CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 29/08/2019, 17BX02588, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée le 17 février 2015, M. A... et Mme B... G... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les deux arrêtés en date du 11 mars 2013 par lesquels le maire de la commune de Marigny-Chemereau a retiré les permis tacitement accordés et de condamner la commune de Marigny-Chemereau à les indemniser à hauteur de 21 000 euros au titre des pertes de loyers jusqu'en 2014, de 1 400 euros au-delà de cette date, de 39 800 euros au titre des travaux supplémentaires, de 78 480 euros au titre de la perte illégale du caractère constructible des deux terrains sauf meilleur accord et de 5 000 euros au titre de leur préjudice moral.


Par un jugement n° 1500458 du 7 juin 2017, le tribunal administratif de Poitiers a condamné la commune de Marigny-Chemereau à verser à M. et Mme G... la somme de 10 000 euros à titre indemnitaire et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er août 2017, le 20 mars 2018 et le 9 mai 2018 (non communiqué), M. et Mme G..., représentés par Me C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 juin 2017 en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande indemnitaire ;

2°) de constater l'illégalité des décisions portant suspension et retrait de permis de construire tacites et de condamner la commune de Marigny-Chemereau à leur verser la somme de 63 000 euros en réparation de leur préjudice résultant de la perte de loyers pendant 3 ans et 9 mois, de 78 480 euros au titre de la perte de la valeur de leurs terrains et de 5 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marigny-Chemereau le paiement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
- les décisions portant retrait des permis tacites et sursis à statuer ne sont pas motivées en méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 et par suite illégales ;
- la faute de la commune résultant du retrait des permis tacites dans le délai de 18 mois de validité du certificat d'urbanisme pré opérationnel délivré dont ils bénéficient est établie et elle engage la responsabilité de la commune ; les projets de constructions sur ces terrains auraient permis aux propriétaires de percevoir des loyers, la perte financière s'établit à 63 000 euros représentant 3 ans et 9 mois de loyer ; ces préjudices sont dépourvus de caractère éventuel : la perte de la constructibilité des terrains compte tenu du nouveau plan local d'urbanisme doit être évaluée à 78 480 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 novembre 2017 et le 9 avril 2018, la commune de Marigny-Chemereau, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête des époux G..., par la voie de l'appel incident à ce que le jugement du tribunal soit réformé en tant qu'il condamne la commune à verser aux intéressés une somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- les arrêtés attaqués sont suffisamment motivés ; en tout état de cause une insuffisance de motivation desdits actes n'ouvre pas droit à indemnité sur le terrain de la faute ;
- elle n'a commis aucune faute engageant sa responsabilité : en effet, un sursis à statuer peut être opposé à une demande de permis de construire si à la date de délivrance du certificat d'urbanisme, l'une des conditions posées par l'article L. 111-7 du code de l'urbanisme était remplie et ce quand bien même un permis tacite non définitif existait dès lors qu'il était lui-même illégal ; en l'espèce, à la date de délivrance du certificat d'urbanisme le 18 juin 2012, le projet de futur plan local d'urbanisme de la commune était suffisamment avancé pour savoir que les parcelles en litige ne pouvaient donner lieu à une construction sans méconnaître les objectifs de ce futur plan ; la commune était donc tenu de retirer les permis tacites délivrés et de sursoir à statuer sur la demande des requérants ;
- subsidiairement, la perte de valeur vénale des terrains n'est pas en rapport direct avec le retrait des permis tacites, elle ne peut donc donner lieu à indemnisation ; la perte de valeur locative des biens qui devaient être construits sur les parcelles appartenant aux requérants ne peut être indemnisée dès lors qu'elle a un caractère éventuel ; enfin, le préjudice moral allégué n'est pas établi ; à supposer qu'il y ait indemnisation, elle ne pourra être supérieure à la somme attribuée par les premiers juges de 10 000 euros et les intérêts ne courraient que du 11 mars 2013, date de l'arrêté portant retrait de permis tacite, au 12 février 2015, date d'entrée en vigueur du nouveau plan local d'urbanisme.


