tel qu'il est défini par l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dès lors qu'elle est destinée à l'accueil d'un club sportif, n'est pas affectée à l'usage direct du public et n'a fait l'objet d'aucun aménagement indispensable à la réalisation d'une mission de service public ;
- l'un des locaux étant à usage d'habitation, M. D... n'a commis aucune faute en s'y installant ;
- ils ont exposé 12 162 193 francs CFP (102 099 euros) de frais pour l'exploitation des installations louées ; cet investissement s'explique du fait de la durée prévue du contrat, soit 15 ans ;
- ils ont réglé la somme de 1 200 000 francs CFP (10 075 euros) au titre des loyers des années 2013 et 2014, alors que les biens étaient inexploitables du fait des travaux de rénovation dont la commune était redevable.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2019, la commune de Touho, représentée par la SELARL Tehio, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 000 francs CFP (4 190 euros) soit mise à la charge de la SARL Kuendu Dive Safari et de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la critique du point 3 du jugement est irrecevable, dès lors que ces motifs, qui écartent une fin de non-recevoir qu'elle avait invoquée, ne font pas grief aux appelants ; le tribunal n'a pas dénaturé la demande ;
- si les requérants contestaient la qualification du contrat, leurs conclusions indemnitaires seraient irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 7 novembre 2017 ;
- le contrat comporte bien occupation du domaine public ; il n'autorisait pas M. D... à habiter sur place ;
- les requérants n'ont pas engagé d'autres dépenses que des dépenses d'entretien.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de commerce ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me Tehio, avocat de la commune de Touho.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 18PA00421 et n° 18PA03902 de la SARL Kuendu Dive Safari et de M. D... présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer en un seul arrêt.
2. Le 1er juillet 2012, un contrat dit de " location d'exploitation commerciale " a été conclu entre la commune de Touho et la SARL Kuendu Dive Safari représentée par son dirigeant, M. D..., pour la location, prévue pour une durée de quinze ans à compter du 1er juillet 2012 et pour un loyer mensuel de 50 000 F CFP exigible à compter du 1er novembre 2013, du " lot 115 et des bâtiments y édifiés " dont la commune est propriétaire, biens décrits comme un terrain de 1211 m² supportant un bâtiment comprenant deux bureaux et deux blocs sanitaires et un bâtiment à usage de hangar surmonté d'une charpente en bois. Par une décision du 2 mars 2017, le maire de la commune a prononcé la résiliation du contrat sans indemnité à compter du 31 juillet 2017, au motif de l'inexécution par M. D... de ses obligations contractuelles relatives au fonctionnement de cette base nautique, à savoir l'absence de développement d'activités autres que celles de plongée, le retard dans le règlement des loyers, la pratique d'une activité de camping payant non autorisé sur le site, le logement sur place non prévu au contrat, l'absence de mise à jour des visites obligatoires du matériel et du bateau utilisés, enfin les plaintes sur son comportement reçues de voisins et citoyens de la commune.
3. Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, par un jugement du 7 novembre 2017, rejeté la demande de M. D... et de la société Kuendu Dive Safari tendant à l'annulation de la décision de résiliation du 2 mars 2017 et, par un jugement du 15 octobre 2018, condamné la commune de Touho à leur verser une indemnité d'un million de francs CFP, avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2018, en réparation de la faute commise en concluant un contrat présenté comme un bail de droit privé. M. D... et de la société Kuendu Dive Safari doivent être regardés comme faisant appel de ces jugements dans la mesure où ils ne leur sont pas favorables.
Sur la régularité du jugement du 15 octobre 2018 :
4. La circonstance que le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n° 1800100 du 15 octobre 2018 mentionne, dans ses visas, " le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie " sans préciser, dans ses motifs, les dispositions de ce code dont il est fait application ne constitue pas un défaut de motivation, dès lors qu'il résulte précisément du raisonnement des premiers juges, comme il est expressément dit au point 6 de leur jugement, que ce code de commerce n'est pas applicable au contrat en cause si bien que les demandeurs ne peuvent en invoquer les dispositions.
