Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 24/07/2019, 417984

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 96 451, 02 euros, de 50 000 euros et de 5 000 euros, augmentés respectivement des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices correspondant respectivement à la perte de salaire, à la perte de droits à la retraite et au préjudice moral qu'il estime avoir subis à la suite de son licenciement illégal, alors qu'il exerçait les fonctions de formateur au sein du groupement d'établissements (GRETA) de Dieppe-Caux-Bray-Bresle.

Par un jugement n° 1301908 du 15 septembre 2015, le tribunal administratif de Rouen, faisant partiellement droit à cette demande, a condamné l'Etat à verser à M.A..., à titre de réparation de la perte de salaire et du préjudice moral qu'il a subis, une somme globale de 22 379,56 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2013 et de la capitalisation des intérêts échus au 4 juillet 2013 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date, et a renvoyé M. A... devant le recteur d'académie de Rouen afin que sa situation auprès des organismes de retraite concernés soit régularisée.

Par un arrêt n° 15DA01779 du 7 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement en tant qu'il statue sur le préjudice représentatif de la perte de points subie par M.A..., a condamné l'Etat à lui verser, à ce titre, la somme de 4 050 euros, a recalculé la somme allouée à titre de réparation des préjudices moral et représentatif de la perte de rémunération en la portant à 24 379,56 euros et rejeté le surplus des conclusions.

Par un pourvoi et un mémoire en défense à pourvoi incident, enregistrés les 8 février et 2 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'éducation nationale demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Il soutient que la cour l'a entaché d'une erreur de droit en jugeant que l'Etat pouvait être déclaré responsable des conséquences dommageables de l'éviction irrégulière d'un agent non titulaire d'un GRETA. Il soutient également que le pourvoi incident est mal dirigé et non fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2018, M. A...conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que le moyen soulevé par le ministre n'est pas fondé.

Par un pourvoi incident, enregistré le 17 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat:

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a limité son indemnisation ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le décret n° 93-412 du 19 mars 1993 ;
- le décret n° 93-432 du 24 mars 1993 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B...A...;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... a été recruté par le groupement d'établissements (GRETA) de Dieppe-Caux-Bray-Bresle en tant que formateur vacataire, pour une durée de six mois, du 31 mars au 29 septembre 1999. Au terme de cette période, il a de nouveau été employé, en tant qu'agent non titulaire, au sein du même établissement, afin d'y exercer les fonctions d'enseignant de 3ème catégorie, aux termes de plusieurs contrats d'engagement à durée déterminée, le dernier, au titre de l'année scolaire 2004-2005. Par un jugement du 3 juin 2009 confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 13 janvier 2011 devenu définitif, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Rouen a refusé de requalifier ce dernier contrat en engagement à durée indéterminée et a enjoint à cette autorité de réintégrer l'intéressé en le faisant bénéficier d'un tel engagement. M. A... ayant entre-temps été admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er avril 2009, le recteur a procédé à cette réintégration avec effet rétroactif à la date du 27 juillet 2005, mais a refusé tout droit à rémunération à l'intéressé entre cette date et son admission à la retraite, pour absence de service fait, et a prononcé son licenciement dans l'intérêt du service. Par un jugement du 4 avril 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté. M. A...l'a alors saisi d'une demande de réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son éviction illégale. Par un jugement en date du 15 septembre 2015, le tribunal administratif de Rouen a partiellement fait droit à cette demande en condamnant l'Etat à lui verser la somme globale de 22 379,56 euros et l'a renvoyé devant le recteur de l'académie de Rouen afin que sa situation auprès des organismes de retraite concernés soit régularisée. La cour administrative d'appel de Douai, saisie de l'appel formé par M. A...et de conclusions incidentes présentées par le ministre de l'éducation nationale tendant à l'annulation de ce jugement et au rejet de la demande de M.A..., a condamné l'Etat à verser à M. A...la somme de 24 379,56 euros en réparation du préjudice subi à raison de la perte de salaires et de son préjudice moral et la somme de 4 050 euros au titre du préjudice représentatif de la perte de points de retraite et a rejeté les conclusions incidentes du ministre. Ce dernier se pourvoit en cassation contre cet arrêt. M. A...a introduit un pourvoi incident tendant à l'annulation de cet arrêt en tant qu'il détermine le montant des préjudices qu'il a subis.

