CAA de MARSEILLE, 7ème chambre - formation à 3, 29/06/2018, 17MA00970, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EURL PHARMACIE CORNUEL a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 2 mai 2014 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé le plan de prévention des risques technologiques résultant de l'implantation sur les communes de Châteauneuf-les-Martigues et de Martigues d'installations exploitées par la société Total Raffinage France, Raffinerie de Provence et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de ce plan de prévention des risques technologiques.

Par un jugement n° 1404588 du 2 février 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de l'EURL Pharmacie Cornuel.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2017, l'EURL Pharmacie Cornuel, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1404588 du 2 février 2017 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 2 mai 2014 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé le plan de prévention des risques technologiques résultant de l'implantation sur les communes de Châteauneuf-les-Martigues et de Martigues d'installations exploitées par la société Total Raffinage France, Raffinerie de Provence ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen du plan de prévention des risques technologiques ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la procédure de délaissement prévue pour les propriétaires par l'article L. 515-16 du code de l'environnement et par le plan de prévention des risques technologiques en litige est discriminatoire et méconnaît ainsi les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
- le plan de prévention des risques technologiques méconnait les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit à la vie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par l'EURL Pharmacie Cornuel ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Maury, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.





Considérant ce qui suit :

1. Par jugement du 2 février 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de l'EURL Pharmacie Cornuel tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 mai 2014 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) résultant de l'implantation sur les communes de Châteauneuf-les-Martigues et de Martigues d'installations exploitées par la société Total Raffinage France, Raffinerie de Provence. L'EURL Pharmacie Cornuel relève appel de ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 515-16 alors en vigueur du code de l'environnement : " A l'intérieur du périmètre d'exposition aux risques, les plans de prévention des risques technologiques peuvent, en fonction du type de risques, de leur gravité, de leur probabilité et de leur cinétique : I.-Délimiter les zones dans lesquelles la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ainsi que les constructions nouvelles et l'extension des constructions existantes sont interdites ou subordonnées au respect de prescriptions relatives à la construction, à l'utilisation ou à l'exploitation. (...) / II.-Délimiter, à l'intérieur des zones prévues au I, des secteurs où, en raison de l'existence de risques importants d'accident à cinétique rapide présentant un danger grave pour la vie humaine, les propriétaires des biens concernés peuvent mettre en demeure la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme de procéder à l'acquisition de leur bien, pendant une durée de six ans à compter de la date de signature de la convention prévue à l'article L. 515-19 ou de la mise en place de la répartition par défaut des contributions mentionnées à ce même article, dans les conditions définies aux articles L. 230-1 et suivants du code de l'urbanisme. Toutefois, pour la détermination du prix d'acquisition, la valeur du bien est appréciée sans tenir compte de la dépréciation supplémentaire éventuelle apportée par l'intervention de la servitude instituée en application du I. (...) / IV.-Prescrire les mesures de protection des populations face aux risques encourus, relatives à l'aménagement, l'utilisation ou l'exploitation des constructions, des ouvrages, des installations et des voies de communication existant à la date d'approbation du plan, qui doivent être prises par les propriétaires, exploitants et utilisateurs dans les délais que le plan détermine. Ces mesures peuvent notamment comprendre des prescriptions relatives aux mouvements et au stationnement des véhicules de transport de matières dangereuses. / Lorsque des travaux de protection sont prescrits en application du premier alinéa du présent IV, ils ne peuvent porter que sur des aménagements dont le coût n'excède ni des limites fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 515-25 ni, en tout état de cause : / 20 000 euros, lorsque le bien concerné est la propriété d'une personne physique ; / 5 % du chiffre d'affaires de la personne morale l'année de l'approbation du plan, lorsque le bien est la propriété d'une personne morale de droit privé ; / 1 % du budget de la personne morale l'année de l'approbation du plan, lorsque le bien est la propriété d'une personne morale de droit public (...) ". Aux termes de l'article L. 230-1 du code de l'urbanisme : " La mise en demeure de procéder à l'acquisition d'un terrain bâti ou non est adressée par le propriétaire à la mairie de la commune où se situe le bien. Elle mentionne les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes. / Les autres intéressés sont mis en demeure de faire valoir leurs droits par publicité collective à l'initiative de la collectivité ou du service public qui fait l'objet de la mise en demeure. Ils sont tenus de se faire connaître à ces derniers, dans le délai de deux mois, à défaut de quoi ils perdent tout droit à indemnité. ".




3. D'autre part, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Interdiction de discrimination / La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Aux termes de l'article 1 du protocole additionnel de la même convention : " Protection de la propriété / Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, dans l'hypothèse ou elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts des dispositions établissant cette distinction.

4. Il ressort des dispositions précitées du code de l'environnement qu'à l'intérieur de certaines zones situées dans le périmètre d'exposition aux risques définies par un plan de prévention des risques technologiques, les propriétaires des biens concernés peuvent mettre en demeure la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme de procéder à l'acquisition de leur bien. Le droit de délaissement instauré par ces dispositions est ainsi réservé au seul propriétaire d'un bien immobilier. Celui-ci peut toutefois se voir imposer de réaliser des travaux sur son bien en vue de la mise en sécurité des personnes. Ce bien peut également, du fait des contraintes imposées par le PPRT, voir sa valeur vénale diminuer. Le titulaire d'un bail commercial exploité dans un immeuble situé dans la même zone n'est pas dans une situation analogue au propriétaire. Ainsi, dans le cas où le propriétaire du local ferait jouer son droit de délaissement, le locataire peut bénéficier d'une indemnité d'éviction. Quant au fonds de commerce, il n'est pas nécessairement attaché au local et peut en principe être déplacé sans privation de propriété. Dans ces conditions et alors que les obligations que le plan fait peser sur les propriétaires des biens situés dans son périmètre sont justifiées par l'objectif d'intérêt général de protection de la salubrité, de la santé et de la sécurité publiques, la distinction opérée entre propriétaire et titulaire de baux commerciaux n'institue aucun traitement discriminatoire au sens des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel, la différence de situation avec le locataire étant pertinente au regard de l'objet d'un PPRT.

5. Aux termes de l'Article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1.Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. 2.La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection ".




6. La double circonstance tirée de ce que l'EURL Pharmacie Cornuel serait exposée à un danger compte tenu de sa proximité avec la raffinerie de Provence exploitée par Total Raffinage marketing et de ce que sa situation financière l'obligerait à rester dans les locaux qu'elle a pris en location, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 2 mai 2014 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé le plan de prévention des risques technologiques, dès lors que les risques qu'elle invoque ne trouvent pas leur origine dans le plan qu'elle conteste mais dans sa proximité avec les installations de raffinage exploitées par Total Raffinage marketing.

7. Il résulte de tout ce qui précède, que l'EURL Pharmacie Cornuel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille rejeté sa demande. Par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la l'EURL Pharmacie Cornuel est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Pharmacie Cornuel et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2018, où siégeaient :

- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Maury, premier conseiller,
- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 juin 2018.

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