CAA de PARIS, 8ème chambre, 22/11/2018, 18PA00668, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :


M. B...D..., en sa qualité de tuteur légal de son père, M. A...D..., a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'opposition à tiers détenteur émise le 16 novembre 2015 par la direction spécialisée des finances publiques pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) en vue du recouvrement de la somme de 175 189,28 euros et de prononcer la décharge de l'obligation de payer.

Par un jugement n° 1601104/6-2 du 26 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M.D....


Procédure devant la Cour :


Par une requête enregistrée le 26 février 2018 et un mémoire en réplique déposé le 29 octobre 2018, M. A...D..., représenté par son tuteur légal, M. B...D..., ayant pour avocat MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1601104/6-2 du 26 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'opposition à tiers détenteur sur les comptes bancaires n° 4091/2015/CTX du 16 novembre 2015 ;

3°) d'annuler, par voie de conséquence, les poursuites à l'encontre de M.D... ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucun élément ne permet d'établir que le séjour de M. D...relevait à compter du 1er octobre 2014 de la convenance personnelle, alors que ce dernier souffrait d'une démence de type Korsakoff et que son fils n'a pas été mis à même d'évaluer la gravité de son état de santé ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen aux termes duquel l'administration ne pouvait réclamer des sommes pour la période de séjour antérieure au 1er octobre 2014 ;
- M. D...est de bonne foi, sa situation financière ne lui permettant pas de s'acquitter de la somme qui lui est réclamée.


Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2018, la direction spécialisée des finances publiques pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au directeur général de l'AP-HP de produire ses observations quant au bien fondé de ses créances.

Elle fait valoir que :

- il n'appartient pas au juge administratif de statuer sur la régularité formelle de l'opposition à tiers détenteur ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- il n'est pas compétent, en tant que comptable public, pour produire des observations sur le bien-fondé des créances en litige.


Par un mémoire en défense produit le 2 août 2018, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, représentée par Me Henon, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de M. D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.


Vu les autres pièces du dossier.



Vu :

- le code de la santé publique,
- le code général des collectivités territoriales,
- le code de l'organisation judiciaire,
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lapouzade,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., pour M.D....


Considérant ce qui suit :


1. M. A...D..., né en 1951, placé sous tutelle par un jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 avril 2015 qui a désigné son fils, ThomasD..., comme tuteur, a fait l'objet d'une opposition à tiers détenteur sur ses comptes bancaires, émise le 16 novembre 2015 par la direction spécialisée des finances publiques pour l'AP-HP, pour une dette d'un montant de 175 189,28 euros, correspondant aux frais occasionnés par son séjour à l'hôpital Cochin. M. D..., par la présente requête, fait appel du jugement n° 160104/6-2 du 26 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.


Sur la régularité du jugement attaqué :


2. M.D..., à l'appui de sa demande soutenait notamment que ne pouvaient lui être réclamées des sommes pour la période antérieure au 1er octobre 2014, date à partir de laquelle
l'AP-HP a considéré que son séjour résultait de convenances personnelles. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen qui n'était pas inopérant. Par suite son jugement doit être annulé. Il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de M.D....

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'opposition à tiers détenteur et à la décharge de l'obligation de payer :


3. L'article L. 6145-9 du code de la santé publique dispose que : " Les créances des établissements sont recouvrées comme il est dit à l'article L. 1611-5 et à l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales " et aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions du présent article s'appliquent également aux établissements publics de santé. 1° En l'absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l'établissement public local permet l'exécution forcée contre le débiteur. / Toutefois, l'introduction devant une juridiction de l'instance ayant pour objet de contester le bien-fondé d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local suspend la force exécutoire du titre. / L'introduction ayant pour objet de contester la régularité formelle d'un acte de poursuite suspend l'effet de cet acte. / 2° L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / L'action dont dispose le débiteur de la créance visée à l'alinéa précédent pour contester directement devant le juge de l'exécution mentionné aux articles L. 213-5 et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire la régularité formelle de l'acte de poursuite diligenté à son encontre se prescrit dans le délai de deux mois suivant la notification de l'acte contesté (...). / 4° Une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable sous pli simple. Lorsque le redevable n'a pas effectué le versement qui lui était demandé à la date limite de paiement, le comptable public compétent lui adresse une mise en demeure de payer avant la notification du premier acte d'exécution forcée devant donner lieu à des frais (...) / 5° Lorsque la mise en demeure de payer n'a pas été suivie de paiement, le comptable public compétent peut, à l'expiration d'un délai de trente jours suivant sa notification, engager des poursuites devant donner lieu à des frais mis à la charge du redevable dans les conditions fixées à l'article 1912 du code général des impôts./ (...) ".