Sur la nature du contrat en cause :
5. Les requérants soutiennent que les biens objets du contrat dit de " location d'exploitation commerciale " conclu le 1er juillet 2012 n'appartiennent pas au domaine public et qu'ainsi ce contrat ne comporte pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, occupation du domaine public.
6. Avant l'entrée en vigueur de la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, intervenue le 1er juillet 2006, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 2111-1 de ce code que le domaine public d'une personne publique est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. L'entrée en vigueur de ces dispositions nouvelles n'a cependant pas eu pour effet d'entrainer le déclassement de biens qui appartenaient antérieurement au domaine public en application des critères jurisprudentiels précédemment rappelés.
7. Il résulte de l'instruction que les bâtiments décrits au point 2 ci-dessus, situés sur une parcelle appartenant à la commune de Touho, et dont il est allégué qu'ils auraient primitivement abrité le marché communal, ont été aménagés, antérieurement à 2006, dans le but de créer une base nautique accueillant des activités sportives, alors qu'étaient édifiés, sur la zone maritime contigüe, un ponton et six " catways ", petits appontements flottants permettant l'accès aux bateaux. Cet aménagement, comprenant la route d'accès et la création des réseaux, décidé par la commune afin de développer la pratique sportive, les activités périscolaires et le tourisme dans un lagon qui fait partie d'un ensemble classé au patrimoine mondial par l'UNESCO participe ainsi de la mise en place d'un service public. La parcelle objet du contrat doit donc être regardée comme affectée à un service public et spécialement aménagée à cette fin. La circonstance qu'un défaut d'entretien des bâtiments les rendrait impropres à être utilisés conformément à leur destination est sans influence sur leur appartenance au domaine public, dès lors qu'il ne ressort pas de l'instruction que ces biens auraient fait l'objet d'une décision de déclassement. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que le contrat conclu le 1er juillet 2012 a le caractère d'une convention d'occupation du domaine public communal. Par suite, ce contrat est un contrat administratif et les requérants ne sont pas fondés à demander l'application au litige des dispositions du code de commerce.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de résiliation du contrat :
8. Le juge du contrat administratif, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation, sans qu'un recours administratif soit de nature à interrompre ce délai de recours contentieux et alors même que l'existence de cette voie et ce délai de recours contre la mesure de résiliation n'ont pas été notifiés au cocontractant.
9. En l'espèce, à supposer même que les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 2 mars 2017 puissent être regardées comme tendant en réalité à la reprise des relations contractuelles, il ressort de l'instruction, et notamment d'un récépissé de la gendarmerie de Touho produit par la commune, que la remise du courrier de résiliation, en mains propres, à M. D..., a eu lieu le 14 mars 2017. Par suite, la demande présentée le 12 juin 2017 devant les premiers juges était tardive, la circonstance que la notification de la décision de résiliation litigieuse ne comportait pas la mention de voies et délais de recours étant sans incidence.
Sur les conclusions à fin indemnitaire :
10. Alors même que les requérants demandent à la Cour l'annulation de l'intégralité du jugement attaqué, qui leur a pourtant donné partiellement satisfaction, il y a lieu de regarder leurs conclusions comme tendant en réalité à l'annulation de ce jugement en tant seulement qu'il n'a pas condamné la commune de Touho à leur verser l'intégralité des sommes par eux réclamées.
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Touho :
11. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers, qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public, en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.
12. En outre, lorsque l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au contrat dit bail commercial conclu pour l'occupation du domaine public en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale pour intérêt général d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.
