Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 18/06/2018, 411583

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 juin, 8 septembre, 6 décembre et 15 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Le Conseil du commerce de France, PERIFEM et l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2017-918 du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;

- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;

- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;




1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-10-3 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de l'article 17 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte : " Des travaux d'amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public dans un délai de huit ans à compter du 1er janvier 2012. Cette obligation de rénovation est prolongée par périodes de dix ans à partir de 2020 jusqu'en 2050 avec un niveau de performance à atteindre renforcé chaque décennie, de telle sorte que le parc global concerné vise à réduire ses consommations d'énergie finale d'au moins 60 % en 2050 par rapport à 2010, mesurées en valeur absolue de consommation pour l'ensemble du secteur. / Un décret en Conseil d'Etat détermine la nature et les modalités de cette obligation de travaux, applicable pour chaque décennie, notamment les caractéristiques thermiques ou la performance énergétique à respecter, en tenant compte de l'état initial et de la destination du bâtiment, de contraintes techniques exceptionnelles, de l'accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite ou de nécessités liées à la conservation du patrimoine historique. Il précise également les conditions et les modalités selon lesquelles le constat du respect de l'obligation de travaux est établi et publié en annexe aux contrats de vente et de location. Le décret en Conseil d'Etat applicable pour la décennie à venir est publié au moins cinq ans avant son entrée en vigueur " ;

2. Considérant que les sociétés Muller Services et Muller et Cie ont intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;

3. Considérant que le décret attaqué du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire crée une section 8 dans le chapitre I du titre III du livre 1er de la partie réglementaire du code de la construction, qui comprend les articles R. 131-38 à R. 131-50 ; que l'article R. 131-38 dispose que : " Afin de maîtriser la demande d'énergie et favoriser l'efficacité et la sobriété énergétiques, des travaux d'amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public d'ici le 1er janvier 2020, conformément aux dispositions des articles R. 131-39 à R. 131-50 " ; que l'article R. 131-39 prévoit que les travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments entrant dans le champ d'application du texte doivent permettre de diminuer la consommation énergétique totale du bâtiment soit à concurrence d'au moins 25 % par rapport à la dernière consommation énergétique connue, ou, si des travaux d'amélioration de la performance énergétique ont été entrepris depuis le 1er janvier 2006, par rapport à la dernière consommation connue avant la réalisation de ces travaux, soit à hauteur d'un seuil exprimé en kWh/m2/an ; que l'article R. 131-50 renvoie à un arrêté conjoint des ministres chargés de la construction et de l'énergie le soin de préciser ce seuil ; que l'article R. 131-42 impose la réalisation, dans l'ensemble des bâtiments en cause, d'une étude énergétique destinée à évaluer les actions à entreprendre pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation énergétique fixés par l'article R. 131-39 ; que le I de l'article R. 131-44 prévoit que les propriétaires occupants ou, dans le cas des locaux pris à bail, les bailleurs et preneurs concomitamment, définissent et mettent en oeuvre, sur la base des résultats de l'étude énergétique, un plan d'actions permettant d'atteindre les objectifs de réduction des consommations énergétiques ; que l'article R. 131-45 permet aux personnes concernées, si l'étude énergétique révèle que le plan d'actions envisagé présente un temps de retour sur investissement trop long ou un coût trop élevé, de définir un nouveau plan d'action sur la base d'un nouvel objectif de diminution des consommations énergétiques ; que l'article R. 131-46 impose aux propriétaires occupants ou, dans le cas de locaux pris à bail, aux bailleurs et preneurs concomitamment, de transmettre à un organisme désigné par le ministre chargé de la construction, avant le 1er juillet 2017, les rapports d'études énergétiques conformes aux dispositions de l'article R. 131-42 et le plan d'actions visés au I de l'article R. 131-44 ainsi, le cas échéant, que le nouveau plan d'actions et le nouvel objectif de consommation énergétique déterminés conformément à l'article R. 131-45, puis de lui transmettre, à compter de 2018, avant le 1er juillet de chaque année, les consommations énergétiques de l'année précédente et enfin, avant le 1er juillet 2020, un bilan complet sur les travaux menés et les économies d'énergie réalisées ; qu'en vertu de l'article R. 131-49, dans le cas d'un changement de propriétaire ou de preneur, l'ancien propriétaire ou l'ancien preneur doit fournir au propriétaire, au plus tard lors de la cession du bâtiment ou à l'échéance du bail, le rapport d'étude énergétique et le plan d'actions ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les travaux d'amélioration de l'efficacité énergétique destinés à satisfaire, d'ici au 1er janvier 2020, les objectifs de réduction de consommation énergétique fixés à l'article R. 131-39 impliquent, au préalable, la réalisation, par un professionnel qualifié, d'une étude énergétique destinée à évaluer les actions à entreprendre, portant sur l'ensemble des postes de consommation des bâtiments, ainsi que l'élaboration d'un plan d'actions destiné à atteindre ces objectifs ; que l'élaboration de ces documents, qui présente une certaine complexité, suppose l'intervention préalable de l'arrêté interministériel prévu par l'article R. 131-50, aux fins notamment de fixer les seuils de consommation d'énergie devant être respectés d'ici au 1er janvier 2020, le contenu et les modalités de réalisation des études énergétiques ainsi que les modalités et les formats électroniques de transmission de ces documents ; qu'elle implique également la désignation, par le ministre chargé de la construction, en application de l'article R. 131-46, de l'organisme auquel ces documents devaient être transmis avant le 1er juillet 2017 ; que ces deux arrêtés n'étaient pas intervenus à la date du décret attaqué ; que les requérantes soutiennent, sans être démenties, que l'élaboration des documents en cause sur l'ensemble du parc immobilier concerné nécessite un délai incompressible d'un an, compte tenu notamment du risque de saturation du marché des prestataires capables de les réaliser, en particulier pour les opérateurs de grande taille ; qu'elles font, en outre, valoir, sans davantage être contredites, que le respect de l'objectif de réduction de la consommation énergétique totale du bâtiment à concurrence d'au moins 25 % par rapport à la dernière consommation énergétique connue fixé à l'article R. 131-39 impliquerait, pour une grande part des professionnels concernés, la réalisation de travaux de rénovation importants, qui devront nécessairement, dans certains cas, s'échelonner sur plusieurs mois ou plusieurs années ; qu'ainsi, compte tenu, d'une part, du délai nécessaire à la réalisation des études énergétiques et plans d'actions et, d'autre part, du délai nécessaire, à compter de l'élaboration de ces documents, pour entreprendre les actions et réaliser les travaux nécessaires pour atteindre, d'ici au 1er janvier 2020, les objectifs de réduction des consommations d'énergie fixés à l'article R. 131-39, les associations requérantes sont fondées à soutenir que le décret attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique ; qu'au regard du vice dont le décret est entaché, qui affecte, compte tenu de l'objectif de réduction de la consommation énergétique d'ici au 1er janvier 2020 fixé par le législateur et des particularités du dispositif mis en place, son économie générale et son séquençage temporel, il y a lieu d'annuler le décret dans sa totalité, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à chacune des associations requérantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par les sociétés Muller Services et Muller et Cie, qui n'ont pas la qualité de partie à la présente instance ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention des sociétés Muller Services et Muller et Cie est admise.
Article 2 : Le décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à chacune des associations requérantes une somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par les sociétés Muller Services et Muller et Cie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil du commerce de France, à l'association PERIFEM, à l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie et au ministre de la cohésion des territoires.
Copie sera adressée au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, et au Premier ministre.

ECLI:FR:CECHR:2018:411583.20180618
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