CAA de NANTES, 5ème chambre, 04/06/2019, 17NT03737, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Moëlan-sur-Mer à lui verser les sommes de 448 780 euros, 22 870 euros, 256 967,04 euros, 956,80 euros et 15 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des renseignements erronés concernant la constructibilité du terrain situé au lieu-dit " Kerdoualen ", cadastré section CR n° 110, n° 442 et n° 443.
Par un jugement n° 1500123 du 13 octobre 2017, le tribunal administratif de Rennes a partiellement fait droit à sa demande et condamné la commune de Moëlan-sur-Mer à lui verser une indemnité de 198 763, 78 euros.

Procédure devant la cour :

I/ Sous le n° 17NT03737, par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 décembre 2017 et le 15 novembre 2018, la commune de Moëlan-sur-Mer, représentée par la Selarl Le Roy Gourvennec Prieur, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 octobre 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de M. B...C...une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les parcelles cadastrées CR n° 110, 442, 443 de M. C...font partie d'un espace urbanisé assimilable à un village, de sorte que la parcelle en litige était constructible ; la note de renseignements d'urbanisme du 23 août 2007 était légale au regard de la jurisprudence alors applicable ; la commune n'a donc commis aucune faute en délivrant une telle note ;
- la note de renseignements d'urbanisme litigieuse, purement informative, n'a pas été demandée pour la construction d'une maison d'habitation, mais pour la mutation d'un immeuble bâti ou non bâti " sans modification de son état " ; elle n'avait pas à mentionner les restrictions relatives au littoral ; il n'est pas établi que M. C...avait dès l'acquisition de cette propriété le projet d'y édifier une construction ;
- M.C..., qui était assisté par des professionnels de l'immobilier, a commis une imprudence fautive en se contentant d'une simple note de renseignements d'urbanisme et en s'abstenant de demander un certificat d'urbanisme, ce qui exonère la commune de toute responsabilité ;
- les préjudices allégués par M. C...ne sont pas en lien direct avec la délivrance d'une note de renseignements d'urbanisme purement informative ; il n'est pas établi que
M. C...a acquis sa propriété, qui est déjà construite, en vue d'un projet de construction ;
- la perte de valeur vénale de la propriété n'est pas établie alors que la propriété est déjà construite et qu'aucun projet de construction n'est établi ; la valeur vénale actuelle invoquée de 280 000 euros ne repose pas sur des justifications suffisantes ; les frais d'agence et frais de notaire sont liés à l'acquisition de la propriété ; le préjudice lié au coût du crédit est purement éventuel, de même pour les frais d'architecte ; le préjudice moral n'est pas démontré.


Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2018, M. B...C..., représenté par MeA..., conclut à la jonction des requêtes n° 17NT03737 et 17NT03757, à la réformation du jugement du tribunal administratif en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation du coût de son crédit immobilier, à ce que la commune de Moëlan-sur-Mer soit condamnée à lui verser une indemnité de 256 967,04 euros, à défaut une indemnité de 181 899,04 euros, ainsi qu'une indemnité de 15 000 euros, au rejet de la requête de la commune et à ce que soit mise à la charge de la commune une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les moyens soulevés par la commune de Moëlan-sur-Mer ne sont pas fondés ;
- le coût du crédit qu'il a contracté pour l'achat d'une propriété au vu d'une note de renseignements d'urbanisme incomplète est en lien direct avec la faute de la commune ; subsidiairement, il aurait souscrit, s'il avait été dûment informé, un emprunt d'un montant moins élevé et aurait ainsi subi un préjudice d'au moins 181 899,04 euros ; les premiers juges ont également sous-évalué son préjudice moral, qui justifie l'octroi d'une somme de 15 000 euros.


Vu les autres pièces du dossier.


II/ Sous le n° 17NT03757, par une requête, enregistrée le 12 décembre 2017, M. B...C..., représenté par MeA..., demande à la Cour :

1°) de réformer ledit jugement du 13 octobre 2017 en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation de la commune à lui verser une indemnité pour le coût de son crédit immobilier et insuffisamment apprécié son préjudice moral ;

2°) de condamner la commune de Moëlan-sur-Mer à lui verser les indemnités de 256967,04 euros, ou à tout le moins de 181 899,04 euros au titre des frais de crédit immobilier, et de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Moëlan-sur-Mer une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le coût du crédit qu'il a contracté pour l'achat d'une propriété au vu d'une note de renseignements d'urbanisme incomplète est en lien direct avec la faute de la commune ; subsidiairement, il aurait souscrit, s'il avait été dûment informé, un emprunt d'un montant moins élevé et aurait ainsi subi un préjudice d'au moins 181 899,04 euros ;
- les premiers juges ont également sous-évalué son préjudice moral, qui justifie l'octroi d'une somme de 15 000 euros ;
- le jugement attaqué doit être confirmé pour le surplus.


Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2018, la commune de Moëlan-sur-Mer, représentée par la Selarl Le Roy Gourvennec Prieur, conclut au rejet de la requête de M.C..., et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif et à ce que soit mise à la charge de M. C...une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, par les mêmes motifs que ceux développés dans son mémoire produit dans l'instance n° 17NT03737, que les moyens soulevés par M. C...ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Degommier,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant la commune de Moëlan-sur-Mer, et de MeD..., substituant MeA..., représentant M.C....


Deux notes en délibéré présentées par la commune de Moëlan-sur-Mer ont été enregistrées le 20 mai 2019.
Considérant ce qui suit :

1. M. C...a fait l'acquisition, par acte du 11 octobre 2007, d'un terrain situé au lieu-dit " Kerdoualen " dans la commune de Moëlan-sur-Mer, cadastré CR n° 110, 442 et 443, comportant une maison d'habitation. La note de renseignements d'urbanisme délivrée par le maire de Moëlan-sur-Mer préalablement à la signature de cet acte indiquait que ce terrain était situé en zone UHb au plan d'occupation des sols approuvé le 28 septembre 2005, soumis au droit de préemption urbain et situé dans une zone de protection du patrimoine architectural et urbain. Le 26 mai 2010, le maire de cette commune a délivré à M. C...un certificat d'urbanisme négatif déclarant non réalisable l'opération envisagée de construction d'une habitation sur la parcelle cadastrée CR n° 442. M. C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune à l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi en raison des renseignements erronés selon lui, figurant dans la note de renseignements d'urbanisme concernant la constructibilité de son terrain. Sous le n° 17NT03737, la commune de Moëlan-sur-Mer fait appel du jugement du 13 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Rennes a partiellement fait droit à la demande de M. C...et l'a condamnée à lui verser une indemnité de 198 763,78 euros. Sous le n° 17NT03757, M. C...relève appel de ce même jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation de la commune à lui verser une indemnité pour le coût de son crédit immobilier et insuffisamment apprécié son préjudice moral.


Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n° 17NT03737 et n° 17NT03757, présentées par la commune de Moëlan-sur-Mer et par M. C...sont dirigées contre le même jugement, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.


Sur la responsabilité de la commune de Moëlan-sur-Mer :

3. Il résulte de l'instruction que M. C...a acquis, pour le prix de 457 348 euros, le terrain situé au lieu-dit " Kerdoualen " à Moëlan-sur-Mer, cadastré section CR n° 110, n° 442 et n° 443, que l'acte de vente mentionne que l'acquéreur a pris connaissance des documents d'urbanisme annexés, en particulier de la note de renseignements d'urbanisme délivrée le 23 août 2007 par le maire de Moëlan-sur-Mer. Cette note indique que le terrain est classé en zone urbaine UHb du plan d'occupation des sols approuvé le 29 septembre 2005, qu'il est soumis au droit de préemption urbain et est situé dans une zone de protection du patrimoine architectural et urbain. Toutefois, le 26 mai 2010, le maire de Moëlan-sur-Mer a délivré à M.C..., en réponse à sa demande, un certificat d'urbanisme indiquant que le terrain non bâti cadastré CR n° 442 ne pouvait pas être utilisé pour l'opération envisagée de construction d'une habitation, dès lors que le projet de construction de la maison n'est pas implanté en continuité avec une agglomération ou un village existant au sens du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.

4. D'une part, si la commune de Moëlan-sur-Mer soutient que les dispositions alors applicables du I de l'article L. 146-4, du code de l'urbanisme ne faisaient pas obstacle au caractère constructible de la parcelle cadastrée CR n° 442, un tel moyen ne peut qu'être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges.


5. D'autre part, la note de renseignements précitée ne contenait aucune réserve tenant à l'application des dispositions de la loi du 3 janvier 1986, dite " loi littoral ", et notamment de l'application éventuelle des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, lesquelles restreignent les possibilités de réalisation de tout projet de construction sur la parcelle. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que cette omission était de nature à constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Moëlan-sur-Mer, qui ne saurait utilement invoquer les difficultés d'interprétation de la " loi littoral " pour s'exonérer de sa responsabilité.