13. En l'espèce, la commune de Touho, gestionnaire des biens composant la base nautique relevant du domaine public, a, en concluant pour l'exploitation cette base nautique un " contrat de location d'exploitation commercial " se référant à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, en vigueur en Nouvelle-Calédonie, laissé croire à M. D... et à la SARL Kuendu Dive Safari qu'ils bénéficiaient des garanties prévues par cette loi concernant les baux d'habitation, et ce pour une durée de quinze ans. Si la commune a invoqué, pour mettre fin à l'occupation du domaine public, comme elle était libre de le faire pour mettre en gestion la base nautique dans de meilleures conditions, des manquements de M. D... à ses obligations contractuelles, comme dit aux point 2, il résulte de l'instruction qu'aucune des stipulations du contrat qu'elle a signé ne spécifiait que M. D... devait développer l'activité de base nautique et qu'il lui était interdit de loger sur le site ou d'y autoriser le camping. Le grief tiré d'un retard de paiement des loyers n'est pas explicité. Dans ces conditions, les fautes du cocontractant ne sont pas démontrées et M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari sont en droit de demander réparation des préjudices résultant de la résiliation anticipée.
En ce qui concerne les préjudices allégués :
14. D'une part, pour contester le jugement de première instance en tant qu'il a limité à un million de francs CFP l'indemnité qu'il leur a accordée, la SARL Kuendu Dive Safari et M. D... se réfèrent à un document produit en première instance listant les sommes qu'ils disent avoir exposées, pour un montant total de 12 162 193 F CFP (101 384,8 euros), afin d'ouvrir la base nautique de Touho, et soutiennent qu'ils n'auraient pas réalisé ces investissements s'ils ne s'étaient pas estimés titulaires d'un bail conclu pour quinze ans. Toutefois, pas plus qu'en première instance, ils ne démontrent que les dépenses dont ils font état, notamment les rémunérations, le paiement de factures d'eau ou d'électricité, l'achat de petit matériel d'entretien tel qu'une tondeuse débroussailleuse, le changement de boudin du bateau pneumatique et la réparation d'un bloc moteur, ou bien la remise en état d'un bateau à fond de verre, dont ils sont restés propriétaires, correspondent à des investissements devant être amortis au-delà de l'année 2017 durant laquelle il a été mis fin à leur contrat. Par ailleurs, les requérants ne sont pas fondés à demander l'indemnisation de l'acquisition d'un autre bateau le 12 septembre 2017, soit postérieurement à la résiliation unilatérale du contrat.
15. D'autre part, les appelants soutiennent qu'ils ont réglé 1 200 000 F CFP (10 003,27 euros) de loyers en vain en 2013 et 2014 car ils n'étaient pas en mesure d'exploiter la base compte tenu de son état déplorable, ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier du 19 novembre 2015. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que cet état résulte d'une faute de la commune, alors que les termes du contrat, qui fait bénéficier le cocontractant de l'administration de quinze mois d'occupation gratuite jusqu'au 1er novembre 2013, ne permettent pas de déterminer sur qui reposait la charge des travaux de remise en état de la base nautique, les appelants eux-mêmes affirmant que le contrat a été conclu après que le maire a exposé au conseil municipal qu'ils étaient prêts à investir 20 millions de francs CFP dans le projet. En tout état de cause, il n'est pas démontré que la base serait restée inexploitée par la société Kuendu Dive Safari en 2013 et 2014, les comptes de résultats produits pour ces années faisant état de la vente de services.
16. Enfin les appelants demandent à la Cour de " faire droit aux conclusions indemnitaires qu'ils ont présentées devant le tribunal administratif ". Toutefois, alors qu'ils ne fournissent aucune précision indispensable à l'appréciation par la cour d'appel du bien-fondé du rejet de leurs autres demandes indemnitaires par le tribunal administratif, il n'appartient pas à la Cour d'y procéder d'office.
17. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a limité à un million de francs CFP (8 836,06 euros) l'indemnité qu'il a condamné la commune de Touho à leur verser et a rejeté le surplus de leurs demandes à fin indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que les requérants, qui sont la partie perdante dans la présente instance, en puissent invoquer le bénéfice à l'encontre de la commune de Touho. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à leur charge, sur le fondement des mêmes dispositions, le versement d'une somme à la commune de Touho.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes n° 18PA00421 et n° 18PA03902 de la SARL Kuendu Dive Safari et de de M. D... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Touho fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Kuendu Dive Safari, à M. E... D... et à la commune de Touho.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente de chambre,
- M. B..., président-assesseur,
- M. Platillero, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.
