CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 28/05/2019, 17BX01662, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les décisions du ministre de la défense lui réclamant un trop perçu de soldes.
Par une ordonnance n° 1700391 du 23 mars 2017, le président du tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 mai 2017 et le 19 juin 2018, M. D..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 23 mars 2017 ;

2°) d'annuler le titre exécutoire lui réclamant une somme de 561,83 euros, ensemble la décision du 17 janvier 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté son recours ;
3°) de le décharger des sommes mises à sa charge et d'enjoindre au ministre de cesser les poursuites à son égard et de restituer les sommes éventuellement prélevées ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevable sa demande pour défaut de production d'une réclamation préalable adressée à la commission de recours des militaires dès lors, d'une part, qu'ayant entendu contester un titre exécutoire au sens de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, il était dispensé, s'agissant d'un recours formé contre une décision qui relève de la procédure organisée par les articles 112 et suivants du décret du 7 novembre 2016, de l'obligation de recours préalable auprès de la commission des recours des militaires ; que, d'autre part, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il a bien adressé, le 11 juillet 2016, une réclamation préalable portant sur le bien fondé de la créance auprès de la DDFIP, à qui il appartenait, en application de l'article R. 4125-3 du code de la défense, de transmettre à la commission des recours des militaires ; et, enfin, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir respecté un préalable obligatoire alors que les décisions contestées ne comportaient aucune mention d'une telle obligation ;
- la prescription de l'action en répétition de la somme de 561,83 euros correspondant à un trop perçu au titre d'indemnités pour charge militaire et un trop perçu au titre de la solde pour les mois de novembre 2011 à janvier 2012 était acquise à la date à laquelle le ministre a transmis, le 6 juillet 2016, une mise en demeure de régler cette somme, le document du 18 décembre 2013, notifié à son lieu d'exercice en qualité de militaire alors que son contrat avait été résilié en janvier 2012 et qui n'est qu'une demande d'émission d'un titre de perception, ne constituant pas un acte interruptif de prescription ;
- le titre contesté, qui ne comporte ni le nom, ni le prénom de la personne qui l'a signé a été pris en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ; la mise en demeure et la décision du 17 janvier 2017 sont entachées de contradiction dès lors que le montant réclamé dans la mise en demeure de 562 euros correspond à un trop perçu d'indemnité qui n'est pas celui de 561,83 euros indiqué par le ministre dans son courrier du 17 janvier 2017 et que le ministre ne justifie pas du bien fondé de la créance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2018, le ministre des armées s'en remet à la sagesse de la cour.

Il informe la cour que la créance de 562 euros dont M. D...a eu connaissance en avril 2015 lors de la réception du titre de perception n° DEFE 142900020132 correspond à un trop versé de 433,70 euros au titre de la solde de base de novembre 2011 et de 128,11 euros au titre de l'indemnité pour charges militaires pour les périodes de novembre et décembre 2011.

Par ordonnance du 23 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 27 juin 2018.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 3 juillet 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Normand, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. A...D..., engagé volontaire de l'armée de terre, a dénoncé le contrat qu'il avait souscrit le 3 novembre 2011 et a été rayé des contrôles à compter du 21 janvier 2012. Il relève appel de l'ordonnance du 23 mars 2017 par laquelle le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du ministre de la défense lui réclamant un trop perçu de soldes.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I. Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédée d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense (...) / III. Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l'encontre d'actes ou de décisions : / (...) 2° (...) qui relèvent de la procédure organisée par les articles 112 à 124 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ".

3. Aux termes de l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, qui, comme les articles reproduits ci-dessous, figure dans le titre II relatif à la gestion budgétaire et comptable de l'État : " Les titres de perception émis en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l'objet de la part des redevables: / 1° Soit d'une opposition à l'exécution en cas de contestation de l'existence de la créance, de son montant ou de son exigibilité ; / 2° Soit d'une opposition à poursuites en cas de contestation de la régularité de la forme d'un acte de poursuite. / L'opposition à l'exécution et l'opposition à poursuites ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance ". Aux termes de l'article 118 du même décret : " Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l'ordre de recouvrer ". Enfin, aux termes de l'article 128 : " Les dépenses de personnel sont liquidées et payées sans engagement ni ordonnancement préalable par les comptables publics désignés par arrêté du ministre chargé du budget, dans les conditions suivantes : / 1° L'ordonnateur certifie le service fait en communiquant au comptable assignataire les bases de calcul nécessaires à la liquidation et à la mise en paiement des rémunérations des agents ainsi qu'à la détermination des retenues à opérer sur celles-ci ; / 2° Le comptable assignataire liquide les rémunérations et procède à leur mise en paiement ".