Sur le pourvoi du ministre de l'éducation nationale :

2. Aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour la mise en oeuvre de leur mission de formation continue ainsi que de formation et d'insertion professionnelles, les établissements scolaires publics peuvent s'associer en groupement d'établissements, dans des conditions définies par décret (...) ". Aux termes de l'article D. 423-1 du même code, ces groupements d'établissement (GRETA) sont " constitués entre les établissements scolaires publics d'enseignement relevant du ministère de l'éducation nationale " et " sont créés par une convention conclue entre les établissements ", laquelle, en vertu des dispositions de l'article D. 423-3, doit notamment préciser " l'établissement support du groupement " et être approuvée par le recteur d'académie. Aux termes de l'article D. 423-10 du même code : " Le groupement est géré sous forme de budget annexe au budget de l'établissement support du groupement. Il est doté d'une comptabilité distincte ". Aux termes de l'article 18 du décret du 24 mars 1993 sur la mission de formation continue des adultes du service public de l'éducation dans sa version applicable jusqu'au 19 mars 2008, reprise à l'article D. 423-15 du code de l'éducation : " Des fonds académiques de mutualisation des ressources des groupements d'établissements destinés à couvrir les risques liés à l'emploi des personnels, à renforcer l'efficacité de l'activité de ces groupements et à optimiser l'emploi de leurs ressources sont institués dans chaque académie dans des conditions fixées par arrêté interministériel. Ces fonds sont gérés en service spécial dans le budget d'un établissement public local d'enseignement de l'académie, selon le mode de comptabilisation des ressources affectées ".

3. Aux termes de l'article 17 de ce même décret du 24 mars 1993 : " des personnels contractuels peuvent être recrutés dans les conditions prévues à l'article 4, alinéa 2, et à l'article 6 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée pour participer aux activités de formation continue des adultes ". Aux termes de l'article 1er du décret du 19 mars 1993 relatif aux personnels contractuels du niveau de la catégorie A exerçant en formation continue des adultes : " Pour l'exercice des activités de formation continue des adultes, il peut être fait appel à des agents contractuels pour les emplois du niveau de la catégorie A. / Lorsque les fonctions sont exercées dans les groupements d'établissements constitués en application de l'article L. 423-1 du code de l'éducation, les contrats de ces personnels sont conclus par le chef d'établissement support du groupement, avec l'accord du recteur d'académie et, lorsque les fonctions sont exercées dans les groupements d'intérêt public régis par le décret n° 2012-91 du 26 janvier 2012 relatif aux groupements d'intérêt public, les contrats sont conclus par le directeur du groupement d'intérêt public, avec l'accord du recteur d'académie ". Aux termes de l'article 8 du même décret : " Les personnels contractuels recrutés pour exercer leurs fonctions dans les groupements d'établissements ou les groupements d'intérêt public sont rémunérés sur les ressources procurées par la mise en oeuvre des activités de formation continue de ces établissements ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les missions de formation professionnelle font partie des missions légalement dévolues aux établissements publics d'enseignement et que ceux de ces établissements qui relèvent du ministère de l'éducation nationale exercent ces missions en s'associant dans des groupements dépourvus de personnalité morale dits GRETA. Il en résulte également qu'un des établissements publics d'enseignement membres du groupement est désigné comme établissement public support chargé d'en assurer la gestion administrative, financière et comptable, l'ordonnateur et le comptable du groupement étant ceux de cet établissement public support. Les personnels contractuels des GRETA visés aux deux premiers alinéas de l'article 1er du décret du 19 mars 1993 précité sont ainsi recrutés par le chef de l'établissement support du groupement et leur rémunération est assurée par les ressources tirées de l'activité de formation continue de ce groupement, avec l'appui, le cas échéant, du fonds académique de mutualisation des recettes. Dans ces conditions, alors même que ces agents, étant recrutés, en vertu de l'article 17 précité du décret du 24 mars 1993, dans les conditions prévues aux articles 4 et 6 de la loi du 11 janvier 1984, relèvent pour leur gestion, des dispositions de cette loi et de celles du décret du 17 janvier 1986 applicables aux agents non titulaires de l'Etat, ils sont des agents de l'établissement support du GRETA et non des agents de l'Etat et les sommes qui leur sont dues à raison du contrat qui les lie à l'établissement support du GRETA, y compris l'indemnisation des fautes imputables à cet employeur lors de la conclusion, de la mise en oeuvre ou de la rupture de leur contrat, incombent à ce dernier.

5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que M. A..., qui avait été recruté par le chef de l'établissement public support du GRETA de Dieppe-Caux-Bray-Bresle, avait la qualité d'agent non titulaire de l'Etat pour en déduire qu'il était recevable à demander à l'Etat l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de son éviction illégale de ce GRETA, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, le ministre de l'éducation nationale est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

Sur le pourvoi incident de M.A... :

6. L'annulation, sur le pourvoi principal, de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai prive d'objet le pourvoi incident de M. A...en tant qu'il conteste l'évaluation faite par la cour des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son éviction illégale du GRETA de Dieppe-Caux-Bray-Bresle.


7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 7 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de M.A....
Article 4 : Les conclusions présentées par M A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'éducation nationale et à M. A....

ECLI:FR:CECHR:2019:417984.20190724
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