CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 15/01/2019, 17MA00578, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud notifiée le 13 mars 2015 par l'intermédiaire du contrôleur général directeur départemental de la sécurité publique du Var portant rejet de sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1500855 du 13 décembre 2016, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de Mme A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2017, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500855 du 13 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête ;

2°) d'annuler la décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud notifiée le 13 mars 2015 par l'intermédiaire du contrôleur général directeur départemental de la sécurité publique du Var portant rejet de sa demande de protection fonctionnelle ;

3°) d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
* le refus de protection fonctionnelle est entaché d'une erreur de droit alors qu'elle est victime d'attaques consistant en un harcèlement sexuel et moral et une discrimination ;
* l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en présence de témoignages de collègues en ce sens et d'une procédure pénale.


Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 22 novembre 2018.


Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête de Mme A... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
* la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
* la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
* la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
* le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Jorda,
* et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., gardien de la paix titulaire, a été affectée à la brigade spécialisée de terrain au sein du commissariat de police de la Seyne-sur-Mer à compter du 1er février 2011. Par courrier du 17 septembre 2014, elle a sollicité la protection fonctionnelle en vue d'engager une action pénale à l'encontre de deux de ses supérieurs pour des faits de harcèlement sexuel et moral. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté son recours pour excès de pouvoir contre la décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud notifiée le 13 mars 2015 par l'intermédiaire du contrôleur général directeur départemental de la sécurité publique du Var portant rejet de cette demande de protection fonctionnelle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales ". En vertu du troisième alinéa du même article : " La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer le cas échéant le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général.

3. Aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers./ Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire : / 1° Parce qu'il a subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas, y compris, dans le cas mentionné au a, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés ; / 2° Parce qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ; / 3° Ou bien parce qu'il a témoigné de tels faits ou qu'il les a relatés./ Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. ".

4. Il résulte de ces dispositions que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

5. De plus, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.



6. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

7. En l'espèce, Mme A... soutient avoir fait l'objet régulièrement entre janvier et septembre 2012, dans l'exercice de ses fonctions de gardien de la paix à la brigade spécialisée de terrain du commissariat de police de la Seyne-sur-Mer, d'attaques verbales injurieuses et obscènes et de propositions à caractère sexuel de son supérieur hiérarchique, le brigadier-chef de police Durot, adjoint au chef de cette unité de police, ainsi que de harcèlement moral de la part de ce dernier, le brigadier-major de police Frut, qui l'aurait notamment dénigrée publiquement sur un réseau social par la mise en cause de la réalité de son accident du travail du 22 novembre 2013 et intimidée par la menace d'une mutation au service des plaintes. Mme A... a sollicité de son employeur le bénéfice de la protection fonctionnelle pour ces faits qu'elle qualifie de harcèlement sexuel et moral à la suite de la plainte pénale déposée contre ces deux supérieurs auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulon le 23 avril 2014. En première instance, Mme A... a produit ses courriers et plaintes, la lettre du 26 novembre 2014 du procureur de la République procédant au classement sans suite de sa plainte, ainsi que sa nouvelle plainte, avec constitution de partie civile, déposée auprès de la vice-présidente chargée de l'instruction près le tribunal de grande instance de Toulon en date du 4 février 2015. En appel, il ressort des nouveaux éléments produits pour la première fois en appel, qu'entre le 10 et le 22 juillet 2014, dans le cadre de l'enquête diligentée par l'inspection générale de la police nationale, quatre de ses collègues ont témoigné en sa faveur en relatant de manière particulièrement circonstanciée certains faits commis à son encontre en tant que fonctionnaire de police et imputés à ces deux supérieurs. Mme A... apporte ainsi à l'appui de ses dires des éléments suffisants pour faire présumer de la matérialité des faits d'attaques dont elle se dit victime à la date de la décision attaquée, contrairement à ce que fait valoir le ministre de l'intérieur en défense qui, par ailleurs ne renverse pas une telle présomption. Dans ces conditions, elle est fondée à soutenir que, s'agissant de telles agressions de harcèlement, tant sexuel d'abord que moral ensuite, l'administration a, en ne lui accordant aucune protection, méconnu les dispositions visées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions en annulation de la décision de refus de sa demande de protection fonctionnelle.


En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

10. L'annulation de la décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud notifiée le 13 mars 2015 par l'intermédiaire du contrôleur général directeur départemental de la sécurité publique du Var portant rejet de la demande de protection fonctionnelle de Mme A... implique nécessairement que lui soit accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à l'État d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. L'article L. 761-1 de ce code dispose : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.




D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1500855 rendu le 13 décembre 2016 par le tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : La décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud notifiée le 13 mars 2015 par l'intermédiaire du contrôleur général directeur départemental de la sécurité publique du Var portant rejet de la demande de protection fonctionnelle de Mme A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de prendre une décision reconnaissant le bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme A..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Défenseur des droits.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, où siégeaient :

* M. Gonzales, président,
* M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
* M. Jorda, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 15 janvier 2019.
N° 17MA00578 2



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