Conseil d'État, Juge des référés, 03/09/2019, 434072, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, Juge des référés, 03/09/2019, 434072, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - Juge des référés
- N° 434072
- ECLI:FR:CEORD:2019:434072.20190903
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
03 septembre 2019
- Avocat(s)
- SCP FOUSSARD, FROGER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 août et
1er septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret du 21 août 2019 portant révocation du maire d'Hesdin (Pas-de-Calais) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, d'une part, un conseil municipal extraordinaire doit se tenir le 4 septembre prochain en vue de le remplacer dans ses fonctions de maire et, d'autre part, il est porté une atteinte grave et immédiate à sa situation car il va perdre ses responsabilités acquises à l'issue d'un scrutin municipal et à l'intérêt de la commune dans le cas où la décision de révocation ne serait pas justifiée ;
- plusieurs moyens sont de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;
- le décret attaqué est insuffisamment motivé ;
- le décret attaqué méconnaît les dispositions de l'article LO. 136-1 du code électoral et le principe " non bis in idem " ;
- le décret attaqué méconnaît les principes de la présomption d'innocence et du respect des droits de la défense dès lors que le requérant n'a pas encore été jugé pour les infractions qui lui sont reprochées et que la décision de révocation est fondée sur de simples mises en examen et des prétendus agissements ;
- le décret attaqué est fondé sur des griefs qui ne sont pas matériellement établis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
La requête a été communiquée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, qui n'a pas produit de mémoire.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le ministre de l'intérieur et la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 2 septembre 2019 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- le représentant de M. B... ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé que l'instruction serait close le 3 septembre 2019 à 10 heures, puis à 16 heures ;
Vu les deux nouveaux mémoires, enregistrés le 3 septembre 2019 avant la clôture de l'instruction, présentés par M. B..., qui maintient ses conclusions et ses moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 3 septembre 2019 avant la clôture de l'instruction, présenté par le ministre de l'intérieur, qui maintient ses conclusions et ses moyens ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ;
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et les administrés ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Le préfet du Pas-de-Calais a informé, par un courrier du 27 juin 2019,
M. B... de l'ouverture d'une procédure tendant à la révocation de ses fonctions de maire d'Hesdin (Pas-de-Calais). L'intéressé a formulé des observations par un courrier du 5 juillet suivant. Par un décret du 21 août 2019, il a été révoqué de ses fonctions de maire d'Hesdin. M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ce décret.
3. Aux termes de l'article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales : " Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n'excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres. / (...) ".
4. En premier lieu, M. B... soutient que le décret attaqué est insuffisamment motivé et qu'il méconnaît les dispositions de l'article LO. 136-1 du code électoral et le principe " non bis in idem ". Toutefois, aucun de ces moyens n'apparaît, en l'état de l'instruction, comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret en litige.
5. En second lieu, le requérant fait valoir, d'une part, que le décret attaqué méconnaît les principes de présomption d'innocence et du respect des droits de la défense dès lors que M. B... n'a pas encore été jugé pour les faits qui lui sont reprochés et que la décision de révocation est fondée sur de simples mises en examen et des prétendus agissements. Il soutient, d'autre part, que le décret attaqué est fondé sur des griefs qui ne sont pas matériellement établis.
6. Toutefois, la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale. Par suite, l'autorité administrative ne méconnaît pas le principe de la présomption d'innocence, y compris dans l'hypothèse où c'est à raison des mêmes faits, étrangers ou non à l'exercice des fonctions de maire, que sont engagées parallèlement les deux procédures, en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le requérant est visé par plusieurs procédures pénales ouvertes par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer. Il est en particulier mis en examen pour prise illégale d'intérêts et complicité de faux en écriture publique. Il est également cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer le 12 septembre 2019 pour détournement de fonds publics.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, dans son rapport du
30 janvier 2019 portant observations définitives sur la gestion de la commune d'Hesdin durant les exercices 2013 et suivants, la chambre régionale des comptes a relevé " une situation très critique du pilotage de l'administration communale, devenu chaotique à bien des égards " et de graves dysfonctionnements de cette administration sous la conduite de son maire, notamment dans le domaine de la gestion financière et de la passation des marchés publics. En outre, les irrégularités relevées concernant certains de ceux-ci ont conduit le procureur financier de cette chambre à saisir le procureur de la République.
9. Au regard de ces éléments et des justifications produites devant le juge des référés par le requérant, les moyens invoqués par celui-ci, cités au point 5, n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension est demandée.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'urgence, que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.