Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 17/12/2018, 416311

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 6 décembre 2017, 28 février 2018 et 20 juillet 2018, l'association Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité (CDARS) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2017-724 du 4 octobre 2017 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) prononçant à son encontre une sanction pécuniaire d'un montant de 25 000 euros ;

2°) de mettre à la charge du CSA une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Le Griel, avocat du Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat du Conseil supérieur de l'audiovisuel.




1. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 " ; qu'aux termes de l'article 42-1 : " Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : / (...) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme ; (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 42-2 : " Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation " ;

2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 : " La délivrance des autorisations d'usage de la ressource radioélectrique pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre autre que ceux exploités par les sociétés nationales de programme, est subordonnée à la conclusion d'une convention passée entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel au nom de l'Etat et la personne qui demande l'autorisation. / (...) / La convention mentionnée au premier alinéa définit également les prérogatives et notamment les pénalités contractuelles dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour assurer le respect des obligations conventionnelles. Ces pénalités ne peuvent être supérieures aux sanctions prévues aux 1°, 2° et 3° de l'article 42-1 de la présente loi ; elles sont notifiées au titulaire de l'autorisation qui peut, dans les deux mois, former un recours devant le Conseil d'Etat " ; qu'aux termes de l'article 4-2-2 de la convention relative au service " Radio Courtoisie ", conclue le 8 février 2012 entre le CSA et l'association Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité : " Sans préjudice des sanctions prévues aux articles 42-1 et suivants de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut, en cas de non-respect des obligations qui sont imposées par la décision d'autorisation ou de l'une des stipulations de la convention ou des avenants qui pourraient lui être annexés, prononcer contre le titulaire une des sanctions suivantes compte tenu de la gravité du manquement et après mise en demeure : (...) 3°) une sanction pécuniaire, dont le montant ne peut dépasser le plafond prévu à l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 précitée " ; que l'article 4-2-4 de la convention prévoit que les sanctions mentionnées à ses articles 4-2-2 et 4-2-3 sont prononcées dans le respect des garanties fixées par les articles 42 et suivants de la loi du 30 septembre 1986 ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de propos tenus en plusieurs occasions en 2015 et 2016 sur l'antenne de " Radio Courtoisie ", service radiophonique autorisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et diffusé par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence, le CSA, par une décision du 4 octobre 2017, a infligé au titulaire de l'autorisation, l'association " Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité " (CDARS), une sanction pécuniaire de 25 000 euros pour avoir méconnu les obligations résultant pour elle des articles 2-4 et 2-10 de la convention du 8 février 2012, relatifs, respectivement, à la prohibition des encouragements à la discrimination et à la maîtrise de l'antenne, à l'occasion d'émissions diffusées le 5 octobre 2015 et les 15 février, 28 mars et 11 avril 2016 ;

Sur la régularité de l'instruction préalable :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 : " Les sanctions prévues aux articles 42-1, 42-3, 42-4, 42-15, 48-2 et 48-3 sont prononcées dans les conditions suivantes : / 1° L'engagement des poursuites et l'instruction préalable au prononcé des sanctions prévues par les dispositions précitées sont assurés par un rapporteur nommé par le vice-président du Conseil d'Etat, après avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, parmi les membres des juridictions administratives en activité, pour une durée de quatre ans, renouvelable une fois ; / 2° Le rapporteur peut se saisir de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction ; / 3° Le rapporteur décide si les faits dont il a connaissance justifient l'engagement d'une procédure de sanction. / S'il estime que les faits justifient l'engagement d'une procédure de sanction, le rapporteur notifie les griefs aux personnes mises en cause, qui peuvent consulter le dossier et présenter leurs observations dans un délai d'un mois suivant la notification. Ce délai peut être réduit jusqu'à sept jours en cas d'urgence. Le rapporteur adresse une copie de la notification au Conseil supérieur de l'audiovisuel ; / 4° L'instruction est dirigée par le rapporteur, qui peut procéder à toutes les auditions et consultations qu'il estime nécessaires. / Le Conseil supérieur de l'audiovisuel met à la disposition du rapporteur, dans les conditions prévues par une convention, tous les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions. Les personnels mis à la disposition du rapporteur sont placés sous son autorité pour les besoins de chacune de ses missions ; / 5° Au terme de l'instruction, le rapporteur communique son rapport, accompagné des documents sur lesquels il se fonde, à la personne mise en cause et au Conseil supérieur de l'audiovisuel. / Sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l'exercice des droits de la défense de la personne mise en cause, le rapporteur peut lui refuser la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes. Dans ce cas, une version non confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles ; / 6° Le rapporteur expose devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, lors d'une séance à laquelle est convoquée la personne mise en cause, son opinion sur les faits dont il a connaissance et les griefs notifiés. Le cas échéant, il propose au conseil d'adopter l'une des sanctions prévues aux articles 42-1, 42-3, 42-4, 42-15, 48-2 et 48-3. Au cours de cette séance, la personne mise en cause, qui peut se faire assister par toute personne de son choix, est entendue par le conseil, qui peut également entendre, en présence de la personne mise en cause, toute personne dont l'audition lui paraît susceptible de contribuer à son information. Cette séance se tient dans un délai de deux mois suivant la notification du rapport par le rapporteur. / Le rapporteur n'assiste pas au délibéré. (...) " ;