Le rapporteur,
S. DIEMERTLa présidente,
S. C...Le greffier,
M. A...La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00421, 18PA03902
Procédure contentieuse antérieure :
D'une part, M. E... D... et la SARL Kuendu Dive Safari ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision du maire de la commune de Touho (Nouvelle-Calédonie) du 2 mars 2017 résiliant le contrat du 1er juillet 2012 conclu en vue de l'exploitation d'une base nautique et, à titre subsidiaire, de condamner cette commune à leur verser la somme de 50 millions de francs CFP à titre d'indemnité d'éviction.
Par un jugement n° 1700208 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande.
D'autre part, M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la commune de Touho à leur verser la somme de totale de 127 545 506 francs CFP (1 063 227,26 euros) en réparation des préjudices subis à raison des fautes commises durant l'exécution du contrat.
Par un jugement n° 1800100 du 15 octobre 2018, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a condamné la commune de Touho à verser à la SARL Kuendu Dive Safari et M. D... une indemnité d'un million de francs CFP (8 836,06 euros), avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2018.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 6 février 2018 sous le n° 18PA00421, un mémoire complémentaire enregistré le 8 mars 2018, un mémoire récapitulatif enregistré le 14 novembre 2018 à la suite d'une demande sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative et un mémoire en réplique enregistré le 2 mai 2019, M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari, représentés par la SCP Ortscheidt, demandent à la cour, :
1°) d'annuler le jugement n° 1700208 du 7 novembre 2017 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler la décision du 2 mars 2017 par laquelle le maire de la commune de Touho a résilié unilatéralement le bail commercial relatif à l'exploitation d'une base nautique, signé le 1er juillet 2012 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Touho le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :
- le contrat en cause doit être analysé comme un bail commercial soumis aux dispositions de la loi n° 89-496 du 6 juillet 1989 et non comme une convention d'occupation du domaine public, la base nautique ne relevant pas du domaine public tel qu'il est défini par l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dès lors qu'elle est destinée à l'accueil d'un club sportif, n'est pas affectée à l'usage direct du public et n'a fait l'objet d'aucun aménagement indispensable à la réalisation d'une mission de service public ;
- la demande d'annulation de la décision du 2 mars 2017, qui ne mentionne pas les voies et délais de recours, n'est pas tardive ;
- la décision du 2 mars 2017 est mal dirigée, puisqu'elle ne mentionne pas la société Kuendu Dive Safari, et est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2019, la commune de Touho, représentée par la SELARL Tehio, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 000 francs CFP soit mise à la charge de la SARL Kuendu Dive Safari et de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens de la requête relatifs à la nature du contrat sont inopérants ;
- les conclusions tendant à l'annulation de la décision de résiliation du contrat étaient tardives car formulées après expiration d'un délai de deux mois après cette décision ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
II. Par une requête enregistrée le 13 décembre 2018 sous le n° 18PA03902 et un mémoire en réplique enregistré le 2 mai 2019, M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari, représentés par la SCP Ortscheidt, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1800100 du 15 octobre 2018 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de faire droit à leur demande d'indemnisation de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Touho le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir précisé les articles du code de commerce dont il fait application, alors qu'il le mentionne dans ses visas ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui a dénaturé les faits de l'espèce, ils ont contesté que le contrat était une convention d'occupation du domaine public ; aucune autorité de la chose jugée par le jugement non définitif du 7 novembre 2017 ne peut leur être opposée sur ce point ;
- l'indemnisation sollicitée doit être appréciée au regard de la loi n° 89-496 du 6 juillet 1989, le contrat en cause étant un bail commercial et la base nautique ne relevant pas du domaine public tel qu'il est défini par l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dès lors qu'elle est destinée à l'accueil d'un club sportif, n'est pas affectée à l'usage direct du public et n'a fait l'objet d'aucun aménagement indispensable à la réalisation d'une mission de service public ;
