Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 14/11/2018, 411208
Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 14/11/2018, 411208
Conseil d'État - 3ème - 8ème chambres réunies
- N° 411208
- ECLI:FR:CECHR:2018:411208.20181114
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
14 novembre 2018
- Rapporteur
- M. Thomas Janicot
- Avocat(s)
- SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société coopérative agricole (SCA) Vergt Socave a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les titres de recettes du 25 mars 2013 et du 30 septembre 2013 émis par l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), en vue du recouvrement d'une somme de 3 024 303,47 euros, ramenée à 2 939 699,40 euros, correspondant au remboursement d'aides publiques qui lui ont été versées entre 1998 et 2002 et des intérêts correspondants, d'annuler le courrier du préfet d'Aquitaine du 10 janvier 2013 l'informant qu'à défaut de réponse sous dix jours, elle serait réputée bénéficiaire d'aides illégales à rembourser et d'annuler la décision notifiée du 29 mars 2013 par laquelle FranceAgriMer sollicitait le remboursement de la somme de 3 024 303,47 euros ainsi que sa lettre du 9 octobre 2013 lui notifiant une compensation accordée à hauteur de 356 478 euros.
Par un jugement n° 1301887, 1400330, un jugement n° 1401000 et un jugement n° 1303362, 1400999 du 3 février 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 15BX01099, 15BX01100, 15BX01101 du 5 avril 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, après avoir annulé le jugement n° 1400330 en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de la SCA Vergt Socave tendant à l'annulation de la lettre du 29 mars 2013, rejeté le surplus des conclusions de ses requêtes.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 6 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCA Vergt Socave demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;
- le règlement (CEE) n° 1035/72 du 18 mai 1972 ;
- le règlement (CE) n° 220/96 du 28 octobre 1996 ;
- le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 ;
- la décision n° 2009/402/CE de la Commission européenne du 28 janvier 2009 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- les arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 27 septembre 2012 dans les affaires T-139/09, France/Commission et T-243/09, Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom)/Commission ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 février 2015, Commission/France (C-37/14) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société coopérative agricole Vergt Socave et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel vient FranceAgriMer, a mis en place, entre 1998 et 2002, un régime d'aides d'Etat, dénommé " plans de campagne ", destiné à soutenir le marché national de fruits et légumes, sous la forme d'une aide financière à chaque campagne concernée, afin de prendre en compte les difficultés des marchés que traversaient certaines filières en raison d'une forte pression concurrentielle de la part des industries de transformation italiennes et espagnoles et des produits bruts importés des pays de l'Est. En l'espèce, les aides versées par l'ONIFLHOR transitaient par le Comité économique agricole du bassin Sud-ouest, qui reversait les fonds à ses adhérents, dont la SCA Vergt Socave, laquelle a reçu une somme totale de 1 583 594,12 euros. Saisie d'une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France [C 29/05 (ex NN 57/05)], énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d'Etat instituées en méconnaissance du droit de l'Union européenne et prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par trois arrêts du Tribunal de l'Union européenne, devenus définitifs, du 27 septembre 2012, France/Commission (T-139/09), Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom)/Commission (T-243/09) et Producteurs de légumes de France/Commission (T-328/09). A la suite de ces arrêts, l'administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes, y compris les producteurs de fraises du bassin agricole du Sud-ouest. Le préfet de la région Aquitaine, par lettre du 10 janvier 2013, a invité la SCA Vergt Socave à lui fournir dans un délai de dix jours la liste de ses membres qui avaient bénéficié entre 1998 et 2002 d'aides dans le cadre des plans de campagne, à défaut de quoi la société serait regardée comme le bénéficiaire des aides à rembourser et lui a adressé une lettre en mars 2013 l'informant du retrait des aides et de l'émission d'un titre de recouvrement. Par un titre de recettes émis le 25 mars 2013 à l'encontre de la SCA Vergt Socave, FranceAgriMer a sollicité le recouvrement d'une somme de 3 024 303,47 euros correspondant au remboursement d'aides publiques qui lui ont été versées entre 1998 et 2002 et des intérêts correspondant, ramenée à 2 939 699,40 euros par un titre de recettes du 30 septembre 2013. Par trois jugements du 3 février 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la SCA Vergt Socave tendant à l'annulation des deux titres de recettes, de la décision de FranceAgriMer du 29 mars 2013 lui notifiant la décision de récupération des aides perçues, du courrier du préfet de la région Aquitaine du 10 janvier 2013 et de la décision du 9 octobre 2013 de FranceAgriMer lui notifiant une compensation allégeant son remboursement. La société demande l'annulation de l'arrêt du 5 avril 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, après avoir annulé l'un des jugements en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de la SCA Vergt Socave tendant à l'annulation de la lettre du 29 mars 2013, rejeté le surplus de ses conclusions.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, dans sa rédaction en vigueur à la date des titres de recettes litigieux : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) - (...) imposent des sujétions ; / - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ".
