CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 10/07/2018, 17BX03361, Inédit au recueil Lebon
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 10/07/2018, 17BX03361, Inédit au recueil Lebon
CAA de BORDEAUX - 2ème chambre - formation à 3
- N° 17BX03361
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
10 juillet 2018
- Président
- M. REY-BETHBEDER
- Rapporteur
- Mme Aurélie CHAUVIN
- Avocat(s)
- LE PRADO
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner
le centre hospitalier de Montauban à lui verser la somme de 403 860 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de sa prise en charge par cet établissement. Par un jugement n° 1105580 du 3 avril 2014, le tribunal administratif de Toulouse a partiellement fait droit à sa demande et a condamné le centre hospitalier de Montauban à verser à M. A...la somme
de 1 000 euros en réparation des préjudices subis.
Par un arrêt n° 14BX01641 du 18 octobre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel de M.A..., a porté cette somme à 2 200 euros.
Par une décision n° 406111 du 18 octobre 2017, le Conseil d'État a annulé les
articles 1er, 2 et 4 de l'arrêt n° 14BX01641 du 18 octobre 2016 et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour :
Par deux mémoires, enregistrés le 19 octobre 2017 et le 7 février 2018, M. A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 3 avril 2014 du tribunal administratif de Toulouse et de porter à la somme totale de 403 860 euros le montant de l'indemnité due au titre des conséquences dommageables de l'erreur de diagnostic, assortie des intérêts légaux à compter du 15 septembre 2011 ;
2°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Montauban les dépens de l'instance et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la responsabilité du centre hospitalier de Montauban en raison de la faute commise dans la prise en charge de M. A...à la suite de l'accident du 10 avril 2008 est définitivement acquise ; que c'est à tort que la cour, comme le tribunal, ont exclu les préjudices esthétique, d'agrément, d'incapacité permanente partielle et professionnel au motif que ces postes de préjudices ne seraient pas en lien direct et certain avec le retard de diagnostic de sa fracture, contrairement aux termes du rapport d'expertise médicale rendu par le DrE..., confirmés par le certificat médical du DrD... ; que son déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 %, du 10 au 22 avril 2008 devra être évalué à 120 euros et celui du 1er septembre 2008 au 21 décembre 2008, à 1 100 euros ; que son déficit fonctionnel temporaire total du 22 avril au 31 août 2008 devra être évalué à 2 580 euros et celui du 22 décembre 2008 au 4 mars 2009 à 1 460 euros ; que les souffrances, le préjudice esthétique, l'incapacité permanente partielle et le préjudice d'agrément devront être évalués respectivement à 8 000 euros, 3 000 euros, 17 000 euros
et 15 000 euros ; que la perte de revenus s'élève à 351 600 euros ; que les frais de procédure de référé et d'expertise justifient l'allocation de 4 000 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 15 janvier 2018 et le 23 février 2018, le centre hospitalier de Montauban, représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que si une expertise complémentaire devait être ordonnée, c'est sur l'étendue de la perte de chance et sur l'étendue des préjudices strictement imputables au retard de diagnostic que l'expert devrait être appelé à se prononcer. Au vu des éléments produits en première instance et en appel, le retard de diagnostic n'a pas été préjudiciable à M. A...puisque la fracture a été prise en charge au bout de douze jours, de sorte que les préjudices esthétique, d'agrément, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice professionnel sont sans lien avec la faute retenue à son encontre. Quant aux souffrances endurées et au déficit fonctionnel temporaire, l'indemnité de 2 200 euros allouée à ce titre n'est pas insuffisante au regard de la jurisprudence. Enfin, les pertes de gains professionnels invoquées par M. A...ne sont pas établies.
Par ordonnance du 9 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Victime d'un traumatisme au niveau du pied gauche survenu le 10 avril 2008,
vers 23 h, M. A..., alors âgé de 36 ans, s'est rendu le 11 avril 2008 aux urgences du centre hospitalier de Montauban où, après une radiographie et la prescription d'antalgiques, il a été renvoyé à son domicile à 1 heure. La persistance de la douleur et d'une importante gêne fonctionnelle l'ont de nouveau conduit, le 22 avril 2008, à consulter au service des urgences de cet établissement où a été diagnostiquée une fracture déplacée de la tête du deuxième métatarse avec sub-luxation de la deuxième métatarso-phalangienne, fracture qui était visible sur les clichés initiaux. Il a alors bénéficié de soins appropriés consistant en une réduction sanglante et une ostéosynthèse par embrochage du deuxième métatarse. Un examen tomodensitométrique réalisé le 9 septembre 2008 a révélé l'existence de séquelles de la fracture dont M. A...a demandé à être indemnisé par le centre hospitalier de Montauban en raison de l'erreur de diagnostic commise le 11 avril 2008.
