Conseil d'État, 6ème chambre, 24/10/2019, 419646, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 juillet 2015 par lequel le maire de Marseille a délivré à la société OGIC un permis de construire en vue de l'édification d'un immeuble dénommé " La villa en haut du village ", situé boulevard Estrangin, dans le quartier du Roucas Blanc à Marseille et la décision rejetant leur recours gracieux. Par un jugement n° 1510151 du 8 février 2018, le tribunal administratif a fait droit à leur demande.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 419646, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 9 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société OGIC demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 419694, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 avril et 9 juillet 2018 et le 10 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Marseille demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société OGIC et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la commune de Marseille ;




Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Marseille (Bouches-du-Rhône) a, par un arrêté du 22 juillet 2015, délivré à la société OGIC un permis de construire pour le projet d'un immeuble dénommé " La villa en haut du village ", comprenant huit logements et dix-neuf places de stationnement, sur un terrain situé boulevard Estrangin, quartier du Roucas Blanc à Marseille. M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire et de la décision rejetant leur recours gracieux. Par jugement du 8 février 2018, contre lequel la société OGIC et la ville de Marseille se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.

3. En premier lieu, en vertu l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.

4. Le tribunal administratif de Marseille a relevé que les requérants, propriétaires de la parcelle immédiatement voisine du terrain d'assiette de la construction projetée, justifiaient, par les éléments qu'ils versaient aux débats, de la modification des vues que celle-ci engendrerait, et que la société OGIC n'apportait aucun élément de nature à établir que ces atteintes étaient dépourvues de réalité. Il n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique en en déduisant que les requérants justifiaient d'une atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de leur bien, et, en conséquence, d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation du permis de construire.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend également : (...) c) Un document graphique permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ; / d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche et, sauf si le demandeur justifie qu'aucune photographie de loin n'est possible, dans le paysage lointain. Les points et les angles des prises de vue sont reportés sur le plan de situation et le plan de masse. ".

6. Pour juger que le dossier de demande de permis de construire méconnaissait les dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme, le tribunal administratif de Marseille a estimé que le document photographique PC 7 ne faisait apparaître principalement qu'un mur et de la végétation, que le document photographique PC 8 ne faisait apparaître que la pente végétale du terrain d'assiette ainsi qu'un arbre de haute dimension, que le document graphique représentait les constructions en seulement deux dimensions et qu'ainsi, aucun document ne permettait de situer le terrain dans son environnement proche et lointain et d'apprécier l'impact visuel du projet et de la rampe automobile d'accès au terrain. Il ressort toutefois des pièces soumises aux juges du fond que le document intitulé " Insertion texturée en plan de masse " et le document PC 5, sur lesquels figurent, dans un montage photographique, la construction projetée et les constructions environnantes, le document intitulé " vue aérienne ", qui situe le terrain d'assiette du projet dans son environnement lointain, et les documents PC 2 " plan R+2 ", PC 2 " plan de masse " ainsi que la notice jointe à la demande de permis de construire, desquels il ressort que la rampe automobile d'accès est en sous-sol, comportent les éléments relatifs à la situation du terrain d'assiette et l'impact visuel de la construction de nature à permettre à l'autorité administrative d'apprécier la conformité du projet à la réglementation applicable. Par suite, en estimant que le dossier de demande de permis de construire méconnaissait les dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme, le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier soumis à son appréciation.

7. En troisième lieu, selon l'article 20 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme : " Risque incendie et forêt. 20.2.1. Zone de prescriptions. Les constructions et aménagements, autres que ceux visant la réduction de l'aléa concerné, sont autorisés sous réserve de l'observation des prescriptions suivantes : pour la construction d'immeubles collectifs et la réalisation d'opérations d'ensemble : (...) l'aménagement d'aires de stationnement, d'aires de retournement et de croisement permettant la manoeuvre des engins de secours (...) ".