Par une ordonnance du 11 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 11 juin 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... F...,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Le 18 juin 2012, M. et Mme G... ont obtenu un certificat d'urbanisme informatif pour deux parcelles dont ils sont propriétaires à Marigny-Chemereau (Vienne). Le 10 décembre 2012, ils ont demandé la délivrance de deux permis de construire afin d'édifier des pavillons sur ces terrains. En l'absence de réponse dans le délai de deux mois, deux permis tacites sont nés le 10 février 2013.

2. Par deux arrêtés du 11 mars 2013 le maire de la commune a retiré ces deux permis et par deux autres arrêtés du même jour, il a opposé un sursis à statuer à la demande de M. et Mme G.... Ces derniers ont saisi le tribunal d'une requête tendant, d'une part, à l'annulation des décisions du 11 mars 2013 précitées et, d'autre part, à l'indemnisation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité fautive entachant ces décisions de retrait. Par un jugement du 7 juin 2017 le tribunal a condamné la commune à verser aux époux G... une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi lié à la perte de loyers des parcelles concernées et a rejeté le surplus de leur demande.

3. Les époux G... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande indemnitaire. Par la voie de l'appel incident, la commune de Marigny-Chemereau conclut outre au rejet de la requête, à la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser aux époux G... une indemnité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

4. Le tribunal a jugé qu'en retirant les permis de construire, par ses décisions du 11 mars 2013, prises moins de 18 mois après la délivrance le 12 juin 2012 d'un certificat d'urbanisme, en raison du classement possible des deux parcelles concernées en zone naturelle dans le futur plan local d'urbanisme, sans rapport avec la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique, le maire de la commune de Marigny-Chemereau avait méconnu les termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme et avait ainsi commis une faute engageant la responsabilité de la commune.

5. A cet égard, d'une part, aux termes de l'article L. 111-7 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur, (devenu L. 424-1 à compter du 1er janvier 2016) : " Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus par les articles L. 111-9 et L. 111-10 du présent titre, ainsi que par les articles L. 123-6 (dernier alinéa), L. 311-2 et L. 313-2 (alinéa 2) du présent code et par l'article L. 331-6 du code de l'environnement ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 123-6 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur : " A compter de la publication de la délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, l'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 111-8, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme : " Le certificat d'urbanisme, en fonction de la demande présentée :/ a) Indique les dispositions d'urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d'urbanisme applicables à un terrain ; b) (...) Lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que le certificat d'urbanisme délivré sur le fondement du a) de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme a pour effet de garantir à son titulaire un droit à voir toute demande d'autorisation ou de déclaration préalable déposée dans le délai indiqué examinée au regard des règles d'urbanisme applicables à la date de la délivrance du certificat à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. Parmi ces règles, figure la possibilité, lorsqu'est remplie, à la date de délivrance du certificat, l'une des conditions énumérées à l'article L. 111-7 précité du code l'urbanisme, d'opposer un sursis à statuer à une déclaration préalable ou à une demande de permis. Si l'omission de la mention d'une telle possibilité dans le certificat d'urbanisme peut être, en vertu du cinquième alinéa de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme et du sixième alinéa de l'article A. 410-4 du même code, de nature à constituer un motif d'illégalité de ce certificat, elle ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente oppose un sursis à statuer à une déclaration préalable ou à une demande de permis ultérieure concernant le terrain objet du certificat d'urbanisme.

8. Les permis tacitement accordés le 10 février 2013 puis retirés le 11 mars 2013 n'étaient pas devenus définitifs. Ils ne pouvaient être retirés qu'à condition d'être illégaux. Ce retrait étant motivé par les dispositions du plan local d'urbanisme en cours d'élaboration, la légalité de ce retrait est subordonnée à ce que le maire puisse être regardé comme ayant commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de surseoir à statuer sur la demande présentée par les époux G... eu égard à l'état d'avancement du plan local d'urbanisme en cours d'élaboration.