2. Par un jugement du 3 avril 2014, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le centre hospitalier de Montauban à réparer les souffrances endurées par M. A...et son incapacité temporaire partielle pendant onze jours du 11 au 23 avril 2008, à hauteur respectivement de 800 euros et 200 euros et, par un arrêt n° 14BX01641 du 18 octobre 2016, la présente cour a partiellement fait droit à son appel en portant le montant de son indemnisation de 1 000 à 2 200 euros et a rejeté le surplus des conclusions de M. A... qui réclamait une indemnité d'un montant total de 403 860 euros. Par une décision n° 406111 du 18 octobre 2017, le Conseil d'État a annulé les articles 1er, 2 et 4 de cet arrêt et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour.
3. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que malgré un examen de radiographie pratiqué le 11 avril 2008 aux urgences du centre hospitalier de Montauban, la fracture du pied gauche dont souffrait M. A...n'a pas été diagnostiquée et l'intéressé, en raison de cette erreur fautive, définitivement confirmée par l'arrêt de la cour du 18 octobre 2016, n'a pas bénéficié immédiatement d'un traitement approprié. Le centre hospitalier de Montauban est par suite responsable des dommages résultant de ce retard de diagnostic et de prise en charge adaptée.
4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
5. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. ".
6. Il résulte de l'instruction que M.A..., dont l'état de santé a été consolidé
le 4 mars 2009, a, à la suite de son accident du 10 avril 2008, mis fin provisoirement puis définitivement à son activité professionnelle de restaurateur et conserve une incapacité permanente partielle évaluée à 12 %. L'expert désigné par le tribunal administratif de Toulouse a reconnu dans son rapport du 12 mai 2010 qu'un traitement approprié lors de sa première présentation aux urgences, " aurait sans aucun doute amené, peut-être même sans séquelles, à une consolidation en deux bons mois environ ". L'appelant avait également communiqué à l'expert un certificat médical établi le 19 décembre 2008 par un chirurgien spécialiste en chirurgie orthopédique, lequel notait que l'erreur de diagnostic, qui n'avait pas permis un traitement en urgence de la fracture dont souffrait l'intéressé, était " à l'origine de la cascade de complications " que M. A... avait présentée. Toutefois, le rapport d'expertise
du 12 mai 2010 ne décrit pas l'incidence que le retard de prise en charge a entraîné sur l'état de santé du patient et les séquelles définitives dont il est demeuré atteint. Il ne précise pas davantage l'ampleur de la chance ainsi perdue de les éviter en tout ou partie en l'absence de cette erreur fautive. En outre, alors qu'il décrit à la date de consolidation fixée au 4 mars 2009 des souffrances évaluées à 3 sur une échelle de 7, un préjudice esthétique évalué à 2 sur 7, une incapacité permanente partielle de 12 %, ainsi qu'un préjudice d'agrément et un préjudice professionnel importants, et relève que " tous ces préjudices (...) sont en conséquence directe et certaine avec les actes médicaux pratiqués et les soins reçus ", l'expert conclut, sans explication et dans la même phrase, que " avec un traitement immédiat efficace, les souffrances endurées n'auraient été que de 2/7 et le préjudice esthétique de 1/7", estimant ainsi que seuls ces préjudices seraient imputables au défaut de prise de charge, " les autres préjudices restant identiques " selon son rapport. L'état de l'instruction, compte tenu de ces conclusions ambiguës et contradictoires, ne permet pas à la cour de déterminer le lien de causalité entre les dommages subis par M. A... et la faute commise par le centre hospitalier de Montauban le 11 avril 2008 ainsi que le taux de perte de chance éventuel. Par suite il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation de M.A..., d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
7. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'existence d'une faute, non contestée, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Montauban, il y a lieu de mettre provisoirement les frais d'expertise à la charge de ce dernier.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de M.A..., procédé à une expertise médicale au contradictoire de M.A..., du centre hospitalier de Montauban, du régime social des indépendants de Midi-Pyrénées et de la MACIF Sud-Ouest Pyrénées.