3. La décision par laquelle l'autorité administrative compétente notifie au bénéficiaire d'une décision créatrice de droits au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 qu'elle retire cette dernière, même si elle est accompagnée ou suivie de l'émission d'un titre exécutoire, est susceptible d'un recours contentieux et doit être motivée selon les modalités prévues par ces mêmes dispositions. Le titre exécutoire pris pour le remboursement de l'aide, qui n'entre dans aucune des catégories de décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, doit être motivé selon les modalités prévues par les dispositions spécifiques du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Il peut être contesté selon les règles fixées par les articles 117 et 118 de ce décret. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour a écarté les moyens de la société tirés de ce que les titres de recettes du 25 mars et du 30 septembre 2013 devaient être motivés en vertu de la loi du 11 juillet 1979 et étaient irréguliers faute d'avoir fait l'objet d'une procédure contradictoire préalable prévue par la loi du 12 avril 2000.
4. En deuxième lieu, aux termes du point 49 de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 : " Aussi, il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l'aide n'ait pas été transféré par l'organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l'aide sera l'organisation de producteurs ". Aux termes de son point 84 : " L'aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l'aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l'aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l'aide ne leur ait pas été transféré par l'organisation de producteurs. La récupération de l'aide doit donc s'effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l'État membre pourra démontrer que l'aide ne leur a pas été transférée par l'organisation de producteurs, auquel cas la récupération s'effectuera auprès de cette dernière ". En vertu du point 85 de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 12 février 2015 Commission/France (C-37/14) : " De surcroît, il ressort des propres écritures de la République française ainsi que des documents fournis par celle-ci que la récupération, lorsqu'elle a eu lieu, ne constitue pas nécessairement une exécution correcte de la décision 2009/402. En effet, alors que celle-ci oblige à récupérer les aides en cause auprès des producteurs individuels, sauf dans le cas exceptionnel où l'aide ne leur a pas été transférée par leur organisations de producteurs (OP), il apparaît que les autorités françaises ont, tout au contraire, procédé à la récupération desdites aides, pour un montant d'environ 120 millions d'euros, auprès des OP avec transfert de propriété, sans chercher à démontrer que ces OP auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l'aide n'aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers ".
5. La SCA Vergt Socave soutient que la cour a méconnu la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 et l'arrêt de la Cour de justice du 12 février 2015, en jugeant que FranceAgriMer avait apporté la preuve qu'elle était le bénéficiaire effectif des aides dont le remboursement était requis, au seul motif qu'elle n'avait pas été à même d'établir l'identité des producteurs auxquels elle aurait reversé les aides perçues, alors que cette circonstance ne pouvait être regardée comme l'un des " cas exceptionnels ", prévu par la décision du 28 janvier 2009, où l'aide n'avait pas été versée aux producteurs qui avaient vocation à la percevoir, justifiant que l'administration réclame sa récupération auprès de l'organisation de producteurs et non auprès de ses producteurs adhérents. Toutefois, s'il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'administration de récupérer les aides auprès des producteurs membres d'une organisation de producteurs à moins qu'elle ne démontre que ces aides ne leur ont pas été transférées par celle-ci, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que FranceAgriMer a demandé à la SCA Vergt Socave de lui communiquer l'identité de ses membres, producteurs de fraises, auxquels elle avait reversé les aides en cause, ainsi que les montants reçus par chacun d'entre eux, que cette société a répondu qu'elle n'était pas en mesure de communiquer la plupart des montants versés, information dont elle seule pouvait disposer, que ces informations ne figuraient pas dans l'attestation de son commissaire aux comptes portant sur le reversement des aides en cause aux producteurs et qu'au surplus, la société n'a pu fournir à FranceAgriMer qu'une liste de six personnes ou entreprises destinataires finaux des aides touchées entre 1998 et 2002 pour un montant de 196 454,10 euros. Par suite, en jugeant que l'administration pouvait estimer qu'à l'exception de celles pour lesquelles elle avait obtenu le nom des bénéficiaires, les aides versées par le comité économique agricole du bassin Sud-ouest à la SCA Vergt Socave n'avaient pas été transférées par celle-ci aux producteurs et que la société devait être regardée, par conséquent, comme le bénéficiaire effectif des aides illégales, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni méconnu les règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve.
6. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la SCA Vergt Socave doit être rejeté, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros à verser à FranceAgriMer au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SCA Vergt Socave est rejeté.
