Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 27/06/2018, 415374

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'arrêté du 6 juin 2017 confirmant la décision révélée par les courriers du directeur général des services de la commune de Villejuif des 22 et 23 mai 2017, par lequel le maire a fixé à compter du 1er mai 2017 à 3 son niveau de responsabilité, de la décision du 22 juin 2017 par laquelle le directeur général l'a informée " du retrait de la décision d'affectation aux fonctions de responsable du service des affaires scolaires " et de la décision révélée par le courriel du 12 septembre 2017 par lequel le directeur général adjoint lui a enjoint de changer de bureau ;

2°) d'enjoindre à la commune de Villejuif de rétablir son régime indemnitaire, de la rétablir dans la situation d'emploi résultant de la décision du 17 mars 2017 et de la maintenir dans son lieu de travail actuel ou, à défaut, de l'installer dans un bureau doté de moyens équivalents au sein du service éducation de la mairie, dans le délai de 48 heures suivant la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par une ordonnance du 16 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l'exécution de la décision de la commune de Villejuif de retirer à Mme B...ses fonctions de responsable du service des affaires scolaires, a prescrit le réexamen de son affectation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de MmeB....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 octobre et 15 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Villejuif demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a fait droit aux conclusions de MmeB... ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de MmeB... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Villejuif et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de Mme B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juin 2018, présentée par Mme B... ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme B..., attachée territoriale, qui exerce au sein de la commune de Villejuif les fonctions de responsable de la coordination du projet éducatif local, a présenté, le 16 février 2017, sa candidature pour occuper l'emploi de responsable du service municipal des affaires scolaires déclaré vacant. Alors même qu'aucun arrêté de nomination n'avait été pris par le maire de la commune, Mme B...a exercé, à compter de la fin du mois d'avril 2017, les fonctions de responsable du service des affaires scolaires. Par un courrier du 22 juin 2017, le directeur général des services de la commune lui a indiqué que le maire n'avait pas pris de décision la nommant dans cet emploi et qu'elle devait reprendre, dès le lendemain, ses fonctions antérieures. Par une ordonnance du 16 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l'exécution " de la décision de la commune de Villejuif de retirer ses fonctions de responsable du service des affaires scolaires à MmeB... " et enjoint à la commune de réexaminer son affectation et de prendre une décision dans le délai de huit jours. La commune de Villejuif se pourvoit en cassation contre cette ordonnance en tant qu'elle prononce cette suspension et cette injonction.

3. Aux termes du dernier alinéa de l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les fonctionnaires territoriaux sont gérés par la collectivité ou l'établissement dont ils relèvent ; leur nomination est faite par l'autorité territoriale ". Aux termes de l'article 40 de la même loi : " La nomination aux grades et emplois de la fonction publique territoriale est de la compétence exclusive de l'autorité territoriale (...) ". Il résulte de ces dispositions que la nomination d'un fonctionnaire territorial dans un emploi vacant au sein d'une commune ne peut résulter, sauf circonstances exceptionnelles, que d'une décision expresse prise par le maire de cette commune.

4. Pour faire droit à la demande de MB..., le juge des référés du tribunal administratif de Melun a jugé que l'exercice public, paisible et non équivoque par celle-ci, pendant plusieurs semaines au cours des mois de mai et juin 2017, des fonctions de responsable du service des affaires scolaires, qui s'était manifesté notamment par la participation de l'intéressée à des réunions en cette qualité et par la modification apportée par la direction de la communication à l'annuaire interne le 4 mai 2017, révélait l'existence d'une décision implicite de la nommer à ce poste.

5. En statuant de la sorte, alors que la circonstance qu'un agent a occupé, pendant une certaine durée, l'emploi pour lequel il a présenté sa candidature en vue d'y être nommé ne saurait être regardée comme révélant l'existence d'une décision de nomination prise par l'autorité territoriale, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, la commune de Villejuif est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque en tant qu'elle prononce la suspension d'une décision retirant une nomination de Mme B...dans l'emploi de responsable du service des affaires scolaires et, par voie de conséquence, en tant qu'elle enjoint à la commune de réexaminer son affectation et de prendre une décision dans le délai de huit jours.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer en référé, dans la limite de la cassation prononcée, sur la demande présentée par MmeB..., par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative citées au point 1 que les conclusions à fin de suspension ne peuvent être dirigées que contre une décision administrative.

8. Mme B...demande la suspension d'une décision du 22 juin 2017 qui aurait retiré sa nomination dans l'emploi de responsable du service des affaires scolaires de la commune de Villejuif. Il résulte toutefois de l'instruction que le maire de la commune de Villejuif n'a pris aucun arrêté nommant Mme B...dans l'emploi de responsable du service des affaires scolaires. Par ailleurs, Mme B...ne peut, ainsi qu'il a été dit au point 5, soutenir que l'exercice par elle des attributions de cet emploi entre les mois d'avril et de juin 2017 révèle l'existence d'une décision de nomination. Dès lors, le courrier du 22 juin 2017, par lequel le directeur général des services a indiqué à Mme B...que le maire ne la nommerait pas dans cet emploi et qu'elle devait reprendre dès le lendemain ses fonctions antérieures, ne peut être regardé comme portant retrait d'une décision de nomination dans l'emploi de responsable du service des affaires scolaires, laquelle n'est jamais intervenue. Par suite, ses conclusions à fin de suspension de l'exécution de ce courrier en tant qu'il lui retirerait cet emploi ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à la commune de Villejuif de la somme de 2 000 euros. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Villejuif qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 16 octobre 2017 est annulée en tant qu'elle prononce la suspension de l'exécution d'une décision portant retrait de la nomination de Mme B...dans un emploi et qu'elle enjoint à la commune de Villejuif de réexaminer son affectation et de prendre une décision dans le délai de huit jours.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentées par Mme B...devant le tribunal administratif de Melun tendant à ce que l'exécution d'une décision portant retrait d'une nomination dans l'emploi de responsable du service des affaires scolaires soit suspendue et à ce qu'il soit enjoint à la commune de Villejuif de réexaminer son affectation et de prendre une décision dans le délai de huit jours sont rejetées.
Article 3 : Mme B...versera à la commune de Villejuif la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Villejuif et à Mme A...B....

ECLI:FR:CECHR:2018:415374.20180627
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