Article 2 : L'expert aura pour mission :
1°) Après s'être fait communiquer l'intégralité du dossier médical de M.A..., notamment de tous documents relatifs au suivi, examens, consultations, et actes de soins pratiqués lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Montauban, et avoir pris connaissance du rapport d'expertise du Dr E...du 12 mai 2010 et avoir procédé à un examen de M.A..., de décrire son état de santé ;
2°) de décrire la nature et l'étendue de toutes les séquelles dont il reste atteint ;
3°) d'indiquer si l'erreur de diagnostic au service des urgences du centre hospitalier de Montauban le 11 avril 2008 ayant entrainé un retard de traitement est à l'origine des séquelles dont M. A...demeure atteint, les a aggravées ou s'il les aurait subies avec une prise en charge plus précoce ; de préciser à la cour, dans quelle mesure, compte tenu de ce retard de diagnostic fautif, l'appelant a perdu une chance d'échapper aux séquelles définitives dont il demeure atteint et proposer le cas échéant le taux de perte de chance correspondant.
4°) dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint M.A..., faire le partage entre chacune de ces causes et indiquer leur part dans la survenue des préjudices ;
5°) de manière générale, donner toutes précisions et informations utiles permettant à la cour de se prononcer sur le lien de causalité entre la faute commise par le service public hospitalier lors de la première prise en charge du patient et l'importance des préjudices subis par M. A..., ainsi que toute information utile à la solution du litige ;
6°) de déposer un pré-rapport afin de permettre aux parties de faire valoir contradictoirement leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif.
Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles et notamment, tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : Les frais et honoraires de l'expertise sont mis à la charge provisoire du centre hospitalier de Montauban.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., au centre hospitalier de Montauban, à la Macif sud-ouest Pyrénées, au régime social des indépendants de Midi-Pyrénées et à la sécurité sociale des indépendants RCT Agence Auvergne. Copie du présent arrêt sera adressé
à M. E...
Délibéré après l'audience du 12 juin 2018, à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 juillet 2018.
Le rapporteur,
Aurélie C...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 17BX03361
Procédure contentieuse antérieure :
M. F...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner
le centre hospitalier de Montauban à lui verser la somme de 403 860 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de sa prise en charge par cet établissement. Par un jugement n° 1105580 du 3 avril 2014, le tribunal administratif de Toulouse a partiellement fait droit à sa demande et a condamné le centre hospitalier de Montauban à verser à M. A...la somme
de 1 000 euros en réparation des préjudices subis.
Par un arrêt n° 14BX01641 du 18 octobre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel de M.A..., a porté cette somme à 2 200 euros.
Par une décision n° 406111 du 18 octobre 2017, le Conseil d'État a annulé les
articles 1er, 2 et 4 de l'arrêt n° 14BX01641 du 18 octobre 2016 et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour :
Par deux mémoires, enregistrés le 19 octobre 2017 et le 7 février 2018, M. A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 3 avril 2014 du tribunal administratif de Toulouse et de porter à la somme totale de 403 860 euros le montant de l'indemnité due au titre des conséquences dommageables de l'erreur de diagnostic, assortie des intérêts légaux à compter du 15 septembre 2011 ;
2°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Montauban les dépens de l'instance et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la responsabilité du centre hospitalier de Montauban en raison de la faute commise dans la prise en charge de M. A...à la suite de l'accident du 10 avril 2008 est définitivement acquise ; que c'est à tort que la cour, comme le tribunal, ont exclu les préjudices esthétique, d'agrément, d'incapacité permanente partielle et professionnel au motif que ces postes de préjudices ne seraient pas en lien direct et certain avec le retard de diagnostic de sa fracture, contrairement aux termes du rapport d'expertise médicale rendu par le DrE..., confirmés par le certificat médical du DrD... ; que son déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 %, du 10 au 22 avril 2008 devra être évalué à 120 euros et celui du 1er septembre 2008 au 21 décembre 2008, à 1 100 euros ; que son déficit fonctionnel temporaire total du 22 avril au 31 août 2008 devra être évalué à 2 580 euros et celui du 22 décembre 2008 au 4 mars 2009 à 1 460 euros ; que les souffrances, le préjudice esthétique, l'incapacité permanente partielle et le préjudice d'agrément devront être évalués respectivement à 8 000 euros, 3 000 euros, 17 000 euros
