Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 01/10/2018, 403186

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme A...B...ont demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2004 et 2005, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 0913987 du 15 juillet 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 11VE02834 du 1er octobre 2013, la cour administrative d'appel de Versailles, faisant partiellement droit à l'appel formé par M. et MmeB..., a réduit leurs bases d'imposition à l'impôt sur le revenu à hauteur de 6 668 euros au titre de l'année 2004 et de 20 318 euros au titre de l'année 2005, prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales correspondantes, réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 15 juillet 2011 en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et rejeté le surplus de leurs conclusions.

Par une décision n° 373839 du 16 janvier 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a constaté un non-lieu à statuer partiel, a annulé l'arrêt du 1er octobre 2013 en tant qu'il avait rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Par un arrêt n° 15VE00214 du 5 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les conclusions d'appel restant en litige.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 septembre et 5 décembre 2016 et le 7 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 15VE00214 du 5 juillet 2016 de la cour administrative d'appel de Versailles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. et Mme B...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 septembre 2018, présentée pour M. et MmeB... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B... ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle, à la suite duquel l'administration les a assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2004 et 2005. Après rejet de leur demande de décharge par le tribunal administratif de Montreuil, ils ont obtenu une décharge partielle par un arrêt du 1er octobre 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles. Par une décision du 16 janvier 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur une partie des sommes restant en litige, a annulé cet arrêt en tant qu'il avait rejeté le surplus des conclusions d'appel des contribuables. Ceux-ci se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 5 juillet 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi, après avoir rejeté comme irrecevables les conclusions relatives aux impositions ayant donné lieu à dégrèvement en cours d'instance devant le Conseil d'Etat, a rejeté au fond le surplus de leurs conclusions d'appel.

2. D'une part, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". Aux termes du paragraphe 5 du chapitre III de cette charte, dans son texte applicable à la procédure en litige : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...). Si après ces contacts des divergences subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental ou régional qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ". Ces dispositions assurent au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l'interlocuteur départemental dans les conditions qu'elles précisent.

3. D'autre part, aux termes de la " charte du contribuable " : " Au cours d'une vérification de comptabilité de votre entreprise ou d'un examen de votre situation fiscale d'ensemble, vous pouvez rencontrer le supérieur hiérarchique du vérificateur ou l'interlocuteur départemental ".

4. Après avoir relevé, conformément aux dispositions combinées de la charte mentionnée au point 2 et de l'article L.10 du livre des procédures fiscales, que les requérants n'ayant pas présenté de demande préalable de rencontre avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, il ne pouvait être fait droit à leur demande de saisine de l'interlocuteur départemental présentée directement le 20 décembre 2007, la cour a jugé que, pour soutenir qu'ils avaient été induits en erreur par la mention sur la page de garde de la réponse à leurs observations de la " charte du contribuable " qui était accessible, lors de la procédure d'imposition en litige, sur le site internet de l'administration fiscale, les requérants ne pouvaient utilement soutenir que cette charte présenterait comme alternatives les saisines du supérieur hiérarchique et de l'interlocuteur départemental. En statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit.

5. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. et Mme B...sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette au fond le surplus de leurs conclusions d'appel.

6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, alors applicable : " En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable (...) des justifications (...) lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés (...) ". Aux termes de l'article L. 16 A du même livre : " Lorsqu'un contribuable a répondu de manière insuffisante aux demandes d'éclaircissements ou de justifications, l'administration lui adresse une mise en demeure d'avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours en précisant les compléments de réponse qu'elle souhaite ". Aux termes de l'article L. 69 du même livre : " Sous réserve des dispositions particulières au mode de détermination des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux, sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes (...) de justifications prévues à l'article L. 16 ".

