Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 24/07/2019, 419366, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 24/07/2019, 419366, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 5ème - 6ème chambres réunies
- N° 419366
- ECLI:FR:XX:2019:419366.20190724
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mercredi
24 juillet 2019
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B...D...et Mme C...D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser la somme de 34 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté pour eux de leur absence de relogement. Par un jugement n° 1708100/6-1 du 12 janvier 2018, le tribunal administratif a partiellement fait droit à leur demande en condamnant l'Etat à verser à ce titre la somme de 400 euros à M.D....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 mars et 28 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme D...demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de leurs conclusions ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros à verser à Me Carbonnier, leur avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de M. A...MmeD....
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 26 juin 2015, la commission de médiation de Paris a reconnu M. B...D...comme prioritaire et devant être relogé en urgence en précisant que la décision valait pour deux personnes. Par un jugement du 18 mai 2016, le tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, d'assurer son relogement et celui de sa fille sous astreinte de 300 euros par mois à compter du 1er août 2016. Au cours de la même période, M. D... a été régulièrement rejoint en France par son épouse, Mme C...D..., et par leurs deux enfants nés au Congo en 2009 et 2012. Mme D...a mis au monde un troisième enfant en France en 2016. M. et Mme D...ont présenté en leur nom propre et au nom de leurs quatre enfants mineurs un recours tendant à être indemnisés des préjudices ayant résulté pour eux de leur absence de relogement. Ils se pourvoient en cassation contre le jugement du 12 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a limité l'indemnisation incombant à l'Etat à la somme de 400 euros à verser à M.D....
2. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence par une commission de médiation, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission. Ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui court à compter de l'expiration du délai de trois ou six mois à compter de la décision de la commission de médiation que les dispositions de l'article R. 441-16-1 du code de la construction et de l'habitation impartissent au préfet pour provoquer une offre de logement.
Sur le jugement en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au nom de Mme D...et de ses enfants mineurs :
3. En refusant, conformément aux règles énoncées au point 2, de procéder à l'indemnisation distincte de Mme D...et des enfants de M. et MmeD..., le tribunal administratif n'a pas soulevé d'office un moyen ni opposé une fin de non-recevoir mais s'est borné, dans le cadre de son office de juge de plein contentieux, à constater que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat à leur égard n'étaient pas réunies. Contrairement à ce qui est soutenu, ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le principe des droits de la défense, ni aucune disposition du code de justice administrative n'exigent que les parties soient informées que des conclusions indemnitaires sont susceptibles d'être rejetées pour ce motif. Les conclusions du pourvoi doivent par suite être rejetées en tant qu'elles sont dirigées contre le rejet des conclusions présentées au nom de Mme D...et de ses enfants mineurs.
Sur le jugement en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au nom de M.D... :
4. En cas de doute sur la consistance du préjudice indemnisable, il appartenait au juge, pour statuer sur le droit à indemnisation de l'intéressé, de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour inviter les parties à lui fournir toute information complémentaire utile. En se bornant à relever une divergence mineure entre les pièces du dossier pour en déduire que les conditions de logement de M. D...ne ressortaient pas clairement des écritures produites devant lui et refuser de tenir compte de ces conditions dans l'évaluation du préjudice causé à l'intéressé par le maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission médiation durant la période de responsabilité de l'Etat, le tribunal administratif a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'annulation de son jugement en tant qu'il statue sur le droit à indemnisation de M.D....
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Il résulte de l'instruction que M. D...est hébergé depuis le 20 mai 2016 dans un hôtel avec son épouse et deux puis, à compter de novembre 2016, trois enfants mineurs, dans une surface inférieure à 25 m2. En application des règles énoncées au point 2 ci-dessus, il y a lieu de prendre en compte pour la réparation des troubles dans les conditions d'existence qu'a entraînés pour lui le maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission de médiation, le nombre de personnes composant son foyer pendant la période de responsabilité de l'Etat, sans limiter ce nombre à celui qui est mentionné dans la décision de la commission. M. D... a été reconnu comme prioritaire et comme devant être relogé en urgence par une décision de la commission de médiation du 26 juin 2015. Compte tenu du nombre de personnes ayant composé son foyer pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui a débuté le 26 décembre 2015, et du fait qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que son handicap rend difficile pour lui l'utilisation d'un escalier alors qu'il est logé au deuxième étage d'un hôtel sans ascenseur, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence dont la réparation incombe à l'Etat en condamnant celui-ci à verser au requérant une somme de 4 500 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision.
7. M. et Mme D...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Carbonnier, avocat des épouxD..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Carbonnier.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 12 janvier 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au nom de M.D....
