Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 27/02/2019, 408457

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge du rappel du droit à restitution des impôts directs dont il a bénéficié au titre de l'année 2010 sur le fondement des articles 1er et 1649-0 A du code général des impôts. Par un jugement n° 1502281 du 29 mars 2016, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16PA01713 du 30 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 28 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M.B....




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que lors de la constitution, le 28 mai 2001, de la société par actions simplifiée La Compagnie du Bocage (CDB), M. B...lui a fait apport de 100 000 actions qu'il détenait dans la société Legris Industries et 391 732 parts de la société en participation (SEP) de VM. En contrepartie de ces apports, il a reçu 50 597 200 actions de la société CDB, dont la valeur unitaire a été fixée à un euro. Les 9 janvier 2008, 21 janvier 2009 et 27 décembre 2010, la société CDB a procédé au rachat partiel de ses titres auprès de M.B..., pour un montant total de 13,8 millions d'euros et réduit son capital social. A la suite d'une vérification de la comptabilité de la société CDB puis d'un contrôle sur pièces du foyer fiscal de M. et MmeB..., l'administration a soumis à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales, au titre des années 2008, 2009 et 2010 respectivement, les plus-values d'échange réalisées en mai 2001 par M.B..., qui ont été regardées comme ayant bénéficié du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts jusqu'à la cession des titres correspondants. Par une proposition de rectification du 19 décembre 2012, l'administration a procédé, en conséquence des rectifications opérées sur le montant du revenu global du foyer, au rappel du droit à restitution dont M. et Mme B... avaient bénéficié, en 2010, au titre du plafonnement des impôts à 50 % de leur revenu de l'année 2008. M. B...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Paris confirmant le jugement du 29 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Paris avait rejeté sa demande tendant à la décharge de ce rappel.

Sur les motifs de l'arrêt relatifs à l'intégration, dans le revenu imposable de l'année 2008, de la plus-value d'échange de 1 690 237 euros :

2. Aux termes du 1 du I de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicables à la date de l'opération d'échange en litige : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que de l'article 150 A bis, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 50 000 F par an ". Aux termes de l'article 150-0 B du même code : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ". Aux termes de l'article 150-0 D de ce code, dans sa rédaction applicable à la cession, en 2008, de titres reçus à l'occasion de l'opération d'échange du 28 mai 2001 : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci (...). / (...) 9. En cas de vente ultérieure ou de rachat mentionné au 6 du II de l'article 150-0 A de titres reçus à l'occasion d'une opération mentionnée à l'article 150-0 B, (...) le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d'acquisition des titres échangés, diminué de la soulte reçue ou majoré de la soulte versée lors de l'échange ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les règles d'imposition des gains nets retirés des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, et qu'y est substituée l'imposition de plein droit des plus-values effectivement réalisées l'année de la cession des titres reçus lors de l'échange.

3. Il résulte, en premier, lieu des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts citées ci-dessus, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 dont elles sont issues, que le législateur a entendu inclure dans le champ du sursis d'imposition les plus-values d'échange procédant de l'ensemble des opérations d'apport à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, qu'elles portent sur des titres représentatifs d'un capital social ou, comme en l'espèce, sur des parts de sociétés de personnes. Par suite, en jugeant que l'opération du 29 mai 2001 par laquelle M. B...a apporté à la société CDB 391 732 parts de la SEP de VM en contrepartie de l'attribution d'actions entrait dans les prévisions de l'article 150-0 B du code général des impôts et qu'ainsi, le requérant n'était pas fondé à soutenir que le droit de reprise de l'administration était prescrit à la date de la proposition de rectification du 15 décembre 2011, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

4. Si, en second lieu, tout membre d'une société en participation qui a pour objet une activité imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux, doit, en principe, être présumé y exercer une activité professionnelle, fût-ce sans l'avoir révélé aux tiers, il en va, en revanche, différemment lorsqu'une ou plusieurs personnes autres que l'intéressé, qu'il s'agisse des associés ou non, ont été désignées pour gérer la société. Dans ce cas, il ne peut être regardé comme exerçant personnellement l'activité mise en société que si sa participation effective à cette activité est établie. Pour juger que la plus-value en litige ne revêtait pas un caractère professionnel et n'était dès lors pas exclue, à ce titre non plus, du champ d'application du régime du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts, la cour a relevé que la gérance de la SEP de VM avait été confiée par ses statuts à la société PJ Legris et Compagnie, que M. B...ne justifiait pas d'un apport en industrie et que sa position d'associé principal et l'importance de la valorisation des parts qu'il détenait, dont il ne résultait pas de l'instruction qu'elle ait procédé d'un intéressement à la performance qui lui aurait été accordé par le groupe Legris Industries, ne suffisaient pas à établir une participation effective à l'activité de la société. En statuant ainsi, par des motifs exempts de dénaturation, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

