CAA de NANCY, 2ème chambre, 14/11/2019, 19NC01444, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... née A... D... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 24 août 2018 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination duquel elle pourra être renvoyée.

Par un jugement n° 1802260 du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 mai 2019, Mme C..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;


2°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 24 août 2018 ;

3°) D'annuler cet arrêté ;

4°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour " vie privée et familiale " pour admission exceptionnelle au séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- le préfet s'est abstenu de procéder à un examen sérieux et approfondi de sa situation en ne prenant pas en compte le fait que la rupture de la communauté de vie était la conséquence des violences conjugales qu'elle subissait, ce dont il était informé lorsqu'il a pris la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle n'avait pas l'obligation d'informer le préfet des violences conjugales qu'elle subissait.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2019, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.


Par une décision du 28 mai 2019, le président du bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme C... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.


Vu :
- les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E....


Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née le 25 janvier 1996, de nationalité algérienne, est entrée régulièrement en France le 2 mai 2018 sous couvert d'un visa de court séjour " Famille de français " pour rejoindre son mari, M. F... C..., de nationalité française, qu'elle a épousé en Algérie le 27 mars 2017. Mme C... relève appel du jugement du 14 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 août 2018 par lequel le préfet du Doubs a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour formée sur le fondement de l'article 7 bis a) de l'accord franco-algérien, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Sur les conclusions relatives à l'aide juridictionnelle :

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... s'est vu accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 28 mai 2019. Dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 août 2018 :

3. Aux termes des stipulations de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a), au b), au c) et au g) : a) Au ressortissant algérien, marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 6 nouveau 2) et au dernier alinéa de ce même article (...) ". Aux termes de l'article 6 du même accord : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2) ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux ". Ces stipulations régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissante algérienne ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au renouvellement du titre de séjour lorsque l'étranger a subi des violences conjugales et que la communauté de vie a été rompue, il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient seulement au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.

4. Mme C... soutient que le préfet du Doubs, qui a refusé de lui délivré un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " en raison de la rupture de la communauté de vie avec son époux, aurait dû faire usage de son pouvoir de régularisation et tenir compte de sa situation particulière résultant des violences que son conjoint lui faisait subir depuis son arrivée sur le territoire français. Il ressort des pièces du dossier que les faits de violences conjugales déclarés par Mme C... dans la main courante du 16 juillet 2018 et le dépôt de plainte du 20 juillet 2018 ont été décrits de façon précise dans un certificat médical du SAMU du 28 juin 2018 et un certificat de l'institut médico-légal du CHRU de Besançon. Ces faits ont été corroborés par le jugement de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Besançon du 29 mars 2019, devenu définitif, ainsi qu'il résulte du certificat de non appel dudit tribunal en date du 3 mai 2019. Ce jugement, qui a autorité de chose jugée en ce qui concerne les constatations de fait qu'il retient et qui sont le support nécessaire de son dispositif, a reconnu M. F... C... coupable des faits de menaces de mort réitérées à l'encontre de Mme C... et de violences habituelles n'ayant pas entraîné d'incapacité supérieure à huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint commis sur la période du 2 mai au 19 juillet 2018. Il ressort également des pièces du dossier que la requérante a été hébergée, dans un premier temps, à l'hôtel au titre de l'hébergement d'urgence avec l'accord de la direction de la cohésion sociale et de la protection des populations puis, à compter du 10 août 2018, par l'association " Solidarité Femmes ", au titre de l'aide sociale à l'hébergement, comme en témoigne l'attestation du 29 janvier 2019, rédigée par une éducatrice spécialisée du centre d'hébergement et de réinsertion sociale de cette association. En outre, et comme le fait valoir l'intéressée, le préfet ne conteste pas avoir été destinataire vers le 18 août 2018 de l'attestation d'hébergement délivrée par l'association " Solidarité Femmes " le 10 août 2018, soit avant que ne soit édictée la décision litigieuse du 24 août 2018. Dans ces conditions, la requérante doit être regardée, au vu des éléments qu'elle produit, comme établissant que la rupture de la communauté de vie a été provoquée par les violences de son conjoint. En conséquence, en refusant de délivrer à Mme C... un certificat de résidence en raison de la rupture de la communauté de vie avec son époux et en ne tenant pas compte du soutien psycho-social dont elle bénéficie au sein de l'association " Solidarité Femmes ", établi par une attestation du 21 décembre 2018, ainsi que du suivi auprès d'un centre médico-psychologique rendu nécessaire par les graves violences qu'elle a subies, le préfet du Doubs a, dans les circonstances particulières de l'espèce, commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de Mme C.... Par suite, la décision portant refus de titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligations de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.

5. Il résulte de ce tout qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande en annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer à Mme C... un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", et ce dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 28 mai 2019. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me G... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me G... la somme demandée de 800 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme C... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement n° 1802260 du 14 mars 2019 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 3 : L'arrêté du 24 août 2018 par lequel le préfet du Doubs a refusé de délivrer un certificat de résidence à Mme C..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination est annulé.

Article 4 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme C... un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à Me G..., conseil de Mme C..., une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de renonciation par l'avocate à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... née A... D... et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Doubs.


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N° 19NC01444



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