Article 2 : La SCA Vergt Socave versera à FranceAgriMer une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la SCA Vergt Socave présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société coopérative agricole Vergt Socave, à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
ECLI:FR:CECHR:2018:411208.20181114
La société coopérative agricole (SCA) Vergt Socave a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les titres de recettes du 25 mars 2013 et du 30 septembre 2013 émis par l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), en vue du recouvrement d'une somme de 3 024 303,47 euros, ramenée à 2 939 699,40 euros, correspondant au remboursement d'aides publiques qui lui ont été versées entre 1998 et 2002 et des intérêts correspondants, d'annuler le courrier du préfet d'Aquitaine du 10 janvier 2013 l'informant qu'à défaut de réponse sous dix jours, elle serait réputée bénéficiaire d'aides illégales à rembourser et d'annuler la décision notifiée du 29 mars 2013 par laquelle FranceAgriMer sollicitait le remboursement de la somme de 3 024 303,47 euros ainsi que sa lettre du 9 octobre 2013 lui notifiant une compensation accordée à hauteur de 356 478 euros.
Par un jugement n° 1301887, 1400330, un jugement n° 1401000 et un jugement n° 1303362, 1400999 du 3 février 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 15BX01099, 15BX01100, 15BX01101 du 5 avril 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, après avoir annulé le jugement n° 1400330 en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de la SCA Vergt Socave tendant à l'annulation de la lettre du 29 mars 2013, rejeté le surplus des conclusions de ses requêtes.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 6 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCA Vergt Socave demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;
- le règlement (CEE) n° 1035/72 du 18 mai 1972 ;
- le règlement (CE) n° 220/96 du 28 octobre 1996 ;
- le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 ;
- la décision n° 2009/402/CE de la Commission européenne du 28 janvier 2009 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- les arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 27 septembre 2012 dans les affaires T-139/09, France/Commission et T-243/09, Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom)/Commission ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 février 2015, Commission/France (C-37/14) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société coopérative agricole Vergt Socave et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel vient FranceAgriMer, a mis en place, entre 1998 et 2002, un régime d'aides d'Etat, dénommé " plans de campagne ", destiné à soutenir le marché national de fruits et légumes, sous la forme d'une aide financière à chaque campagne concernée, afin de prendre en compte les difficultés des marchés que traversaient certaines filières en raison d'une forte pression concurrentielle de la part des industries de transformation italiennes et espagnoles et des produits bruts importés des pays de l'Est. En l'espèce, les aides versées par l'ONIFLHOR transitaient par le Comité économique agricole du bassin Sud-ouest, qui reversait les fonds à ses adhérents, dont la SCA Vergt Socave, laquelle a reçu une somme totale de 1 583 594,12 euros. Saisie d'une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France [C 29/05 (ex NN 57/05)], énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d'Etat instituées en méconnaissance du droit de l'Union européenne et prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par trois arrêts du Tribunal de l'Union européenne, devenus définitifs, du 27 septembre 2012, France/Commission (T-139/09), Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom)/Commission (T-243/09) et Producteurs de légumes de France/Commission (T-328/09). A la suite de ces arrêts, l'administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes, y compris les producteurs de fraises du bassin agricole du Sud-ouest. Le préfet de la région Aquitaine, par lettre du 10 janvier 2013, a invité la SCA Vergt Socave à lui fournir dans un délai de dix jours la liste de ses membres qui avaient bénéficié entre 1998 et 2002 d'aides dans le cadre des plans de campagne, à défaut de quoi la société serait regardée comme le bénéficiaire des aides à rembourser et lui a adressé une lettre en mars 2013 l'informant du retrait des aides et de l'émission d'un titre de recouvrement. Par un titre de recettes émis le 25 mars 2013 à l'encontre de la SCA Vergt Socave, FranceAgriMer a sollicité le recouvrement d'une somme de 3 024 303,47 euros correspondant au remboursement d'aides publiques qui lui ont été versées entre 1998 et 2002 et des intérêts correspondant, ramenée à 2 939 699,40 euros par un titre de recettes du 30 septembre 2013. Par trois jugements du 3 février 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la SCA Vergt Socave tendant à l'annulation des deux titres de recettes, de la décision de FranceAgriMer du 29 mars 2013 lui notifiant la décision de récupération des aides perçues, du courrier du préfet de la région Aquitaine du 10 janvier 2013 et de la décision du 9 octobre 2013 de FranceAgriMer lui notifiant une compensation allégeant son remboursement. La société demande l'annulation de l'arrêt du 5 avril 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, après avoir annulé l'un des jugements en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de la SCA Vergt Socave tendant à l'annulation de la lettre du 29 mars 2013, rejeté le surplus de ses conclusions.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, dans sa rédaction en vigueur à la date des titres de recettes litigieux : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) - (...) imposent des sujétions ; / - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ".
