CAA de PARIS, 3ème chambre, 28/05/2019, 17PA03665, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 98 909, 93 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite de l'intervention chirurgicale du 24 mai 2012 à l'hôpital Saint-Louis.

Par un jugement n° 1508473/6-1 du 31 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 décembre 2017, 7 juillet 2018 et
2 avril 2019, Mme D...représentée par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 mars 2017 ;

2°) de condamner l'AP-HP et l'ONIAM à lui verser la somme totale de 201 901,93 euros ;

3°) de mettre à la charge de tout succombant le versement de la somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- la responsabilité pour faute de l'AP-HP est engagée en raison du défaut d'information et de consentement, dès lors qu'elle n'a pas bénéficié d'une information conforme aux prescriptions des articles L. 1111-2, L. 1111-4 et L. 6322-1 et 2 du code de la santé publique ; elle n'a pas été informée des risques de nécrose et d'infection et n'a pas donné son accord pour une reconstruction mammaire immédiate lors de l'intervention du 14 mai 2012 ni pour être réopérée par le même chirurgien le 4 juin 2012 ;
- elle a également subi un préjudice d'impréparation ;
- la responsabilité de l'AP-HP est également engagée du fait d'une succession de négligences médicales fautives ; la pose de la prothèse a été faite en pré-musculaire alors qu'elle aurait dû se faire en-dessous du muscle grand pectoral ; elle n'a fait l'objet d'aucune consultation d'admission et que les soins infirmiers et le suivi médical ont été défaillants dans les jours qui ont suivi l'opération ; la délivrance d'un bon de transport par taxi lui a été refusée ; l'équipe médicale ne s'est pas souciée de son suivi postérieurement à sa sortie et ne lui a proposé aucune solution d'accueil avant son retour à domicile ni aucune information sur les aides à domicile ; elle n'a pas été vue par le chirurgien l'ayant opérée avant sa sortie ; sa souffrance postérieurement à l'opération n'a pas été correctement prise en charge sur le plan médical ; des graves manquements en termes d'asepsie ont été commis par l'équipe médicale ;
- la responsabilité de l'AP-HP est également engagée sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 1142-1, I du code de la santé publique, en raison d'une infection nosocomiale contractée lors de l'intervention du 24 mai 2012 ; l'infection n'a pas été diagnostiquée car il n'a pas été réalisé de prélèvement bactériologique le 31 mai 2012 ; l'analyse bactériologique n'a été réalisée que le 5 juin 2012 et révélaient la présence de staphylocoques ; la prescription d'antibiotiques n'était pas adaptée ; les médecins consultés ont tous fait état d'une infection et non d'une nécrose comme indiqué par le DrA... ;
- au titre des préjudices patrimoniaux, elle sollicite l'indemnisation des dépenses de santé restées à sa charge (consultations médicales et de kinésithérapie, médicaments, cure thermale, et assistance d'une tierce personne à domicile) pour un montant de 761,93 euros ;
- elle sollicite également une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle du dommage à hauteur de 120 000 euros ;
- au titre des préjudices extra-patrimoniaux, elle sollicite l'indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 20 140 euros, de son déficit fonctionnel permanent à hauteur de 15 000 euros, de son préjudice esthétique temporaire à hauteur de 3 000 euros, de son préjudice esthétique permanent à hauteur de 15 000 euros, compte tenu de l'impossibilité de procéder à une reconstruction ultérieure du fait de son état de santé ; les souffrances endurées, évaluées à 4,5/7 doivent être indemnisées à hauteur de 15 000 euros ; le préjudice sexuel doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros ; le préjudice d'établissement doit être réparé à hauteur de 5 000 euros ; le préjudice d'agrément doit être réparé à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2019, l'ONIAM représenté par la SCP UGGC Avocats, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- les conditions ne sont pas remplies pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l'article L. 1142-1, II du code de la santé publique, la nécrose cutanée survenue ne pouvant être considérée comme constitutive de conséquences anormales au regard de l'état de santé de Mme D...comme de l'évolution prévisible de celui-ci ;
- l'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne peut davantage être retenue en vertu de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, au titre d'une infection nosocomiale dès lors que l'expertise a écarté l'existence d'une infection nosocomiale ; en outre, le taux de déficit fonctionnel permanent, qui n'est pas connu, ne peut être considéré comme supérieur à 25 %.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2019, l'AP-HP, représentée par
MeG..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et des conclusions susceptibles d'être formées par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, à titre subsidiaire, à ce que le montant des demandes soit ramené à de plus justes proportions et, en tout état de cause, à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la requérante a été correctement informée, par la remise de documents d'information lors de la consultation préopératoire notamment, des risques de l'opération et en particulier du risque accru de nécrose dans un contexte de tabagisme ;
- le moyen tiré de la faute résultant de la réalisation de la reconstruction mammaire immédiate dans un contexte de poursuite d'intoxication tabagique ne peut qu'être écarté ;
- l'expertise a relevé que la prise en charge médicale de Mme D...avait été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science, que l'indication opératoire était correcte, de même que la réalisation de l'acte chirurgicale et le suivi post-opératoire ;
- Mme D...n'a pas été victime d'une infection nosocomiale dans les suites de l'intervention litigieuse du 24 mai 2012 mais d'une nécrose cutanée, avec colonisation secondaire de la plaie par les germes saprophytes de la patiente ;
- à titre subsidiaire, en ce qu'elles excèdent la somme de 98 909,93 euros, les conclusions formées en cause d'appel à hauteur de 201 901,93 euros présentent le caractère de demande nouvelle et se trouvent de ce fait entachées d'irrecevabilité ;
- en tout état de cause, l'AP-HP ne saurait être tenue à l'indemnisation intégrale du préjudice corporel mais à une simple perte de chance d'éviter ces nécroses et dépose subséquentes.

Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2017/025284 du 11 septembre 2017 auprès du tribunal de grande instance.

Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena,
- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.






Considérant ce qui suit :

1. Mme D...a été diagnostiquée d'un cancer du sein droit en février 2012.
Le 24 mai suivant, elle a subi, à l'hôpital Saint-Louis dépendant de l'AP-HP, une mastectomie avec dépistage du ganglion sentinelle et reconstruction mammaire immédiate par prothèse. Une nécrose cutanée au niveau de la cicatrice est toutefois apparue après sa sortie de l'hôpital, laquelle a nécessité une nouvelle intervention le 5 juin 2012 pour procéder à la dépose de la prothèse. En rémission complète de son cancer du sein, Mme D...a néanmoins sollicité une expertise auprès du Tribunal administratif de Paris. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 14 janvier 2013. Désigné comme expert, le docteur F...a rendu son rapport le 6 mai 2013. Mécontente des conclusions de cette expertise, Mme D...a sollicité une contre-expertise qui a été rejetée. Mme D...a alors saisi l'AP-HP d'une réclamation indemnitaire tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa prise en charge au sein du service de chirurgie plastique et reconstructrice de l'hôpital Saint-Louis. En l'absence de réponse de l'administration, elle a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande de versement d'une somme de 98 909, 93 euros en réparation de ses divers préjudices. Par un jugement du 31 mars 2007, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête. Mme D...relève appel de ce jugement et demande à la Cour de condamner l'AP-HP et l'ONIAM à lui verser la somme totale de 201 901,93 euros.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne le défaut de consentement à la reconstruction mammaire immédiate :

2. Aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de l'intervention litigieuse : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que Mme D...a été informée dès le 11 avril 2012, lors du rendez-vous avec son oncologue, de l'éventualité d'une reconstruction mammaire effectuée dans le même temps opératoire que la mastectomie. Elle a alors indiqué vouloir y réfléchir. Cette indication a été réitérée deux semaines plus tard, au cours de la consultation du 24 avril 2012. D'après les notes de consultation établies par le docteurA..., chirurgien plastique à l'hôpital Saint-Louis, Mme D...a alors bien donné son accord pour procéder à une reconstruction mammaire immédiate avec prothèse après avoir été informée des risques de nécrose cutanée compte tenu de l'intoxication tabagique. En outre, la convocation écrite qui lui a été remise en vue de la consultation d'anesthésie du 10 mai 2012 et de son hospitalisation du 23 mai 2012, mentionne expressément qu'il est prévu une reconstruction mammaire immédiate. Mme D...n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la reconstruction mammaire immédiate dont elle a bénéficié le 24 mai 2012 aurait été pratiquée sans son consentement.

