Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 09/10/2019, 428634
Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 09/10/2019, 428634
Conseil d'État - 7ème - 2ème chambres réunies
- N° 428634
- ECLI:FR:CECHR:2019:428634.20191009
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
09 octobre 2019
- Rapporteur
- M. Marc Pichon de Vendeuil
- Avocat(s)
- SCP GASCHIGNARD
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire rectificatif, enregistrés les 5 mars et 9 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre rejetant la demande qu'il a présentée le 15 octobre 2018 tendant à l'abrogation du quatrième alinéa du II de l'article 3 du décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger cette disposition dans un délai de trois mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Le décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités définit dans son chapitre Ier les règles relatives au droit à pension. Aux termes du II de l'article 3 qui figure dans ce chapitre : " II. - Les agents ayant un enfant vivant âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 % et comptant au moins quinze années de services effectifs, qui cessent leurs fonctions volontairement, sont admis au bénéfice immédiat d'une pension proportionnelle à condition qu'ils aient, pour cet enfant, interrompu ou réduit leur activité dans les conditions définies ci-après. / Sont assimilés à l'enfant mentionné à l'alinéa précédent les enfants énumérés aux 1°, 2°, 3°, 4° et 5° du I de l'article 16 que les intéressés ont élevés dans les conditions prévues au premier alinéa de cet article. / L'interruption d'activité prévue au premier alinéa du présent II doit avoir eu une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour paternité, d'un congé d'adoption, d'un congé de présence parentale, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de disponibilité pour éducation d'enfants ou, pour les personnes ayant exercé une activité salariée ou non salariée antérieurement à leur recrutement par la SNCF, SNCF Réseau ou SNCF Mobilités, dans le cadre d'une interruption de cette activité, pour un motif de même nature, autorisée ou indemnisée au titre d'une disposition législative ou réglementaire. La réduction d'activité prévue au même alinéa doit avoir une durée continue de service à temps partiel telle que la quotité effectivement non travaillée sur cette durée continue soit au moins égale à deux mois. Sont prises en compte les périodes correspondant à un service à temps partiel pour élever un enfant de moins de seize ans. Toutefois, en cas de naissances ou d'adoptions simultanées, la durée d'interruption ou de réduction d'activité prise en compte au titre de l'ensemble des enfants en cause est celle exigée pour un enfant. / Cette interruption ou cette réduction d'activité doit avoir eu lieu pendant la période comprise entre le premier jour de la quatrième semaine précédant la naissance ou l'adoption et le dernier jour du trente-sixième mois suivant la naissance ou l'adoption. / Cependant, pour les enfants énumérés aux 2°, 3°, 4° et 5° du I de l'article 16 que l'intéressé a élevés pendant au moins neuf ans avant leur vingt et unième anniversaire, l'interruption ou la réduction d'activité doit intervenir avant cette date. / Aucune durée minimale d'interruption ou de réduction d'activité n'est exigée lorsque la naissance, l'adoption ou la prise en charge de l'enfant est intervenue alors que l'intéressé n'exerçait aucune activité professionnelle sous réserve que la période pendant laquelle il n'exerçait pas d'activité professionnelle n'ait pas donné lieu à cotisation de sa part dans un régime de retraite de base. (...) ".
2. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
3. Il résulte des dispositions du quatrième alinéa du II de l'article 3 du décret du 30 juin 2008 cité ci-dessus que le bénéfice d'un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate est subordonné à une interruption ou une réduction d'activité du parent durant les trois ans suivant la naissance de l'enfant handicapé. La différence de traitement qui résulte de ces dispositions réglementaires entre les parents d'un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l'âge de trois ans et ceux qui ont réduit ou interrompu leur activité après que leur enfant a atteint cet âge alors qu'il est encore à leur charge, ne se justifie ni par une différence de situation au regard des préjudices de carrière liées à la charge supplémentaire qu'impose l'éducation d'un enfant handicapé, que la mesure vise à compenser, ni par un motif d'intérêt général.
4. Pour les mêmes motifs, n'est pas davantage justifiée la différence de traitement qui résulte des dispositions du cinquième alinéa du II de l'article 3 du décret du 30 juin 2008 citées ci-dessus entre les parents d'un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l'âge de trois ans et les personnes qui, en qualité de conjoints de parent d'un enfant issu d'un mariage précédent, de titulaires d'une délégation de l'autorité parentale, de tuteurs ou ayant recueilli un enfant à leur foyer, ont élevé un enfant handicapé pendant au moins neuf ans avant son vingt et unième anniversaire.
5. Il suit de là que les dispositions réglementaires contestées méconnaissent le principe d'égalité en excluant du bénéfice du départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate les parents d'enfants handicapés ayant interrompu ou réduit leur activité après que leur enfant handicapé a atteint trois ans et alors qu'il est encore à leur charge.
6. Il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le quatrième alinéa du II de l'article 3 du décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités. Cette annulation implique nécessairement la modification des dispositions réglementaires dont l'illégalité a été constatée. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner cette mesure dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il y a également lieu, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, de prononcer contre l'Etat, à défaut pour lui de justifier de l'exécution de la présente décision dans ce délai, une astreinte de 100 euros par jour jusqu'à la date à laquelle cette décision aura reçu exécution.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision implicite née du silence gardé par le Premier ministre sur la demande présentée le 15 octobre 2018 par M. A... est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier le II de l'article 3 du décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 afin de faire cesser les illégalités constatées dans les motifs de la présente décision dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Une astreinte de 100 euros par jour est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de l'exécution de la présente décision dans le délai mentionné à l'article 2 ci-dessus. Le Premier ministre communiquera à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 500 euros à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé, à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la Société nationale des chemins de fer français et à la section du rapport et des études.