et 15 000 euros ; que la perte de revenus s'élève à 351 600 euros ; que les frais de procédure de référé et d'expertise justifient l'allocation de 4 000 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 15 janvier 2018 et le 23 février 2018, le centre hospitalier de Montauban, représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que si une expertise complémentaire devait être ordonnée, c'est sur l'étendue de la perte de chance et sur l'étendue des préjudices strictement imputables au retard de diagnostic que l'expert devrait être appelé à se prononcer. Au vu des éléments produits en première instance et en appel, le retard de diagnostic n'a pas été préjudiciable à M. A...puisque la fracture a été prise en charge au bout de douze jours, de sorte que les préjudices esthétique, d'agrément, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice professionnel sont sans lien avec la faute retenue à son encontre. Quant aux souffrances endurées et au déficit fonctionnel temporaire, l'indemnité de 2 200 euros allouée à ce titre n'est pas insuffisante au regard de la jurisprudence. Enfin, les pertes de gains professionnels invoquées par M. A...ne sont pas établies.
Par ordonnance du 9 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Victime d'un traumatisme au niveau du pied gauche survenu le 10 avril 2008,
vers 23 h, M. A..., alors âgé de 36 ans, s'est rendu le 11 avril 2008 aux urgences du centre hospitalier de Montauban où, après une radiographie et la prescription d'antalgiques, il a été renvoyé à son domicile à 1 heure. La persistance de la douleur et d'une importante gêne fonctionnelle l'ont de nouveau conduit, le 22 avril 2008, à consulter au service des urgences de cet établissement où a été diagnostiquée une fracture déplacée de la tête du deuxième métatarse avec sub-luxation de la deuxième métatarso-phalangienne, fracture qui était visible sur les clichés initiaux. Il a alors bénéficié de soins appropriés consistant en une réduction sanglante et une ostéosynthèse par embrochage du deuxième métatarse. Un examen tomodensitométrique réalisé le 9 septembre 2008 a révélé l'existence de séquelles de la fracture dont M. A...a demandé à être indemnisé par le centre hospitalier de Montauban en raison de l'erreur de diagnostic commise le 11 avril 2008.
2. Par un jugement du 3 avril 2014, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le centre hospitalier de Montauban à réparer les souffrances endurées par M. A...et son incapacité temporaire partielle pendant onze jours du 11 au 23 avril 2008, à hauteur respectivement de 800 euros et 200 euros et, par un arrêt n° 14BX01641 du 18 octobre 2016, la présente cour a partiellement fait droit à son appel en portant le montant de son indemnisation de 1 000 à 2 200 euros et a rejeté le surplus des conclusions de M. A... qui réclamait une indemnité d'un montant total de 403 860 euros. Par une décision n° 406111 du 18 octobre 2017, le Conseil d'État a annulé les articles 1er, 2 et 4 de cet arrêt et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour.
3. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que malgré un examen de radiographie pratiqué le 11 avril 2008 aux urgences du centre hospitalier de Montauban, la fracture du pied gauche dont souffrait M. A...n'a pas été diagnostiquée et l'intéressé, en raison de cette erreur fautive, définitivement confirmée par l'arrêt de la cour du 18 octobre 2016, n'a pas bénéficié immédiatement d'un traitement approprié. Le centre hospitalier de Montauban est par suite responsable des dommages résultant de ce retard de diagnostic et de prise en charge adaptée.
4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
5. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. ".