En ce qui concerne le défaut d'information préalable et le défaut de consentement éclairé :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 6322-1 du code de la santé publique :
" Sont soumises aux dispositions du présent chapitre les installations où sont pratiqués des actes chirurgicaux tendant à modifier l'apparence corporelle d'une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice. ". L'article L. 6322-2 du même code prévoit que : " Pour toute prestation de chirurgie esthétique, la personne concernée, et, s'il y a lieu, son représentant légal, doivent être informés par le praticien responsable des conditions de l'intervention, des risques et des éventuelles conséquences et complications. Cette information est accompagnée de la remise d'un devis détaillé. Un délai minimum doit être respecté par le praticien entre la remise de ce devis et l'intervention éventuelle. (...) ". L'article D. 6322-30 prévoient que : " En application de l'article L. 6322-2, un délai minimum de quinze jours doit être respecté après la remise du devis détaillé, daté et signé par le ou les praticiens mentionnés aux 1°, 2° et 4° de l'article D. 6322-43 devant effectuer l'intervention de chirurgie esthétique. / Il ne peut être en aucun cas dérogé à ce délai, même sur la demande de la personne concernée. / Le chirurgien, qui a rencontré la personne concernée, pratique lui-même l'intervention chirurgicale, ou l'informe au cours de cette rencontre qu'il n'effectuera pas lui-même tout ou partie de cette intervention. (...) ".

5. L'intervention de mastectomie et de reconstruction mammaire immédiate subie par Mme D...n'était en rien une intervention de chirurgie esthétique mais avait bien, à l'inverse, une visée thérapeutique et reconstructrice. L'appelante n'est donc pas fondée à se prévaloir desdites dispositions ni à faire valoir qu'elle aurait dû se rendre à une seconde consultation, ce dont elle a au demeurant bénéficié.

6. En second lieu, qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.".

7. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. En application des dispositions précitées, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

8. Si Mme D...fait valoir que la consultation préopératoire du 24 avril 2012 avec le docteur A...a été très rapide et qu'elle n'a pas pu lui poser les questions qu'elle souhaitait, elle admet malgré tout s'être vue remettre à cette occasion, deux dossiers intitulés " implant mammaire " et " complications et effets indésirables de la chirurgie ", rédigés par le service de chirurgie plastique de l'hôpital Saint-Louis, dossiers qu'il lui a été demandé d'étudier une fois rentrée chez elle. Il résulte en outre des notes du médecin, produites au dossier, que la patiente lui avait indiqué qu'elle fumait un paquet de cigarettes par jour, et qu'il l'a, lors de la consultation, " informée des risques de nécrose cutanée compte tenu de l'intoxication tabagique ". L'expert relève à ce sujet, dans son rapport, que l'information remise qui comportait plusieurs feuillets était particulièrement détaillée, notamment le chapitre des complications dues aux risques liés au tabagisme, et que toutes les complications, mêmes rares, y étaient abordées. La circonstance selon laquelle l'intéressée n'en aurait pas pris connaissance et qu'elle ne les a pas retournés signés demeure inopérante dès lors qu'ainsi qu'elle l'admet, ces documents lui ont été remis. Dans ces conditions, l'AP-HP doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme rapportant la preuve qui lui incombe que l'information a été délivrée à la patiente dont le consentement préalable à l'intervention du 24 mai 2012 doit être considéré comme ayant été suffisamment éclairé.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme D...ne saurait arguer d'un quelconque préjudice d'impréparation.

En ce qui concerne les fautes médicales :

10. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.(...) Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée (...) ".

11. En premier lieu, il ressort de l'expertise que l'indication d'une reconstruction mammaire immédiate était pleinement justifiée en l'espèce s'agissant d'un cancer localisé ne nécessitant aucun traitement adjuvant. L'expert indique dans son rapport que la majoration du risque de nécrose et d'infection du fait du tabagisme de la patiente ne contre-indiquait pas pour autant la réalisation de la reconstruction mammaire immédiate. Il précise également que de telles complications ne sont pas toujours graves, qu'elles ne rendent pas forcément nécessaires l'ablation de la prothèse, et que ce risque existe en tout état de cause du fait même de l'intervention de mastectomie avec reconstruction immédiate par prothèse en raison des effets conjugués du décollement sous-cutané étendu réalisé lors de la mastectomie et de la tension cutanée importante au niveau des berges de la cicatrice, conséquence de l'implant. Rien n'indique en outre qu'un sevrage tabagique préalable à la reconstruction immédiate aurait permis d'éviter la nécrose. En tout état de cause, et ainsi qu'il a été dit, Mme D...a été informée des risques accrus de nécrose dans son cas et a accepté l'opération en diminuant seulement sa consommation de tabac sans y mettre totalement fin. Dès lors, aucune faute résultant de la réalisation d'une reconstruction dans un contexte de poursuite d'intoxication tabagique ne saurait être retenue à l'encontre de l'AP-HP.