Sur les motifs de l'arrêt relatifs aux modalités de détermination du droit à restitution :

5. Aux termes de l'article 1er du code général des impôts, alors en vigueur : " Les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. / Les conditions d'application de ce droit sont définies à l'article 1649-0 A ". Aux termes de l'article 1649-0 A du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Le droit à restitution de la fraction des impositions qui excède le seuil mentionné à l'article 1er est acquis par le contribuable au 1er janvier de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4. / Le contribuable s'entend du foyer fiscal défini à l'article 6 (...). / 2. Sous réserve qu'elles aient été payées en France et, d'une part, pour les impositions autres que celles mentionnées aux e et f, qu'elles ne soient pas déductibles d'un revenu catégoriel de l'impôt sur le revenu, d'autre part, pour les impositions mentionnées aux a, b et e, qu'elles aient été régulièrement déclarées, les impositions à prendre en compte pour la détermination du droit à restitution sont : / a) l'impôt sur le revenu dû au titre des revenus mentionnés au 4 ; / b) l'impôt de solidarité sur la fortune établi au titre de l'année qui suit celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4 (...). / 3. Les impositions mentionnées au 2 sont diminuées des restitutions de l'impôt sur le revenu perçues ou des dégrèvements obtenus au cours de l'année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4. (...) / 4. Le revenu à prendre en compte pour la détermination du droit à restitution s'entend de celui réalisé par le contribuable (...) ".

6. En se référant, au 4 de l'article 1649-0 A du code général des impôts cité ci-dessus, au seul critère du revenu " réalisé " par le contribuable, le législateur a entendu que soient pris en compte, dans la détermination du droit à restitution, l'ensemble des éléments de ce revenu, qu'ils aient ou non été déclarés, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que les impositions ne le soient, quant à elles, que pour autant qu'elles aient été " régulièrement déclarées ". La cour n'a donc, en premier lieu, pas commis d'erreur de droit en jugeant que la plus-value réintégrée au revenu imposable de M. et Mme B...au titre de l'année 2008 à la suite d'un redressement devait être prise en compte.

7. Elle n'a, en deuxième lieu, pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que la circonstance que M. B...avait contesté ce redressement devant le juge de l'impôt et que celui-ci n'avait pas statué sur cette requête par une décision définitive n'était, en l'absence de disposition législative le prévoyant, pas de nature à faire obstacle à ce que l'administration tire les conséquences de cette rectification du montant du revenu qu'il avait réalisé en 2008 sur l'étendue de son droit à restitution acquis au 1er janvier 2010, le rappel de ce droit à restitution pouvant lui-même, le cas échéant, faire l'objet d'une réclamation.

8. Si, en troisième lieu, il résulte des dispositions du 3 de l'article 1649-0 A du code général des impôts citées au point 5 que les restitutions ou les dégrèvements obtenus et, par symétrie, les minorations de revenus imposables qui sont, le cas échéant, à l'origine de ces restitutions ou dégrèvements, sont pris en compte pour la détermination du droit à restitution ouvert au titre de l'année suivant celle au cours de laquelle ces restitutions et dégrèvements sont intervenus, quelle que soit l'année d'imposition à laquelle ils se rapportent, il ne saurait s'en déduire que les majorations de revenus imposables ne devraient être prises en compte, pour le calcul du droit à restitution, qu'au titre des revenus de l'année suivant celle de la mise en recouvrement des suppléments d'imposition correspondants, alors au demeurant qu'il résulte du 2 du même article que les impositions supplémentaires résultant d'une procédure de rectification ne sont pas prises en compte pour apprécier le montant du droit à restitution. Par suite, en jugeant que, dans ces conditions et dès lors que le droit à restitution est, aux termes du 1 de l'article 1649-0 A, acquis par le contribuable au 1er janvier de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus, l'administration avait pu à bon droit tirer les conséquences du rattachement à l'année 2008 de la plus-value en litige sur le calcul du droit à restitution acquis par M. et Mme B...au 1er janvier 2010, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B...est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2019:408457.20190227
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