4. En premier lieu, le premier alinéa de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire dispose que : " le juge de l'exécution connaît de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ". Il résulte de ces dispositions que la contestation de la régularité en la forme d'un acte de poursuite tel qu'une opposition à tiers détenteur aux fins de recouvrement d'une créance administrative relève de la compétence du juge de l'exécution, et par voie de conséquence de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire. Par suite, les moyens relatifs à l'irrégularité de l'opposition à tiers détenteur tirés de ce que sa notification aurait dû être faite à M. B...D..., en sa qualité de tuteur, de l'absence du nom, de la qualité et de la signature de son auteur sur l'acte attaqué, de son insuffisante motivation doivent être écartés comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître.


5. En second lieu, M. B...D...soutient qu'il n'a jamais été clairement informé de l'état de son père. En particulier, il n'a jamais reçu le dossier médical de ce dernier, qui au départ était soigné pour des problèmes cardiaques et non pour une démence de type Korsakoff, laquelle est marquée par un effondrement de sa mémoire immédiate. Si M.D..., agissant en sa qualité de tuteur, entend contester que le séjour de son père relève, à partir du 1er octobre 2014, de la " convenance personnelle ", il se borne à soutenir qu'aucun élément concret ne permet de vérifier que le séjour de M. A...D...devait relever de la " convenance personnelle " et n'apporte, en tout état de cause, ainsi que l'a jugé le tribunal, aucun élément concret de nature à remettre en cause la décision de l'équipe médicale de l'hôpital Cochin, en particulier les assertions contenues dans le courrier du 1er mai 2014 du professeur Claire Le Jeune, chef de service de médecine interne à l'hôpital Cochin, qui indique que M. A...D..." n'avait aucune pathologie aigue sauf une désorientation temporo spatiale définitive en relation probable avec une consommation excessive d'alcool. Sa situation cardiaque était stabilisée./ Le séjour hospitalier en médecine interne de plus d'un an a été essentiellement dédié à trouver une solution de vie pour ce patient isolé socialement ". M. D...ne saurait utilement se prévaloir de ce que la démence de type Korsakoff est difficile à gérer pour l'entourage et que les établissements spécialisés sont rares - M. D...réside depuis le 2 mars 2015 dans un établissement en Belgique - et de ce que son père n'a été placé sous sauvegarde de justice que le 14 novembre 2014, ce qui l'empêchait, avant cette date, d'agir, ces circonstances n'étant pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par l'AP-HP.


6. Il résulte de l'instruction que pour la période antérieure au 1er octobre 2014, les sommes réclamées à M. D...correspondent au seul montant du ticket modérateur pour cette période. Par suite, le moyen tiré de ce qu'aucune somme ne pouvait lui être réclamée pour la période antérieure au 1er octobre 2014, date à laquelle son séjour à l'hôpital Cochin a été regardé comme relevant de la " convenance personnelle " doit être écarté.


7. Enfin, M. D...ne peut utilement soutenir, à l'encontre de l'opposition à tiers détenteur litigieuse, qu'il est de bonne foi et que sa situation financière l'empêche de s'acquitter de sa dette.


8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, que les conclusions susanalysées doivent être rejetées.


Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :


9. L'AP-HP n'étant pas la partie perdante à l'instance les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de
l'AP-HP tendant à ce que M. D...soit condamné à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des frais liés à l'instance.


DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601104/6-2 du 26 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de M. D...est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par l'AP-HP sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D..., en sa qualité de tuteur de M. A...D..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et à la direction spécialisée des finances publiques pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- Mme Guilloteau, premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2018.
Le président rapporteur,
J. LAPOUZADEL'assesseur le plus ancien,
V. LARSONNIER
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé à en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00668



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