ECLI:FR:CECHR:2019:428634.20191009
Par une requête et un mémoire rectificatif, enregistrés les 5 mars et 9 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre rejetant la demande qu'il a présentée le 15 octobre 2018 tendant à l'abrogation du quatrième alinéa du II de l'article 3 du décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger cette disposition dans un délai de trois mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Le décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités définit dans son chapitre Ier les règles relatives au droit à pension. Aux termes du II de l'article 3 qui figure dans ce chapitre : " II. - Les agents ayant un enfant vivant âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 % et comptant au moins quinze années de services effectifs, qui cessent leurs fonctions volontairement, sont admis au bénéfice immédiat d'une pension proportionnelle à condition qu'ils aient, pour cet enfant, interrompu ou réduit leur activité dans les conditions définies ci-après. / Sont assimilés à l'enfant mentionné à l'alinéa précédent les enfants énumérés aux 1°, 2°, 3°, 4° et 5° du I de l'article 16 que les intéressés ont élevés dans les conditions prévues au premier alinéa de cet article. / L'interruption d'activité prévue au premier alinéa du présent II doit avoir eu une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour paternité, d'un congé d'adoption, d'un congé de présence parentale, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de disponibilité pour éducation d'enfants ou, pour les personnes ayant exercé une activité salariée ou non salariée antérieurement à leur recrutement par la SNCF, SNCF Réseau ou SNCF Mobilités, dans le cadre d'une interruption de cette activité, pour un motif de même nature, autorisée ou indemnisée au titre d'une disposition législative ou réglementaire. La réduction d'activité prévue au même alinéa doit avoir une durée continue de service à temps partiel telle que la quotité effectivement non travaillée sur cette durée continue soit au moins égale à deux mois. Sont prises en compte les périodes correspondant à un service à temps partiel pour élever un enfant de moins de seize ans. Toutefois, en cas de naissances ou d'adoptions simultanées, la durée d'interruption ou de réduction d'activité prise en compte au titre de l'ensemble des enfants en cause est celle exigée pour un enfant. / Cette interruption ou cette réduction d'activité doit avoir eu lieu pendant la période comprise entre le premier jour de la quatrième semaine précédant la naissance ou l'adoption et le dernier jour du trente-sixième mois suivant la naissance ou l'adoption. / Cependant, pour les enfants énumérés aux 2°, 3°, 4° et 5° du I de l'article 16 que l'intéressé a élevés pendant au moins neuf ans avant leur vingt et unième anniversaire, l'interruption ou la réduction d'activité doit intervenir avant cette date. / Aucune durée minimale d'interruption ou de réduction d'activité n'est exigée lorsque la naissance, l'adoption ou la prise en charge de l'enfant est intervenue alors que l'intéressé n'exerçait aucune activité professionnelle sous réserve que la période pendant laquelle il n'exerçait pas d'activité professionnelle n'ait pas donné lieu à cotisation de sa part dans un régime de retraite de base. (...) ".
2. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
3. Il résulte des dispositions du quatrième alinéa du II de l'article 3 du décret du 30 juin 2008 cité ci-dessus que le bénéfice d'un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate est subordonné à une interruption ou une réduction d'activité du parent durant les trois ans suivant la naissance de l'enfant handicapé. La différence de traitement qui résulte de ces dispositions réglementaires entre les parents d'un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l'âge de trois ans et ceux qui ont réduit ou interrompu leur activité après que leur enfant a atteint cet âge alors qu'il est encore à leur charge, ne se justifie ni par une différence de situation au regard des préjudices de carrière liées à la charge supplémentaire qu'impose l'éducation d'un enfant handicapé, que la mesure vise à compenser, ni par un motif d'intérêt général.
4. Pour les mêmes motifs, n'est pas davantage justifiée la différence de traitement qui résulte des dispositions du cinquième alinéa du II de l'article 3 du décret du 30 juin 2008 citées ci-dessus entre les parents d'un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l'âge de trois ans et les personnes qui, en qualité de conjoints de parent d'un enfant issu d'un mariage précédent, de titulaires d'une délégation de l'autorité parentale, de tuteurs ou ayant recueilli un enfant à leur foyer, ont élevé un enfant handicapé pendant au moins neuf ans avant son vingt et unième anniversaire.
5. Il suit de là que les dispositions réglementaires contestées méconnaissent le principe d'égalité en excluant du bénéfice du départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate les parents d'enfants handicapés ayant interrompu ou réduit leur activité après que leur enfant handicapé a atteint trois ans et alors qu'il est encore à leur charge.
6. Il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le quatrième alinéa du II de l'article 3 du décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités. Cette annulation implique nécessairement la modification des dispositions réglementaires dont l'illégalité a été constatée. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner cette mesure dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il y a également lieu, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, de prononcer contre l'Etat, à défaut pour lui de justifier de l'exécution de la présente décision dans ce délai, une astreinte de 100 euros par jour jusqu'à la date à laquelle cette décision aura reçu exécution.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision implicite née du silence gardé par le Premier ministre sur la demande présentée le 15 octobre 2018 par M. A... est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier le II de l'article 3 du décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 afin de faire cesser les illégalités constatées dans les motifs de la présente décision dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Une astreinte de 100 euros par jour est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de l'exécution de la présente décision dans le délai mentionné à l'article 2 ci-dessus. Le Premier ministre communiquera à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 500 euros à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé, à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la Société nationale des chemins de fer français et à la section du rapport et des études.