12. En deuxième lieu, si Mme D...persiste à soutenir que le chirurgien a commis une faute en plaçant la prothèse devant le muscle du grand pectoral alors qu'elle aurait dû l'être en-dessous de ce muscle, l'expert indique clairement dans son rapport que l'intervention a été effectuée dans les règles de l'art, le positionnement de la prothèse en prémusculaire ayant permis d'éviter l'apparition de douleurs plus intenses liées au positionnement habituel de la prothèse derrière le muscle pectoral. En outre, rien au dossier ne permet notamment de penser que le choix de placer ladite prothèse devant le muscle aurait été de nature à favoriser l'apparition de la nécrose cutanée qui s'est réalisée.

13. En troisième lieu, si Mme D...soutient également à nouveau devant la Cour qu'elle n'a fait l'objet d'aucune consultation d'admission lors de son arrivée dans le service de chirurgie plastique de l'Hôpital Saint-Louis le 23 mai 2012, que sa feuille de consentement n'a pas été récupérée par le personnel, que l'équipe médicale aurait commis des négligences en matière d'aseptie, qu'elle n'a fait l'objet d'aucune visite de sortie le 27 mai 2012 et qu'un bon de transport par taxi lui a été refusé par le médecin ce même jour, il ne résulte pas de l'instruction que sa prise en charge médicale avant son intervention chirurgicale ou le jour de sa sortie aurait été insuffisante ou mal réalisée, ni que le refus d'un bon de transport par taxi constitue une faute ayant pu être à l'origine d'un des préjudices dont la requérante demande réparation. La circonstance que le personnel n'a pas recueilli son formulaire de consentement signé n'est pas davantage constitutive, en elle-même, d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

14. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que Mme D...a été prise en charge par le docteurC..., médecin membre de l'équipe antidouleur de l'hôpital, dès le
7 juin 2012, soit deux jours après la dépose de sa prothèse. Elle a ensuite continué à être suivie régulièrement dans le service de prise en charge de la douleur de l'hôpital Saint-Louis. Elle a également consulté à plusieurs reprises le chirurgien qui l'a opérée, au cours des mois qui ont suivi l'intervention. Il résulte aussi de l'expertise que la prise en charge des douleurs postopératoires et le suivi de Mme D...par les différentes équipes médicales de l'hôpital Saint-Louis ont été attentifs et consciencieux. Mme D...n'apporte ainsi, pas plus devant la Cour que devant le tribunal, d'élément de justification de nature à démontrer que la prise en charge de ces douleurs aurait été insuffisante. Dès lors, aucune faute dans le suivi postopératoire de Mme D...ne peut être reprochée à l'AP-HP.

En ce qui concerne l'infection nosocomiale :

15. Aux termes du deuxième alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ".

16. La nécrose cutanée dont Mme D...a été victime constitue, ainsi qu'il a été dit, une complication fréquente des interventions de mastectomie avec reconstruction mammaire immédiate, qui se trouve accrue en cas de tabagisme. L'expert a indiqué qu'il n'existait aucun argument pour retenir l'existence d'une infection nosocomiale qui serait à l'origine, partielle ou totale, de ladite nécrose. Il n'a notamment pas relevé sur les photographies prises par l'équipe médicale le 31 mai 2012 de signes de complications infectieuses avérées et notamment de signes cliniques d'infection sur le sein droit tels qu'un gonflement ou une rougeur localisée, quand bien même les divers documents médicaux ont qualifié " d'infection " le dommage subi par
Mme D...à la suite de l'intervention du 24 mai 2012. L'expert a également précisé que les résultats des prélèvements opérés témoignent, comme dans toute nécrose cutanée, de la colonisation secondaire de la peau par les germes saprophytes de la patiente, présents à l'état normal de la peau. Par suite, ni les conditions d'engagement de la responsabilité de l'AP-HP sur le fondement du 2ème alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ni celles de l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique ne sont en l'espèce remplies.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de ses préjudices.


Sur les frais d'expertise :

18. Il y a lieu de maintenir à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale dont Mme D...est bénéficiaire, les frais de l'expertise liquidée et taxée à la somme de 2 800 euros par ordonnance du président du Tribunal administratif de Paris du 30 août 2013.


Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D...demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées de l'AP-HP.




DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'AP-HP sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise devant le Tribunal administratif de Paris taxés et liquidés à la somme de 2 068 euros sont définitivement mis à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale dont Mme D...est bénéficiaire.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., à MeB..., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 mai 2019.

Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
A. DUCHER


La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N°17PA03665



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