- l'un des locaux étant à usage d'habitation, M. D... n'a commis aucune faute en s'y installant ;
- ils ont exposé 12 162 193 francs CFP (102 099 euros) de frais pour l'exploitation des installations louées ; cet investissement s'explique du fait de la durée prévue du contrat, soit 15 ans ;
- ils ont réglé la somme de 1 200 000 francs CFP (10 075 euros) au titre des loyers des années 2013 et 2014, alors que les biens étaient inexploitables du fait des travaux de rénovation dont la commune était redevable.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2019, la commune de Touho, représentée par la SELARL Tehio, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 000 francs CFP (4 190 euros) soit mise à la charge de la SARL Kuendu Dive Safari et de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la critique du point 3 du jugement est irrecevable, dès lors que ces motifs, qui écartent une fin de non-recevoir qu'elle avait invoquée, ne font pas grief aux appelants ; le tribunal n'a pas dénaturé la demande ;
- si les requérants contestaient la qualification du contrat, leurs conclusions indemnitaires seraient irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 7 novembre 2017 ;
- le contrat comporte bien occupation du domaine public ; il n'autorisait pas M. D... à habiter sur place ;
- les requérants n'ont pas engagé d'autres dépenses que des dépenses d'entretien.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de commerce ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me Tehio, avocat de la commune de Touho.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 18PA00421 et n° 18PA03902 de la SARL Kuendu Dive Safari et de M. D... présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer en un seul arrêt.
2. Le 1er juillet 2012, un contrat dit de " location d'exploitation commerciale " a été conclu entre la commune de Touho et la SARL Kuendu Dive Safari représentée par son dirigeant, M. D..., pour la location, prévue pour une durée de quinze ans à compter du 1er juillet 2012 et pour un loyer mensuel de 50 000 F CFP exigible à compter du 1er novembre 2013, du " lot 115 et des bâtiments y édifiés " dont la commune est propriétaire, biens décrits comme un terrain de 1211 m² supportant un bâtiment comprenant deux bureaux et deux blocs sanitaires et un bâtiment à usage de hangar surmonté d'une charpente en bois. Par une décision du 2 mars 2017, le maire de la commune a prononcé la résiliation du contrat sans indemnité à compter du 31 juillet 2017, au motif de l'inexécution par M. D... de ses obligations contractuelles relatives au fonctionnement de cette base nautique, à savoir l'absence de développement d'activités autres que celles de plongée, le retard dans le règlement des loyers, la pratique d'une activité de camping payant non autorisé sur le site, le logement sur place non prévu au contrat, l'absence de mise à jour des visites obligatoires du matériel et du bateau utilisés, enfin les plaintes sur son comportement reçues de voisins et citoyens de la commune.
3. Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, par un jugement du 7 novembre 2017, rejeté la demande de M. D... et de la société Kuendu Dive Safari tendant à l'annulation de la décision de résiliation du 2 mars 2017 et, par un jugement du 15 octobre 2018, condamné la commune de Touho à leur verser une indemnité d'un million de francs CFP, avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2018, en réparation de la faute commise en concluant un contrat présenté comme un bail de droit privé. M. D... et de la société Kuendu Dive Safari doivent être regardés comme faisant appel de ces jugements dans la mesure où ils ne leur sont pas favorables.
Sur la régularité du jugement du 15 octobre 2018 :
4. La circonstance que le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n° 1800100 du 15 octobre 2018 mentionne, dans ses visas, " le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie " sans préciser, dans ses motifs, les dispositions de ce code dont il est fait application ne constitue pas un défaut de motivation, dès lors qu'il résulte précisément du raisonnement des premiers juges, comme il est expressément dit au point 6 de leur jugement, que ce code de commerce n'est pas applicable au contrat en cause si bien que les demandeurs ne peuvent en invoquer les dispositions.
Sur la nature du contrat en cause :
5. Les requérants soutiennent que les biens objets du contrat dit de " location d'exploitation commerciale " conclu le 1er juillet 2012 n'appartiennent pas au domaine public et qu'ainsi ce contrat ne comporte pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, occupation du domaine public.