8. Pour juger que le permis de construire méconnaissait les dispositions de l'article 20 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme, le tribunal administratif a estimé que la voie privée projetée, qui n'était que pour partie enterrée, permettait l'accès des véhicules uniquement au garage et ne comportait donc pas d'aire de retournement, ni d'aire de croisement, permettant la manoeuvre des engins de secours et que la construction n'était accessible que par un escalier réservé aux piétons. En statuant ainsi, alors qu'il n'était pas soutenu devant lui que les accès ainsi prévus à la construction étaient destinés à la circulation des engins de secours, le projet étant conçu pour que les services de lutte contre l'incendie et de secours interviennent depuis le boulevard Estrangin au droit de la construction projetée, le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

10. Pour juger que le permis de construire autorisé méconnaissait les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, le tribunal s'est fondé sur ce que le projet en litige, bien qu'ayant reçu l'avis favorable du bataillon des marins-pompiers de Marseille, consistait en la construction d'un immeuble collectif comportant huit logements sur deux niveaux et dix-neuf places de stationnement, était situé en " zone de prescription incendie de forêt ", au sein d'un espace boisé composé de garrigues et de pins, sur un terrain accidenté présentant un fort dénivelé et sur lequel prospérait une pinède avant l'incendie du 14 juillet 1998, que s'il était desservi par le boulevard Estrangin, il était toutefois implanté à environ trente mètres en arrière de cette voie, que la voie d'accès des véhicules à la construction projetée ne permettait pas l'accès des engins de lutte contre l'incendie et de secours, et que l'escalier permettant l'accès des piétons à la construction ne pouvait être regardé comme palliant cette insuffisance. En statuant ainsi, le tribunal administratif a souverainement apprécié les faits de l'espèce sans les dénaturer et n'a pas entaché son jugement d'erreur de droit.

11. En cinquième et dernier lieu, il ressort des pièces de la procédure que la société OGIC a demandé au tribunal administratif, par son mémoire en défense enregistré le 13 mai 2016, de faire application des dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme permettant de prononcer l'annulation partielle du permis de construire et, le cas échéant, de fixer un délai dans lequel le titulaire du permis pourrait en demander la régularisation, dans le cas où il estimerait que l'un des moyens soulevés contre le permis de construire était fondé. En omettant de se prononcer sur cette demande, après avoir retenu l'un de ces moyens, le tribunal a entaché son jugement d'un défaut de réponse à conclusions.

12. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif a annulé le permis de construire litigieux après avoir jugé que le dossier de permis de construire était incomplet en tant qu'il ne permettait pas de situer le terrain d'assiette dans son environnement proche et lointain et d'apprécier l'impact visuel de la construction projetée, et qu'il méconnaissait les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et de l'article 20 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme. Toutefois, c'est par un motif entaché de dénaturation, ainsi qu'il a été dit au point 6, qu'il a retenu que le dossier de permis attaqué méconnaissait les dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme, et par un motif entaché d'erreur de droit, ainsi qu'il a été dit au point 8, qu'il a retenu que l'autorisation d'urbanisme méconnaissait les dispositions de l'article 20 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme. En outre, il n'a pas recherché, ainsi que cela lui était demandé, si le vice qu'il retenait et tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, faisait obstacle à la régularisation du permis litigieux par un permis modificatif alors que ce vice apparaît, compte tenu de la configuration des lieux, susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et n'est, par suite, pas de nature à justifier à lui seul l'annulation, par le tribunal administratif, du permis de construire. Dès lors, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la société OGIC et de la commune de Marseille tendant à l'annulation du jugement qu'elles attaquent.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société OGIC et de la commune de Marseille, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société OGIC et de la commune de Marseille présentées au titre des mêmes dispositions.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 février 2018 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille.
Article 3 : Le surplus des conclusions des pourvois de la société OGIC et de la commune de Marseille est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société OGIC, à la commune de Marseille et à M. et Mme A... B....

ECLI:FR:CECHS:2019:419646.20191024
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