9. D'une part, si le plan d'occupation des sols de la commune, approuvé le 20 février 1989 modifié le 12 septembre 2005, classait les parcelles cadastrées section A n° 374, 375, 376, 377, 382 et 383 situées au nord de la Trincardière, en secteur ND et NB, dans lequel sont autorisés les constructions, il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 19 avril 2010, la commune de Marigny-Chemereau a prescrit la révision et la transformation du plan d'occupation des sols en plan local d'urbanisme. Le projet de règlement de la révision dudit plan d'occupation des sols débattu lors de réunions du conseil municipal du 2 mai 2011 tel que résultant du projet d'aménagement et de développement durable du 28 mars 2011, ayant donné lieu à un compte rendu du 2 aout 2011 prévoyant le parti d'urbanisme de la commune de lutte contre l'étalement urbain, et ayant été confirmé lors d'une réunion du conseil municipal du 25 novembre 2011, prévoyait que les terrains situés au nord de la Trincardière seront classés en zone naturelle ce qui conduira à exclure davantage de parcelles de l'urbanisation. Ce parti d'urbanisme a d'ailleurs été accentué par un avis défavorable des services de l'Etat rendu le 4 février 2013 sur le premier projet de plan local d'urbanisme qui conduisait à une ouverture à l'urbanisation trop importante nécessitant de revoir les zones constructibles dans les hameaux. Il n'est pas contesté que les parcelles A n° 382 et 383 en litige seraient situées en zone Np, zone naturelle à protéger. Dans ces conditions, l'état d'avancement des travaux d'élaboration du plan local d'urbanisme de la commune de Marigny-Chemereau à la date de la délivrance du certificat d'urbanisme le 18 juin 2012, alors même qu'il n'a été approuvé qu'en janvier 2015, était suffisant pour justifier légalement une décision de sursis à statuer.

10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier qu'eu égard à l'importance du projet envisagé, portant sur la construction de deux maisons individuelles dans un secteur naturel à protéger, ainsi qu'aux orientations susrappelées de la commune, les demandes de permis de construire présentées par M. et Mme G... étaient susceptibles de compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme de la commune.

11. Il résulte de ce qui précède que le maire de la commune a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne prononçant pas le sursis à statuer sur la demande des époux G... et en laissant ainsi naître une décision implicite d'acceptation de cette demande. Par suite, le permis de construire tacitement obtenu étant entaché d'illégalité, le maire de la commune a pu légalement procéder à son retrait le 11 mars 2013 et opposer le même jour un sursis à statuer à leur demande.

12. Il ressort par ailleurs des termes des arrêtés en litige qui énoncent les motifs de droit et de fait sur lesquels ils se fondent qu'ils sont suffisamment motivés. En tout état de cause, l'existence d'un lien de causalité entre la faute qui résulterait d'un défaut de motivation des décisions contestées qui, ainsi qu'il vient d'être dit, sont justifiées au fond, et le préjudice subi n'est pas établie.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Marigny-Chemereau est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu une faute à sa charge et l'a condamnée à verser une indemnité à M. et Mme G... et que ceux-ci ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a limité leur indemnisation à 10 000 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Marigny-Chemereau, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme G... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Marigny-Chemereau et non compris dans les dépens.



DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.
Article 2 : Les conclusions indemnitaires présentées en première instance par M. et Mme G... et le surplus de leurs conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : M. et Mme G... verseront à la commune de Marigny-Chemereau une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et Mme B... G..., et à la commune de Marigny-Chemereau.
Délibéré après l'audience du 9 juillet 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme E... F..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 août 2019.
Le rapporteur,
Caroline F...
Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au préfet de la Vienne, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 17BX02588



Retourner en haut de la page