Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 24/07/2019, 418061

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 14 mai et le 14 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme Catherine Fargetton demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 décembre 2017 par laquelle la première présidente de la cour d'appel de Bourges lui a infligé un avertissement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de l'organisation judiciaire ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laure Durand-Viel, auditeur,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme A...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 juillet 2018, présentée par Mme A...;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 11 décembre 2017, la première présidente de la cour d'appel de Bourges a infligé un avertissement à Mme A..., vice-présidente au service de l'application des peines au sein du tribunal de grande instance de Nevers, pour avoir refusé le 17 mai 2017, en l'absence du chef de juridiction empêché, de statuer sur une demande du procureur de la République de désignation en urgence d'un juge des libertés et de la détention. Mme A...demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision.

2. Aux termes de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire (...) ". Aux termes de l'article 44 de la même ordonnance : " En dehors de toute action disciplinaire, l'inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, les premiers présidents, les procureurs généraux et les directeurs ou chefs de service à l'administration centrale ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. / Le magistrat à l'encontre duquel il est envisagé de délivrer un avertissement est convoqué à un entretien préalable. Dès sa convocation à cet entretien, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en oeuvre de cette procédure. Il est informé de son droit de se faire assister de la personne de son choix. / (...) / L'avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou aucune sanction disciplinaire n'est intervenu pendant cette période ". L'article 45 définit par ailleurs les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats.

3. S'il ne constitue pas une sanction disciplinaire au sens de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, un avertissement donné sur le fondement de l'article 44 de cette ordonnance présente le caractère d'une mesure prise en considération de la personne, qui est mentionné au dossier du magistrat duquel il n'est effacé automatiquement qu'en l'absence de nouvel avertissement ou de sanction disciplinaire dans les trois années suivantes. En vertu des dispositions précitées de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, le magistrat a droit, dès sa convocation à l'entretien préalable, à la communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en oeuvre de la procédure susceptible de conduire au prononcé d'un avertissement.

4. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

5. Il ressort des pièces du dossier que si Mme A...a pu prendre connaissance des pièces figurant à son dossier et de celles qui étaient jointes à sa convocation à l'entretien préalable, le rapport adressé à la première présidente de la cour d'appel de Bourges, établi le 19 mai 2017 par le président du tribunal de grande instance de Nevers au sujet des faits survenus dans ce tribunal le 17 mai 2017 qui ont motivé le prononcé de l'avertissement, n'a, en revanche, pas été communiqué à Mme A..., ainsi qu'il ressort du procès-verbal de l'entretien préalable qui s'est tenu le 17 novembre 2017. Mme A...a ainsi été effectivement privée de la garantie, résultant de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, de recevoir communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en oeuvre de la procédure avant la tenue de l'entretien préalable. Par suite, la décision du 11 décembre 2017 par laquelle la première présidente de la cour d'appel de Bourges lui a infligé un avertissement est intervenue selon une procédure irrégulière.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 11 décembre 2017 par laquelle la première présidente de la cour d'appel de Bourges a infligé un avertissement à Mme Fargetton est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à à et à la Garde Des Sceaux, Ministre De La Justice.

ECLI:FR:XX:2019:418061.20190724
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