6. Avant l'entrée en vigueur de la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, intervenue le 1er juillet 2006, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 2111-1 de ce code que le domaine public d'une personne publique est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. L'entrée en vigueur de ces dispositions nouvelles n'a cependant pas eu pour effet d'entrainer le déclassement de biens qui appartenaient antérieurement au domaine public en application des critères jurisprudentiels précédemment rappelés.
7. Il résulte de l'instruction que les bâtiments décrits au point 2 ci-dessus, situés sur une parcelle appartenant à la commune de Touho, et dont il est allégué qu'ils auraient primitivement abrité le marché communal, ont été aménagés, antérieurement à 2006, dans le but de créer une base nautique accueillant des activités sportives, alors qu'étaient édifiés, sur la zone maritime contigüe, un ponton et six " catways ", petits appontements flottants permettant l'accès aux bateaux. Cet aménagement, comprenant la route d'accès et la création des réseaux, décidé par la commune afin de développer la pratique sportive, les activités périscolaires et le tourisme dans un lagon qui fait partie d'un ensemble classé au patrimoine mondial par l'UNESCO participe ainsi de la mise en place d'un service public. La parcelle objet du contrat doit donc être regardée comme affectée à un service public et spécialement aménagée à cette fin. La circonstance qu'un défaut d'entretien des bâtiments les rendrait impropres à être utilisés conformément à leur destination est sans influence sur leur appartenance au domaine public, dès lors qu'il ne ressort pas de l'instruction que ces biens auraient fait l'objet d'une décision de déclassement. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que le contrat conclu le 1er juillet 2012 a le caractère d'une convention d'occupation du domaine public communal. Par suite, ce contrat est un contrat administratif et les requérants ne sont pas fondés à demander l'application au litige des dispositions du code de commerce.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de résiliation du contrat :
8. Le juge du contrat administratif, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation, sans qu'un recours administratif soit de nature à interrompre ce délai de recours contentieux et alors même que l'existence de cette voie et ce délai de recours contre la mesure de résiliation n'ont pas été notifiés au cocontractant.
9. En l'espèce, à supposer même que les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 2 mars 2017 puissent être regardées comme tendant en réalité à la reprise des relations contractuelles, il ressort de l'instruction, et notamment d'un récépissé de la gendarmerie de Touho produit par la commune, que la remise du courrier de résiliation, en mains propres, à M. D..., a eu lieu le 14 mars 2017. Par suite, la demande présentée le 12 juin 2017 devant les premiers juges était tardive, la circonstance que la notification de la décision de résiliation litigieuse ne comportait pas la mention de voies et délais de recours étant sans incidence.
Sur les conclusions à fin indemnitaire :
10. Alors même que les requérants demandent à la Cour l'annulation de l'intégralité du jugement attaqué, qui leur a pourtant donné partiellement satisfaction, il y a lieu de regarder leurs conclusions comme tendant en réalité à l'annulation de ce jugement en tant seulement qu'il n'a pas condamné la commune de Touho à leur verser l'intégralité des sommes par eux réclamées.
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Touho :
11. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers, qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public, en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.
12. En outre, lorsque l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au contrat dit bail commercial conclu pour l'occupation du domaine public en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale pour intérêt général d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.
13. En l'espèce, la commune de Touho, gestionnaire des biens composant la base nautique relevant du domaine public, a, en concluant pour l'exploitation cette base nautique un " contrat de location d'exploitation commercial " se référant à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, en vigueur en Nouvelle-Calédonie, laissé croire à M. D... et à la SARL Kuendu Dive Safari qu'ils bénéficiaient des garanties prévues par cette loi concernant les baux d'habitation, et ce pour une durée de quinze ans. Si la commune a invoqué, pour mettre fin à l'occupation du domaine public, comme elle était libre de le faire pour mettre en gestion la base nautique dans de meilleures conditions, des manquements de M. D... à ses obligations contractuelles, comme dit aux point 2, il résulte de l'instruction qu'aucune des stipulations du contrat qu'elle a signé ne spécifiait que M. D... devait développer l'activité de base nautique et qu'il lui était interdit de loger sur le site ou d'y autoriser le camping. Le grief tiré d'un retard de paiement des loyers n'est pas explicité. Dans ces conditions, les fautes du cocontractant ne sont pas démontrées et M. D... et la SARL Kuendu Dive Safari sont en droit de demander réparation des préjudices résultant de la résiliation anticipée.