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D...la somme de 4 500 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera la somme à Me Carbonnier, avocat de M. et MmeD..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...D...et Mme C...D...et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
ECLI:FR:XX:2019:419366.20190724
M. B...D...et Mme C...D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser la somme de 34 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté pour eux de leur absence de relogement. Par un jugement n° 1708100/6-1 du 12 janvier 2018, le tribunal administratif a partiellement fait droit à leur demande en condamnant l'Etat à verser à ce titre la somme de 400 euros à M.D....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 mars et 28 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme D...demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de leurs conclusions ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros à verser à Me Carbonnier, leur avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de M. A...MmeD....
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 26 juin 2015, la commission de médiation de Paris a reconnu M. B...D...comme prioritaire et devant être relogé en urgence en précisant que la décision valait pour deux personnes. Par un jugement du 18 mai 2016, le tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, d'assurer son relogement et celui de sa fille sous astreinte de 300 euros par mois à compter du 1er août 2016. Au cours de la même période, M. D... a été régulièrement rejoint en France par son épouse, Mme C...D..., et par leurs deux enfants nés au Congo en 2009 et 2012. Mme D...a mis au monde un troisième enfant en France en 2016. M. et Mme D...ont présenté en leur nom propre et au nom de leurs quatre enfants mineurs un recours tendant à être indemnisés des préjudices ayant résulté pour eux de leur absence de relogement. Ils se pourvoient en cassation contre le jugement du 12 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a limité l'indemnisation incombant à l'Etat à la somme de 400 euros à verser à M.D....
2. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence par une commission de médiation, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission. Ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui court à compter de l'expiration du délai de trois ou six mois à compter de la décision de la commission de médiation que les dispositions de l'article R. 441-16-1 du code de la construction et de l'habitation impartissent au préfet pour provoquer une offre de logement.
Sur le jugement en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au nom de Mme D...et de ses enfants mineurs :
3. En refusant, conformément aux règles énoncées au point 2, de procéder à l'indemnisation distincte de Mme D...et des enfants de M. et MmeD..., le tribunal administratif n'a pas soulevé d'office un moyen ni opposé une fin de non-recevoir mais s'est borné, dans le cadre de son office de juge de plein contentieux, à constater que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat à leur égard n'étaient pas réunies. Contrairement à ce qui est soutenu, ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le principe des droits de la défense, ni aucune disposition du code de justice administrative n'exigent que les parties soient informées que des conclusions indemnitaires sont susceptibles d'être rejetées pour ce motif. Les conclusions du pourvoi doivent par suite être rejetées en tant qu'elles sont dirigées contre le rejet des conclusions présentées au nom de Mme D...et de ses enfants mineurs.
Sur le jugement en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au nom de M.D... :
4. En cas de doute sur la consistance du préjudice indemnisable, il appartenait au juge, pour statuer sur le droit à indemnisation de l'intéressé, de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour inviter les parties à lui fournir toute information complémentaire utile. En se bornant à relever une divergence mineure entre les pièces du dossier pour en déduire que les conditions de logement de M. D...ne ressortaient pas clairement des écritures produites devant lui et refuser de tenir compte de ces conditions dans l'évaluation du préjudice causé à l'intéressé par le maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission médiation durant la période de responsabilité de l'Etat, le tribunal administratif a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'annulation de son jugement en tant qu'il statue sur le droit à indemnisation de M.D....
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Il résulte de l'instruction que M. D...est hébergé depuis le 20 mai 2016 dans un hôtel avec son épouse et deux puis, à compter de novembre 2016, trois enfants mineurs, dans une surface inférieure à 25 m2. En application des règles énoncées au point 2 ci-dessus, il y a lieu de prendre en compte pour la réparation des troubles dans les conditions d'existence qu'a entraînés pour lui le maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission de médiation, le nombre de personnes composant son foyer pendant la période de responsabilité de l'Etat, sans limiter ce nombre à celui qui est mentionné dans la décision de la commission. M. D... a été reconnu comme prioritaire et comme devant être relogé en urgence par une décision de la commission de médiation du 26 juin 2015. Compte tenu du nombre de personnes ayant composé son foyer pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui a débuté le 26 décembre 2015, et du fait qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que son handicap rend difficile pour lui l'utilisation d'un escalier alors qu'il est logé au deuxième étage d'un hôtel sans ascenseur, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence dont la réparation incombe à l'Etat en condamnant celui-ci à verser au requérant une somme de 4 500 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision.
7. M. et Mme D...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Carbonnier, avocat des épouxD..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Carbonnier.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 12 janvier 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions présentées au nom de M.D....
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D...la somme de 4 500 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera la somme à Me Carbonnier, avocat de M. et MmeD..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...D...et Mme C...D...et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.