CAA de PARIS, 5ème chambre, 14/02/2019, 16PA03176, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...C...ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 ainsi que des intérêts de retard et des pénalités y afférents.

Par un jugement n° 1419457 en date du 12 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a fait droit à leur demande et mis à la charge de l'État une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 28 octobre 2016 et un mémoire enregistré le 29 novembre 2017, le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1419457 du 12 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rétablir M. et Mme C...au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2008, à raison des droits et pénalités dont la décharge a été prononcée par le Tribunal.

Le ministre de l'économie et des finances soutient que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge des impositions en litige, dès lors qu'elles procèdent de la taxation de la fraction d'un gain qui présente la nature d'un complément de salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires.


Par un mémoire en défense enregistré le 9 août 2017, M. et MmeC..., représentés par MeB..., demandent à la Cour de rejeter le recours du ministre de l'économie et des finances et de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. et Mme C...soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'économie et des finances ne sont pas fondés.

L'instruction a été close le 30 avril 2018 par une ordonnance du même jour prise en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que le gain en litige a été réalisé par la société Adlitt, qui est une société de personnes relevant du régime de l'article 8 du code général des impôts, non soumise à l'impôt sur les sociétés, et dont les résultats ne sont pas imposables dans la catégorie des traitements et salaires.

Par un mémoire enregistré le 11 janvier 2019, présenté en réponse à la communication du moyen d'ordre public par la Cour, le ministre de l'action et des comptes publics persiste dans ses conclusions.

Le ministre fait valoir qu'en se dépossédant de l'avantage qui lui a été consenti par la société Wendel par la cession à la société Adlitt des actions de préférence CDO à leur prix de revient, le contribuable a souhaité faire bénéficier, sans contrepartie, la société du bonus à percevoir lors du débouclage du schéma d'investissement ; la perception de ce bonus par la société s'analyse comme un acte de disposition de M. C...qui a permis à la société de bénéficier de l'avantage consenti par le groupe Wendel à M.C... ; l'imposition d'un gain dans une catégorie n'est pas nécessairement attachée à la qualité de la personne qui le perçoit ; la circonstance que le gain ait été encaissé par la société civile Adlitt n'est pas de nature à remettre en cause sa nature salariale.


Vu les autres pièces du dossier.




Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poupineau ;
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.




Considérant ce qui suit :

1. La société Wendel Investissement a acquis le 30 septembre 2004 le groupe Editis Holding, second groupe d'édition français, qu'elle a revendu le 30 mai 2008 au groupe espagnol Planeta. Parallèlement, elle a mis en place des instruments juridiques et financiers visant à associer à cette opération certains de ses cadres dirigeants, afin de leur permettre d'appréhender, au travers de prises de participations, une partie du gain réalisé lors de la revente d'Editis en 2008. M. C..., directeur juridique du groupe Wendel, a ainsi, les 27 décembre 2004 et 16 novembre 2005, acquis 2000, puis 250 actions de préférence de la société CDO, constituée à cet effet et conçue comme un véhicule d'investissement, au prix unitaire de 20 euros, qu'il a cédées à leur prix de revient, le 18 décembre 2007, à la société civile Adlitt, créée avec son épouse le 17 décembre 2007, et dont il était le gérant. Cette société a, le 20 mai 2008, cédé ses actions de préférence à la société Ofilux Finances pour un montant total de 1 430 548 euros et a ainsi réalisé un gain net de 1 385 548 euros. La plus-value correspondante a été placée sous le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières dans la déclaration de revenus souscrite par M. et Mme C...au titre de l'année 2008. A la suite d'un contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. et MmeC..., le service a considéré que le gain ainsi réalisé constituait, à concurrence de 63,54 % de son montant, un complément de salaire accordé à M. C...à raison des fonctions qu'il exerçait alors au sein du groupe Wendel, dès lors qu'il résultait, dans cette proportion, du mécanisme d'investissement mis en place, financé et contrôlé par le groupe Wendel, et qu'il n'avait demandé de la part de M. C... qu'un investissement limité et non risqué. Il a, en conséquence, taxé cette fraction du gain, s'élevant à la somme de 880 377 euros, dans la catégorie des traitements et salaires et mis en recouvrement une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu assortie des intérêts de retard et des pénalités pour manquement délibéré sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement en date du 12 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris, faisant droit à la demande des contribuables, a prononcé la décharge de cette imposition et des pénalités correspondantes et mis à la charge de l'État une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'économie et des finances relève appel de ce jugement et demande à la Cour de rétablir M. et Mme C...au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2008, à raison des droits et pénalités dont la décharge a ainsi été prononcée par le Tribunal.

2. Aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) Il en est de même, sous les mêmes conditions : 1° Des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées à l'article 206 1 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ; (...) ". Aux termes de l'article 238 bis K de ce code : " (...) II. Dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité et du montant des recettes de la société ou du groupement ".

3. Il résulte de l'instruction que la société civile Adlitt, dont M. et Mme C...étaient les associés et à laquelle ils ont cédé, le 18 décembre 2007, les actions de préférence de la société CDO pour leur valeur d'origine, n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés. Elle n'était, par nature, pas salariée du groupe Wendel ni d'aucun autre employeur. Par suite, le service, qui n'a pas entendu écarter l'interposition de la société Adlitt comme ne lui étant pas opposable, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, au motif qu'elle présentait un caractère fictif ou que sa création répondait à un but exclusivement fiscal en vue d'une application littérale de textes ou de décisions en méconnaissance des objectifs de leurs auteurs, ne pouvait pas requalifier en complément de salaire, même pour partie, le gain dégagé par la cession des titres CDO à la société Ofilux Finances par la société Adlitt, et ce, alors même que M. C..., qui contrôlait et dirigeait cette société, exerçait lui-même une activité salariée au sein de la société Wendel. En conséquence, c'est à tort que le service a requalifié une fraction de cette plus-value en complément de salaires et qu'il l'a, par suite, imposée entre les mains de ses associés dans la catégorie des traitements et salaires.

4. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme C...ont été assujettis au titre de l'année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités y afférents.

5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. et Mme C...au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



DÉCIDE :



Article 1er : Le recours du ministre de l'économie et des finances est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de M. et Mme C...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à M. et Mme A...C....


Délibéré après l'audience du 31 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président-assesseur,
- M. Doré, premier conseiller.



Lu en audience publique, le 14 février 2019.


Le rapporteur,
V. POUPINEAULe président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
C. RENÉ-MINE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 16PA03176



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