6. Toutefois, il résulte de l'instruction que la promesse de vente signée le 22 juin 2007 par M.C..., en vue de l'acquisition de sa propriété, stipulait plusieurs conditions suspensives, notamment celle que " le certificat d'urbanisme à requérir préalablement à la vente de l'immeuble dont s'agit, ne révèle pas l'existence de servitude grave (...) ou tout autre cause et qui seraient susceptibles de déprécier la valeur de l'immeuble ". La note de renseignements précitée du 23 août 2007 indiquait en outre " si une modification de l'immeuble faisant l'objet de la mutation est envisagée, il est conseillé de demander un certificat d'urbanisme ". En s'abstenant, en dépit de ces préconisations explicites, de demander lors de l'acquisition un certificat d'urbanisme, alors qu'il affirme lui-même qu'il envisageait de construire une habitation sur ses parcelles, M. C...a commis une imprudence de nature à exonérer la commune d'une partie de sa responsabilité. Compte tenu de l'existence d'une note de renseignements d'urbanisme, délivrée moins de deux mois avant l'acquisition du terrain, et du fait que M. C... n'est pas un professionnel de l'immobilier, la part de responsabilité lui incombant doit être fixée à 30 %, et la part de responsabilité de la commune de Moëlan-sur-Mer, à 70 %.


Sur les préjudices :

7. Si la délivrance par le maire d'une commune d'une note de renseignements d'urbanisme incomplète quant à la situation d'une parcelle est susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, cette responsabilité ne peut entraîner la réparation du préjudice allégué que si ce dernier est en lien direct avec cette faute.

8. En premier lieu, il est constant que M. C...a acquis en octobre 2007 le terrain situé au lieu-dit " Kerdoualen ", à Moëlan-sur-Mer, au prix de 457 348 euros, alors qu'il résulte de l'instruction, en particulier de l'attestation d'un professionnel de l'immobilier datée du 28 décembre 2016, qu'à cette époque, le terrain aurait été mis en vente aux alentours de 280 000 euros si l'inconstructibilité de la parcelle CR n° 442 avait été connue. Si la commune conteste cette évaluation, elle n'apporte aucun élément précis de nature à faire douter de sa pertinence et ne donne aucune indication sur la valeur qui devrait être retenue. Dès lors les premiers juges n'ont pas fait une évaluation excessive de la perte de valeur vénale en accordant à ce titre une somme de 177 348 euros.

9. En deuxième lieu, les premiers juges ont évalué les préjudices liés aux frais d'agence immobilière, aux frais de notaire et aux frais d'architecte, aux sommes respectives de
8 870 euros, de 10 588,98 euros et de 956,80 euros. Cette évaluation n'est pas sérieusement contestée en appel. Il y a lieu de la confirmer par adoption des motifs retenus par les premiers juges.



10. En troisième lieu, M. C...soutient qu'il n'aurait pas contracté de prêt immobilier s'il avait acquis le terrain en sachant que la parcelle cadastrée section CR n° 442 n'était pas constructible. Il résulte de l'instruction que M. C...a acquis le terrain pour l'essentiel grâce à un prêt immobilier de 450 000 euros et, pour le reste, par un apport personnel. Il est constant que le coût de cet emprunt a été pour le requérant d'un montant de 256 967,04 euros, dont 221 657,04 d'intérêts. Ainsi que l'ont estimé les premiers juges, même s'il avait acquis le terrain au prix de 280 000 euros, la circonstance qu'il n'aurait pas contracté de crédit est purement éventuelle. Toutefois, le coût du crédit, pour un emprunt de 280 000 euros, aurait été nécessairement inférieur. M. C... n'est donc pas fondé à demander l'indemnisation de la totalité du coût de l'emprunt qu'il a contracté. M. C... produit en appel une simulation de crédit faisant apparaître, pour un emprunt de 280 000 euros, au taux de 4,92 % sur 120 mois, un coût total du crédit de 75 068 euros. Cette évaluation n'est pas contestée dans son montant en défense. Il en résulte que le préjudice lié au coût du crédit, hors assurances et frais de dossier et coût des garanties, peut être évalué à la somme de 146.589 euros.

11. En dernier lieu, si M. C...soutient qu'il a subi du fait de la faute de la commune un préjudice moral, compte tenu des circonstances rappelées aux points précédents, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation de ce préjudice en accordant la somme de 1 000 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que le préjudice total subi par M. C...peut être évalué à la somme totale de 344 352,78 euros. Compte tenu du partage de responsabilité retenu, M. C...peut prétendre à une somme de 241 046,94 euros.

13. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la commune de Moëlan-sur-Mer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser une indemnité à M.C..., d'autre part, M. C...est fondé à demander que cette indemnité soit portée à 241 046,94 euros.


Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Moëlan-sur-Mer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Moëlan-sur-Mer une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens.



D E C I D E :


Article 1er : La requête de la commune de Moëlan-sur-Mer est rejetée.

Article 2 : La somme de 198 763, 78 euros que la commune a été condamnée à verser par le tribunal administratif de Rennes est portée à 241 046,94 euros.

Article 3 : Le jugement du 13 octobre 2017 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La commune de Moëlan-sur-Mer versera à M. C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions incidentes de la commune et ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Moëlan-sur-Mer et à M. B... C....


Délibéré après l'audience du 17 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.


Lu en audience publique le 4 juin 2019.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03737,17NT03757



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