5. Considérant que ni la circonstance que le rapporteur est nommé " après avis " du CSA, ni celle que les moyens nécessaires à l'exercice de ses fonctions sont mis à sa disposition par le CSA, ne sont de nature à créer un doute légitime quant à l'indépendance du rapporteur vis-à-vis de l'autorité, et notamment de son collège, appelé à délibérer sur les procédures de sanction ; qu'ainsi, les dispositions précitées de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986, qui assurent une séparation effective entre les fonctions de poursuite et d'instruction, d'une part, et la fonction de sanction, d'autre part, ne méconnaissent pas le principe d'impartialité, garanti notamment par l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que si l'association requérante relève que l'instruction a été menée à partir d'éléments fournis par les services du CSA, dont elle estime que certains étaient inexacts ou tendancieux, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause l'impartialité de l'enquête menée par le rapporteur, qui a mis l'association à même de discuter l'ensemble de ces éléments, ce qu'elle a d'ailleurs fait ;

Sur la régularité des mises en demeure préalables :

6. Considérant qu'il ne résulte ni des dispositions citées aux points 1 et 2, ni d'aucun autre texte ou principe général que les mises en demeure adressées aux titulaires d'autorisation d'exploiter des services audiovisuels auraient une validité limitée dans le temps ; que, dès lors, l'association requérante, qui ne se prévaut d'aucun changement de circonstances de fait ou de droit, n'est pas fondée à soutenir que les mises en demeure des 12 juin 2012 et 24 juillet 2013 étaient trop anciennes pour permettre au CSA de lui infliger la sanction litigieuse ; que, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, une mise en demeure consécutive à un manquement permet de sanctionner non seulement le premier manquement ultérieur de même nature, mais tout manquement ultérieur de même nature ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que les mises en demeure des 12 juin 2012 et 24 juillet 2013 permettaient de sanctionner les faits constatés lors de l'émission du 5 octobre 2015 mais non ceux constatés lors des émissions des 15 février, 28 mars et 11 avril 2016 doit être écarté ;

Sur la motivation de la décision attaquée :

7. Considérant que la décision attaquée indique de manière suffisamment précise les stipulations de la convention du service " Radio Courtoisie " dont le CSA a estimé qu'elles avaient été méconnues, ainsi que les faits reprochés au titulaire de l'autorisation ;

Sur la légalité de l'article 2-4 de la convention du 8 février 2012 :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA " veille à ce que la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés (...) " et " contribue aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle. Il veille, notamment, auprès des éditeurs de services de communication audiovisuelle, compte tenu de la nature de leurs programmes, à ce que la programmation reflète la diversité de la société française (...) " ; qu'aux termes de l'article 15, le CSA " veille (...) à ce que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité (...) " ; que l'article 28 prévoit que la convention passée entre le CSA et la personne qui demande l'autorisation " porte notamment sur un ou plusieurs des points suivants :/ (...) 17° Les mesures en faveur de la cohésion sociale et relatives à la lutte contre les discriminations (...) " ;