6. Il résulte de l'instruction que M.A..., dont l'état de santé a été consolidé
le 4 mars 2009, a, à la suite de son accident du 10 avril 2008, mis fin provisoirement puis définitivement à son activité professionnelle de restaurateur et conserve une incapacité permanente partielle évaluée à 12 %. L'expert désigné par le tribunal administratif de Toulouse a reconnu dans son rapport du 12 mai 2010 qu'un traitement approprié lors de sa première présentation aux urgences, " aurait sans aucun doute amené, peut-être même sans séquelles, à une consolidation en deux bons mois environ ". L'appelant avait également communiqué à l'expert un certificat médical établi le 19 décembre 2008 par un chirurgien spécialiste en chirurgie orthopédique, lequel notait que l'erreur de diagnostic, qui n'avait pas permis un traitement en urgence de la fracture dont souffrait l'intéressé, était " à l'origine de la cascade de complications " que M. A... avait présentée. Toutefois, le rapport d'expertise
du 12 mai 2010 ne décrit pas l'incidence que le retard de prise en charge a entraîné sur l'état de santé du patient et les séquelles définitives dont il est demeuré atteint. Il ne précise pas davantage l'ampleur de la chance ainsi perdue de les éviter en tout ou partie en l'absence de cette erreur fautive. En outre, alors qu'il décrit à la date de consolidation fixée au 4 mars 2009 des souffrances évaluées à 3 sur une échelle de 7, un préjudice esthétique évalué à 2 sur 7, une incapacité permanente partielle de 12 %, ainsi qu'un préjudice d'agrément et un préjudice professionnel importants, et relève que " tous ces préjudices (...) sont en conséquence directe et certaine avec les actes médicaux pratiqués et les soins reçus ", l'expert conclut, sans explication et dans la même phrase, que " avec un traitement immédiat efficace, les souffrances endurées n'auraient été que de 2/7 et le préjudice esthétique de 1/7", estimant ainsi que seuls ces préjudices seraient imputables au défaut de prise de charge, " les autres préjudices restant identiques " selon son rapport. L'état de l'instruction, compte tenu de ces conclusions ambiguës et contradictoires, ne permet pas à la cour de déterminer le lien de causalité entre les dommages subis par M. A... et la faute commise par le centre hospitalier de Montauban le 11 avril 2008 ainsi que le taux de perte de chance éventuel. Par suite il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation de M.A..., d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
7. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'existence d'une faute, non contestée, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Montauban, il y a lieu de mettre provisoirement les frais d'expertise à la charge de ce dernier.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de M.A..., procédé à une expertise médicale au contradictoire de M.A..., du centre hospitalier de Montauban, du régime social des indépendants de Midi-Pyrénées et de la MACIF Sud-Ouest Pyrénées.
Article 2 : L'expert aura pour mission :
1°) Après s'être fait communiquer l'intégralité du dossier médical de M.A..., notamment de tous documents relatifs au suivi, examens, consultations, et actes de soins pratiqués lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Montauban, et avoir pris connaissance du rapport d'expertise du Dr E...du 12 mai 2010 et avoir procédé à un examen de M.A..., de décrire son état de santé ;
2°) de décrire la nature et l'étendue de toutes les séquelles dont il reste atteint ;
3°) d'indiquer si l'erreur de diagnostic au service des urgences du centre hospitalier de Montauban le 11 avril 2008 ayant entrainé un retard de traitement est à l'origine des séquelles dont M. A...demeure atteint, les a aggravées ou s'il les aurait subies avec une prise en charge plus précoce ; de préciser à la cour, dans quelle mesure, compte tenu de ce retard de diagnostic fautif, l'appelant a perdu une chance d'échapper aux séquelles définitives dont il demeure atteint et proposer le cas échéant le taux de perte de chance correspondant.
4°) dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint M.A..., faire le partage entre chacune de ces causes et indiquer leur part dans la survenue des préjudices ;
5°) de manière générale, donner toutes précisions et informations utiles permettant à la cour de se prononcer sur le lien de causalité entre la faute commise par le service public hospitalier lors de la première prise en charge du patient et l'importance des préjudices subis par M. A..., ainsi que toute information utile à la solution du litige ;
6°) de déposer un pré-rapport afin de permettre aux parties de faire valoir contradictoirement leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif.
Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles et notamment, tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : Les frais et honoraires de l'expertise sont mis à la charge provisoire du centre hospitalier de Montauban.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., au centre hospitalier de Montauban, à la Macif sud-ouest Pyrénées, au régime social des indépendants de Midi-Pyrénées et à la sécurité sociale des indépendants RCT Agence Auvergne. Copie du présent arrêt sera adressé
à M. E...
Délibéré après l'audience du 12 juin 2018, à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 juillet 2018.
Le rapporteur,
Aurélie C...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX03361