3. La décision par laquelle l'autorité administrative compétente notifie au bénéficiaire d'une décision créatrice de droits au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 qu'elle retire cette dernière, même si elle est accompagnée ou suivie de l'émission d'un titre exécutoire, est susceptible d'un recours contentieux et doit être motivée selon les modalités prévues par ces mêmes dispositions. Le titre exécutoire pris pour le remboursement de l'aide, qui n'entre dans aucune des catégories de décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, doit être motivé selon les modalités prévues par les dispositions spécifiques du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Il peut être contesté selon les règles fixées par les articles 117 et 118 de ce décret. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour a écarté les moyens de la société tirés de ce que les titres de recettes du 25 mars et du 30 septembre 2013 devaient être motivés en vertu de la loi du 11 juillet 1979 et étaient irréguliers faute d'avoir fait l'objet d'une procédure contradictoire préalable prévue par la loi du 12 avril 2000.
4. En deuxième lieu, aux termes du point 49 de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 : " Aussi, il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l'aide n'ait pas été transféré par l'organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l'aide sera l'organisation de producteurs ". Aux termes de son point 84 : " L'aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l'aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l'aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l'aide ne leur ait pas été transféré par l'organisation de producteurs. La récupération de l'aide doit donc s'effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l'État membre pourra démontrer que l'aide ne leur a pas été transférée par l'organisation de producteurs, auquel cas la récupération s'effectuera auprès de cette dernière ". En vertu du point 85 de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 12 février 2015 Commission/France (C-37/14) : " De surcroît, il ressort des propres écritures de la République française ainsi que des documents fournis par celle-ci que la récupération, lorsqu'elle a eu lieu, ne constitue pas nécessairement une exécution correcte de la décision 2009/402. En effet, alors que celle-ci oblige à récupérer les aides en cause auprès des producteurs individuels, sauf dans le cas exceptionnel où l'aide ne leur a pas été transférée par leur organisations de producteurs (OP), il apparaît que les autorités françaises ont, tout au contraire, procédé à la récupération desdites aides, pour un montant d'environ 120 millions d'euros, auprès des OP avec transfert de propriété, sans chercher à démontrer que ces OP auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l'aide n'aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers ".
5. La SCA Vergt Socave soutient que la cour a méconnu la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 et l'arrêt de la Cour de justice du 12 février 2015, en jugeant que FranceAgriMer avait apporté la preuve qu'elle était le bénéficiaire effectif des aides dont le remboursement était requis, au seul motif qu'elle n'avait pas été à même d'établir l'identité des producteurs auxquels elle aurait reversé les aides perçues, alors que cette circonstance ne pouvait être regardée comme l'un des " cas exceptionnels ", prévu par la décision du 28 janvier 2009, où l'aide n'avait pas été versée aux producteurs qui avaient vocation à la percevoir, justifiant que l'administration réclame sa récupération auprès de l'organisation de producteurs et non auprès de ses producteurs adhérents. Toutefois, s'il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'administration de récupérer les aides auprès des producteurs membres d'une organisation de producteurs à moins qu'elle ne démontre que ces aides ne leur ont pas été transférées par celle-ci, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que FranceAgriMer a demandé à la SCA Vergt Socave de lui communiquer l'identité de ses membres, producteurs de fraises, auxquels elle avait reversé les aides en cause, ainsi que les montants reçus par chacun d'entre eux, que cette société a répondu qu'elle n'était pas en mesure de communiquer la plupart des montants versés, information dont elle seule pouvait disposer, que ces informations ne figuraient pas dans l'attestation de son commissaire aux comptes portant sur le reversement des aides en cause aux producteurs et qu'au surplus, la société n'a pu fournir à FranceAgriMer qu'une liste de six personnes ou entreprises destinataires finaux des aides touchées entre 1998 et 2002 pour un montant de 196 454,10 euros. Par suite, en jugeant que l'administration pouvait estimer qu'à l'exception de celles pour lesquelles elle avait obtenu le nom des bénéficiaires, les aides versées par le comité économique agricole du bassin Sud-ouest à la SCA Vergt Socave n'avaient pas été transférées par celle-ci aux producteurs et que la société devait être regardée, par conséquent, comme le bénéficiaire effectif des aides illégales, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni méconnu les règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve.
6. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la SCA Vergt Socave doit être rejeté, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros à verser à FranceAgriMer au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SCA Vergt Socave est rejeté.
Article 2 : La SCA Vergt Socave versera à FranceAgriMer une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la SCA Vergt Socave présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société coopérative agricole Vergt Socave, à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.