9. Considérant que ces dispositions combinées fournissent une base légale suffisante aux dispositions de l'article 2-4 de la convention du 8 février 2012 entre le CSA et l'association requérante prévoyant notamment que : " Le titulaire veille dans son programme : (...) - à ne pas encourager des comportements discriminatoires à l'égard des personnes en raison de (...) leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (...) " ; que la circonstance que la prescription ainsi édictée est plus large que celle résultant des dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, n'est pas en elle-même de nature à la faire regarder comme illégale ; qu'elle est suffisamment précise pour servir de base à l'édiction d'une sanction sans que soit méconnu le principe de légalité des délits et des peines ; que le titulaire de l'autorisation est d'ailleurs, au besoin, éclairé sur l'étendue de ses obligations par la mise en demeure qui doit lui être adressée avant toute sanction ;

Sur l'existence d'un manquement :

10. Considérant qu'ainsi que le CSA l'a notamment relevé dans la décision attaquée, le 5 octobre 2015, dans l'émission " Le libre journal d'Henry de Lesquen " alors diffusée sur " Radio Courtoisie ", l'animateur a présenté ce qu'il a qualifié de " vade-mecum sur les races humaines en dix points " et a notamment affirmé que " les races ne sont pas égales et ne peuvent pas l'être, car l'égalité n'est pas dans la nature " et que l'augmentation de la " population noire " en France, qu'il désigne sous le terme de " mélanisation de la France ", " est absolument incompatible avec le maintien de l'identité de la France " ; qu'au cours de l'émission du 15 février 2016, il a également soutenu qu'il existerait un " seuil de tolérance " au-delà duquel l'installation d'une " population noire " dans un quartier entraînerait la fuite de la " population blanche " ; que, le 28 mars 2016, l'un de ses invités a soutenu que l'Islam était " une religion épouvantable, [...] une religion de haine " ; que ces propos réitérés, auxquels n'a été apportée aucune contradiction ou nuance, étaient de nature à encourager des comportements discriminatoires à l'égard des personnes " en raison (...) de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ", au sens des dispositions citées au point 9 ; qu'ainsi, le CSA a pu légalement estimer que leur diffusion à l'antenne révélait une méconnaissance par l'éditeur du service des obligations résultant pour lui de l'article 2-4 de la convention cité au point 9 ; qu'il a par ailleurs retenu à bon droit, s'agissant des propos tenus par un invité, une méconnaissance de l'obligation incombant au titulaire de l'autorisation d'assurer la maîtrise de l'antenne, prévue par l'article 2-10 ; qu'eu égard tant aux pouvoirs dévolus au CSA, auquel le législateur a confié la mission de veiller à ce que les programmes audiovisuels donnent une image de la société française exempte de préjugés, qu'à la nature des faits décrits ci-dessus au regard des obligations qui s'imposent à l'association requérante, la décision de sanctionner cette dernière n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression ;

Sur le quantum de la sanction :

11. Considérant que, si la sanction pécuniaire de 25 000 euros prononcée par la décision attaquée apparaît importante eu égard au budget de l'association requérante et à la structure de son financement, elle est justifiée par la gravité des manquements rappelés au point 10, qui n'ont pas présenté un caractère ponctuel mais se sont répétés sur une longue période et correspondaient à une thématique récurrente de l'émission en cause ; qu'il en est ainsi alors même que, postérieurement aux faits sanctionnés, M.A..., animateur de cette émission, a été démis de ses fonctions au sein de la radio par l'assemblée générale des membres de l'association requérante ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association CDARS n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du CSA, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association CDARS une somme de 3000 euros à verser au CSA au titre de ces mêmes dispositions ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association " Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité " est rejetée.
Article 2 : L'association " Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité " versera au Conseil supérieur de l'audiovisuel une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité " et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.

ECLI:FR:XX:2018:416311.20181217
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