CAA de NANCY, 4ème chambre - formation à 3, 26/02/2019, 18NC00051, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Granimond a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Saint-Avold à lui verser la somme de 54 036,93 euros, outre intérêts et capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des irrégularités entachant la procédure de passation d'un marché.

Par un jugement n° 1600573 du 8 novembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 janvier 2018 et le 1er janvier 2019, la SARL Granimond, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 novembre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner la commune de Saint-Avold à lui verser la somme de 54 036,93 euros, outre intérêts et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Avold la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dans la mesure où il est entaché d'une dénaturation des faits, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les illégalités commises par la commune lui ont causé un préjudice en la mettant dans l'incapacité de présenter une offre ;
- la commune a manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence et ne peut se prévaloir d'une situation d'urgence ;
- la définition de ses besoins par le pouvoir adjudicateur est insuffisante au regard des critères de notation ;
- le lien de causalité entre son éviction et son préjudice est démontré dès lors qu'elle disposait d'une chance sérieuse d'obtenir le marché ;
- elle n'était pas dépourvue de toute chance de se voir attribuer le contrat ;
- le montant de son préjudice est justifié.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 mars 2018 et le 7 janvier 2019, la commune de Saint-Avold, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme
de 1 500 euros soit mise à la charge de la SARL Granimond au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le moyen tiré de la dénaturation des faits est irrecevable et non fondé ;
- les premiers juges n'ont commis aucune erreur manifeste d'appréciation ni erreur de droit dès lors que la procédure de passation est régulière ;
- il n'existe aucun lien de causalité direct entre la faute et le préjudice ;
- le montant du préjudice n'est pas justifié.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président assesseur,
- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,
- et les observations de Me Immelé, avocat de la commune de Saint-Avold.



Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 7 septembre 2015, la commune de Saint-Avold a confié à la société Cimtea un marché de conception et de réalisation d'un monument aux morts selon la procédure adaptée. Estimant que des irrégularités avaient été commises dans la procédure de passation de ce marché, la SARL Granimond a présenté à la commune une demande indemnitaire préalable le 2 octobre 2015, restée sans réponse. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Avold à lui verser la somme de 54 036,93 euros en raison des préjudices qu'elle estime avoir subis pour avoir été fautivement évincée de ce marché.

Sur la régularité du jugement :

2. Les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait entaché de dénaturation des faits de l'espèce, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation concernent le bien-fondé de ce jugement et non sa régularité, à l'égard de laquelle ils sont inopérants.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la procédure de passation du marché :

3. Aux termes de l'article 1er du code des marchés publics alors applicable : " (...) II.-Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code. ". Aux termes de l'article 28 de ce code : " (...) I.-Lorsque leur valeur estimée est inférieure aux seuils de procédure formalisée définis à l'article 26, les marchés de fournitures, de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée, dont les modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat. ".

4. Si le pouvoir adjudicateur est libre, lorsqu'il décide de recourir à la procédure adaptée, de déterminer, sous le contrôle du juge administratif, les modalités de publicité et de mise en concurrence appropriées aux caractéristiques de ce marché, notamment en ce qui concerne le délai laissé aux opérateurs économiques pour lui remettre une offre, celui-ci doit être suffisant, au regard notamment de l'objet du marché envisagé, de son montant, de l'urgence à le conclure, de la nature des prestations, de la facilité d'accès aux documents de la consultation, de la nécessité éventuelle d'une visite des lieux et de l'importance des pièces exigées des candidats, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures énoncés par l'article 1er du code des marchés publics, applicables à tous les marchés publics quelle que soit leur procédure de passation.

5. Il résulte de l'instruction que la commune de Saint-Avold a décidé d'assurer la publicité de la mise en concurrence pour l'attribution du marché en litige, d'un montant estimatif de 50 000 euros, au moyen d'une publication dans un journal d'annonces légales, d'une diffusion sur un site internet et sur une plateforme de dématérialisation et enfin par voie d'affichage en mairie. En particulier, l'avis d'appel public à la concurrence a été publié le 11 août 2015 sur la plateforme de dématérialisation des marchés " Klekoon ", le 12 août 2015 sur le site " centraledesmarchés.com " et, le 13 août 2015, dans un journal d'annonces légales locales, " La Semaine ". Le règlement de la consultation a fixé la date de remise des offres au 24 août 2015 à 11 h 00, soit entre onze et treize jours suivant la publication de l'avis d'appel public à la concurrence. Il prévoyait cependant en son article 2.13, que la visite du site d'implantation du monument, fixée au 17 août 2015, constituait, pour les candidats, une obligation dont le respect était constaté par la remise d'une attestation qui devait être jointe à leur offre et sans laquelle cette dernière serait considérée comme incomplète.

6. Contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Avold, et alors qu'il résulte de l'instruction que le monument aux morts avait été endommagé le 15 décembre 2015 à la suite d'un accident d'automobile et qu'aucun motif n'est avancé pour justifier que la procédure d'appel d'offres ne soit engagée que plus de huit mois après la survenue de ce dommage, la nécessité de réaliser les travaux avant les cérémonies de commémoration du 11 novembre 1918 ne saurait constituer une situation d'urgence qui pouvait régulièrement justifier l'extrême brièveté des délais impartis aux candidats pour présenter, eu égard en particulier à la date fixée pour la visite obligatoire du site, une offre régulière. Il en résulte que la SARL Granimond, qui n'a pas été en mesure, pour ce motif, de présenter une offre, est fondée à soutenir que la procédure d'attribution de ce marché a méconnu les principes de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats prescrits par l'article 1er précité du code des marchés publics.
En ce qui concerne le préjudice :

7. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

8. D'une part, compte tenu de son domaine d'activité et de son expérience dans le secteur des monuments, attestée par les rapports de fin de chantier qu'elle a produits, la SARL Granimond doit être regardée comme n'ayant pas été dépourvue de toute chance d'obtenir ce marché. Toutefois, n'ayant exposé aucun frais en vue de présenter une offre, elle ne peut prétendre à l'indemnisation de telles dépenses.

9. D'autre part, pour soutenir qu'elle avait une chance sérieuse d'obtenir le marché, la SARL Granimond se borne à verser diverses attestations de fin de chantier qui lui ont été délivrées par des communes lui ayant antérieurement confié des prestations similaires à celles du marché litigieux. Toutefois, elle n'apporte aucune pièce de nature à démontrer qu'elle aurait été en mesure de présenter une offre qui, au regard de son prix et des qualités techniques, avait des chances sérieuses d'être retenue pour satisfaire les besoins du pouvoir adjudicateur. Elle ne justifie pas davantage le préjudice moral résultant des irrégularités invoquées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Granimond n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Granimond est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Avold au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Granimond et à la commune de Saint-Avold.
2
N° 18NC00051



Retourner en haut de la page