4. Le président du tribunal administratif de Pau a rejeté comme irrecevable la demande présentée par M. D...au motif que ce dernier n'avait pas adressé la copie du recours préalable obligatoire devant la commission de recours des militaires prévue par les dispositions précitées des articles R. 4125-1 et R. 4125-10 du code de la défense, en dépit de la demande de régularisation adressée par le greffe le 3 mars 2017.

5. Toutefois, il résulte des dispositions reproduites ci-dessus que si la lettre par laquelle l'administration informe un militaire de son intention de procéder à une retenue sur sa solde n'est pas au nombre des exceptions énumérées au III de l'article R. 4125-1 du code de la défense et doit donc faire l'objet d'un recours administratif préalable devant la commission des recours des militaires et si, dans l'hypothèse où l'administration procéderait directement à une retenue sur la solde d'un militaire sans information préalable, la décision révélée par cette opération de dépense régie par l'article 128 du décret du 7 novembre 2012 devrait également être précédée d'un recours devant cette commission, en revanche, en cas de notification au militaire d'un titre de perception, l'opposition à ce titre, émis en application des dispositions de l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, doit être précédée, conformément aux dispositions du 2° du III de l'article R. 4125-1 du code de la défense, d'une réclamation au comptable chargé du recouvrement de l'ordre de recouvrer, et non d'un recours devant la commission des recours des militaires.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que M.D..., qui avait été radié des contrôles de l'armée depuis le 21 janvier 2012, a entendu s'opposer au titre de perception lui réclamant le remboursement de la somme de 562 euros. Il avait notamment produit devant le tribunal le titre de perception émis à son encontre le 29 avril 2014 à la demande du centre expert des ressources humaines et de la solde (CERHS), correspondant à un trop perçu de solde et d'indemnités pour charges militaires et ayant fait l'objet d'une mise en demeure datée du 6 juillet 2016 qu'il a contestée auprès de la direction départementale des finances publiques des Hautes-Pyrénées. Il résulte de ce qui précède que cette réclamation dirigée contre le titre de perception n'avait pas à être précédée d'un recours devant la commission des recours des militaires. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi au motif que l'intéressé n'avait pas justifié du recours adressé à cette commission. L'ordonnance du 23 mars 2017 doit, dès lors, être annulée. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Pau.

Sur les conclusions en annulation :

7. L'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, dispose que: " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement ".

8. Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil.

9. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription biennale instituée par les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du code civil. Il en résulte que tant la lettre par laquelle l'administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu'un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification. La preuve de celle-ci incombe à l'administration.

10. Il résulte de l'instruction que la somme de 562 euros dont le remboursement est réclamé à M. D...et qui a fait l'objet du titre de perception DEFE n° 142900020132, émis le 29 avril 2014 à la demande du CERHS du 18 décembre 2013, correspond à un trop versé de 433,70 euros relatif à la solde de base perçue pour la période du 3 novembre 2011 au 31 janvier 2012 et à un trop perçu de 128,11 euros au titre d'indemnités pour charges militaires sur la période du 3 novembre au 31 décembre 2011. Le délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement de ces rémunérations, a ainsi commencé à courir, pour chacune des sommes indument perçues, à compter, respectivement, du 1er février 2012 et du 1er décembre 2011. Si le ministre indique que M. D...aurait pris connaissance dudit titre portant recouvrement de la créance de 561,83 euros en avril 2015, il n'apporte toutefois aucune preuve de sa notification à l'adresse que l'intéressé avait déclarée. En tout état de cause, à cette date, la prescription biennale était acquise. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que la créance était atteinte par la prescription biennale prévue à l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 doit être accueilli.
11. Il résulte de ce qui précède que M. D...est fondé à demander l'annulation du titre de perception émis le 29 avril 2014, ensemble la décision du 17 janvier 2017 par laquelle le ministre de la défense a maintenu sa demande de remboursement d'un trop versé de 562 euros et la décharge du versement de cette somme.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. M. D...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 % par une décision de la présidente de la cour administrative d'appel du 3 juillet 2017. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. D'autre part, l'avocat de M. D...n'a pas demandé que lui soit versée par l'État la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le remboursement à M. D...de la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par le bureau d'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du 23 mars 2017 du président du tribunal administratif de Pau est annulée.
Article 2 : Le titre de perception émis le 29 avril 2014 et toutes les décisions subséquentes réclamant à M. D...le remboursement de la somme de 562 euros correspondant à des trop-perçus d'indemnités pour charges militaires et de solde de base pour la période du 3 novembre 2011 au 31 janvier 2012 sont annulés et M. D...est déchargé de l'obligation de payer cette somme.
Article 3 : L'État paiera à M. D...la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par le bureau d'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Me B...et au ministre des armées.


Délibéré après l'audience du 30 avril 2019, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 28 mai 2019.


Le rapporteur,



Aurélie C...

Le président,



Éric Rey-BèthbéderLe greffier,



Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX01662



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