8. Il résulte de l'instruction que, dans leur réponse du 20 août 2007, M. et Mme B... ont justifié de l'origine de la moitié seulement des 416 opérations sur leurs comptes bancaires à propos desquelles une demande de justifications leur avait été adressée le 2 juillet 2007, tandis que, pour l'autre moitié, ils se sont bornés à indiquer " recherches en cours ". Cette réponse ne peut être regardée, pour ces 197 opérations, comme une explication insuffisante impliquant que les contribuables soient mis en demeure de la compléter, mais doit s'analyser comme un défaut de réponse aux justifications demandées dans le délai de deux mois imparti, délai dont les requérants n'ont pas demandé la prolongation. Dès lors, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration s'est abstenue de leur adresser une mise en demeure.

9. En deuxième lieu, le contribuable taxé d'office pour défaut de réponse à une demande d'éclaircissements ou de justifications à l'issue d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle bénéficie, en cas de désaccord sur les redressements notifiés et préalablement à la saisine éventuelle de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, de la garantie telle qu'elle est prévue par la " charte des droits et obligations du contribuable vérifié ", de faire appel au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional. Un contribuable ne peut en revanche se prévaloir des dispositions de la " charte du contribuable " établie et mise en ligne par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie le 2 septembre 2005, dès lors que ni l'article L. 10 du livre des procédures fiscales ni aucune autre disposition du livre des procédures fiscales ne rendent opposable à l'administration ce document. Cette charte indique qu'elle " récapitule de façon claire et synthétique (...) vos droits et vos devoirs " et elle précise, par ailleurs, " pour mieux vous informer, ces droits ont été recensés dans un document " la charte des droits et obligations des contribuables vérifiés " qui vous est adressé avant le début du contrôle de votre entreprise ". Dans ces conditions, la mention relative à l'existence de la " charte du contribuable " et aux modalités selon lesquelles elle était consultable n'a pas pu induire en erreur les contribuables sur les conditions dans lesquelles ils pouvaient, conformément à la " charte des droits et obligations du contribuable vérifié ", faire appel au supérieur hiérarchique et à l'interlocuteur départemental.

10. En troisième lieu, la proposition de rectification du 26 septembre 2007 qui indique, dans son paragraphe intitulé " revenus d'origine indéterminée ", que l'administration s'estimait fondée à imposer, en vertu des dispositions du 1 de l'article 92 du code général des impôts, les crédits à propos desquels elle n'avait eu aucune information à la suite de la demande de justifications, est, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment motivée.

Sur le bien-fondé des impositions :

11. La procédure de taxation d'office ayant été régulièrement appliquée à M. et MmeB..., il leur incombe, en application de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve de l'exagération de leurs bases d'imposition. S'ils soutiennent que les documents et attestations produits établissent l'origine des crédits portés sur leurs comptes bancaires et ceux de leurs filles, il résulte toutefois de l'instruction, d'une part, que les attestations versées au dossier, qui, pour celles qui n'ont pas été rédigées par un notaire, ont été établies a posteriori, sont dénuées de valeur probante suffisante dès lors qu'elles ne sont pas assorties des documents ou pièces établissant la réalité des versements ou prélèvements allégués ainsi que de leur correspondance avec chaque crédit litigieux et l'effectivité des transferts de marchandise invoqués et, d'autre part, que l'implication de certains membres de leur famille dans les transferts d'argent en litige ne permet pas de les faire bénéficier de la présomption de prêt familial dès lors que ces transferts impliquent également des tiers. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent être regardés comme apportant la preuve, qui leur incombe, que les sommes en litige portées au crédit de leurs comptes bancaires appartiendraient en réalité à des tiers ou correspondraient à des prêts ou des remboursements de prêts et n'auraient, par suite, pas le caractère de revenus imposables.

Sur les pénalités :

12. Dès lors que les impositions en litige ont seulement été assorties des intérêts de retard, le moyen tiré de ce que les majorations de 40% qui auraient été appliquées sont disproportionnées est inopérant et doit donc être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel Versailles du 5 juillet 2016 est annulé en tant qu'il rejette au fond les conclusions d'appel qui ne sont pas jugées irrecevables.
Article 2 : Les conclusions de la requête d'appel de M. et Mme B...mentionnées à l'article 1er ainsi que les conclusions du pourvoi présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B...et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2018:403186.20181001
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