En ce qui concerne les préjudices allégués :
14. D'une part, pour contester le jugement de première instance en tant qu'il a limité à un million de francs CFP l'indemnité qu'il leur a accordée, la SARL Kuendu Dive Safari et M. D... se réfèrent à un document produit en première instance listant les sommes qu'ils disent avoir exposées, pour un montant total de 12 162 193 F CFP (101 384,8 euros), afin d'ouvrir la base nautique de Touho, et soutiennent qu'ils n'auraient pas réalisé ces investissements s'ils ne s'étaient pas estimés titulaires d'un bail conclu pour quinze ans. Toutefois, pas plus qu'en première instance, ils ne démontrent que les dépenses dont ils font état, notamment les rémunérations, le paiement de factures d'eau ou d'électricité, l'achat de petit matériel d'entretien tel qu'une tondeuse débroussailleuse, le changement de boudin du bateau pneumatique et la réparation d'un bloc moteur, ou bien la remise en état d'un bateau à fond de verre, dont ils sont restés propriétaires, correspondent à des investissements devant être amortis au-delà de l'année 2017 durant laquelle il a été mis fin à leur contrat. Par ailleurs, les requérants ne sont pas fondés à demander l'indemnisation de l'acquisition d'un autre bateau le 12 septembre 2017, soit postérieurement à la résiliation unilatérale du contrat.
15. D'autre part, les appelants soutiennent qu'ils ont réglé 1 200 000 F CFP (10 003,27 euros) de loyers en vain en 2013 et 2014 car ils n'étaient pas en mesure d'exploiter la base compte tenu de son état déplorable, ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier du 19 novembre 2015. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que cet état résulte d'une faute de la commune, alors que les termes du contrat, qui fait bénéficier le cocontractant de l'administration de quinze mois d'occupation gratuite jusqu'au 1er novembre 2013, ne permettent pas de déterminer sur qui reposait la charge des travaux de remise en état de la base nautique, les appelants eux-mêmes affirmant que le contrat a été conclu après que le maire a exposé au conseil municipal qu'ils étaient prêts à investir 20 millions de francs CFP dans le projet. En tout état de cause, il n'est pas démontré que la base serait restée inexploitée par la société Kuendu Dive Safari en 2013 et 2014, les comptes de résultats produits pour ces années faisant état de la vente de services.
16. Enfin les appelants demandent à la Cour de " faire droit aux conclusions indemnitaires qu'ils ont présentées devant le tribunal administratif ". Toutefois, alors qu'ils ne fournissent aucune précision indispensable à l'appréciation par la cour d'appel du bien-fondé du rejet de leurs autres demandes indemnitaires par le tribunal administratif, il n'appartient pas à la Cour d'y procéder d'office.
17. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a limité à un million de francs CFP (8 836,06 euros) l'indemnité qu'il a condamné la commune de Touho à leur verser et a rejeté le surplus de leurs demandes à fin indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que les requérants, qui sont la partie perdante dans la présente instance, en puissent invoquer le bénéfice à l'encontre de la commune de Touho. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à leur charge, sur le fondement des mêmes dispositions, le versement d'une somme à la commune de Touho.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes n° 18PA00421 et n° 18PA03902 de la SARL Kuendu Dive Safari et de de M. D... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Touho fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Kuendu Dive Safari, à M. E... D... et à la commune de Touho.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente de chambre,
- M. B..., président-assesseur,
- M. Platillero, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.
Le rapporteur,
S. DIEMERTLa présidente,
S. C...Le greffier,
M. A...La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00421, 18PA03902