Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 23/05/2018, 416313

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 septembre 2017 du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur remettant en vigueur à compter du 14 avril 2016 un précédent arrêté du 24 mars 2015 l'excluant du service et mettant fin à un autre arrêté du 30 juin 2015 prononçant sa réintégration, et d'enjoindre à l'Etat de la réintégrer dans ses fonctions de gardien de la paix. Par une ordonnance n° 1716746/9 du 20 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris, après avoir donné acte à la requérante du désistement de certaines de ses conclusions, a suspendu les effets de l'arrêté du 28 septembre 2017 et enjoint au ministre de l'intérieur de réintégrer Mme B... dans ses fonctions de gardien de la paix dans un délai d'un mois à compter de la notification de cette ordonnance.

Par un pourvoi, enregistré le 6 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle suspend les effets de l'arrêté du 28 septembre 2017 et lui enjoint de réintégrer Mme B...dans ses fonctions de gardien de la paix dans un délai d'un mois ;

2°) statuant en référé, de rejeter le surplus de la demande de MmeB....



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme B..., nommée élève gardien de la paix le 1er avril 2014, a été, lors de son stage de formation à l'Ecole nationale de police de Montbéliard, suspendue de ses fonctions le 30 octobre 2014, puis, après avis du conseil de discipline, exclue du service par un arrêté du 24 mars 2015 du ministre de l'intérieur ; que le juge des référés du tribunal administratif de Besançon ayant, par une ordonnance du 9 juin 2015, suspendu cet arrêté et enjoint au ministre de réintégrer Mme B...dans ses fonctions, celui-ci a, par un arrêté du 30 juin 2015, réintégré l'intéressée à l'Ecole nationale de police de Sens à compter du 2 juillet 2015 ; que Mme B... ayant terminé sa scolarité, elle a été nommée gardien de la paix stagiaire par un arrêté du 4 mars 2016 ; que, par un jugement du 14 avril 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mars 2015 prononçant l'éviction du service de Mme B...; que, toutefois, par un arrêté du 29 juin 2017, l'intéressée a été titularisée dans le corps des gardiens de la paix, à compter du 1er avril 2017 ; que le ministre de l'intérieur, par un nouvel arrêté du 28 septembre 2017, a remis en vigueur à compter du 14 avril 2016, date de la notification du jugement du tribunal administratif de Besançon, l'arrêté du 30 juin 2015 excluant l'intéressée du service et a mis fin, à compter également du 14 avril 2016, à l'arrêté du 30 juin 2015 qui avait prononcé la réintégration provisoire de l'intéressée ; que le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 20 novembre 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu les effets de l'arrêté du 28 septembre 2017 et enjoint au ministre de l'intérieur de réintégrer Mme B...dans ses fonctions de gardien de la paix, dans un délai d'un mois à compter de la notification de cette ordonnance ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 11 du code de justice administrative : "Les jugements sont exécutoires " ; qu'aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais " ; qu'aux termes de l'article L. 521-1 du même code : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision " ;

3. Considérant qu'une décision intervenue pour assurer l'exécution d'une mesure de suspension prise sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative revêt, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé ; qu'il en est notamment ainsi lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'une mesure excluant du service un agent public et enjoint à l'administration de réintégrer cet agent ; que la décision de réintégration prise à la suite d'une telle injonction peut être retirée par l'autorité compétente si le recours tendant à l'annulation de la décision initiale d'exclusion du service est ensuite rejeté ; qu'il en va de même de l'ensemble des mesures prises dans le cadre du déroulement de la carrière de l'intéressé entre sa réintégration et la notification à l'administration du jugement rejetant la demande d'annulation, à l'exception de celles qui se bornent à tirer les conséquences du service fait ; que le retrait doit, toutefois, intervenir dans un délai raisonnable, qui ne peut, dans un tel cas, excéder quatre mois à compter de la date à laquelle le jugement rejetant la demande d'annulation a été notifié à l'administration ; que des décisions créatrices de droits prises postérieurement à cette date ne sauraient être regardées comme provisoires et ne peuvent être retirées, conformément au droit commun, que si elles sont entachées d'illégalité et dans un délai de quatre mois à compter de leur signature ;

4. Considérant qu'il suit de là que le ministre de l'intérieur disposait d'un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement du 14 avril 2016 du tribunal administratif de Besançon rejetant la demande de Mme B...tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mars 2015 l'excluant définitivement du service pour retirer les décisions, par nature provisoires, qu'il avait prises à la suite de l'ordonnance du 9 juin 2015 par laquelle le juge des référés avait suspendu l'exécution de cet arrêté ; que le ministre s'étant abstenu de prononcer dans ce délai le retrait de la décision de réintégration provisoire du 30 juin 2015 et de la décision du 4 mars 2016 nommant l'intéressée comme stagiaire, celles-ci sont devenues définitives ; que l'arrêté du 29 juin 2017 titularisant Mme B...dans le corps des gardiens de la paix étant intervenu postérieurement à la notification au ministre du jugement du 14 avril 2016, il n'aurait pu légalement être retiré, dans les quatre mois suivant sa signature, que s'il était entaché d'illégalité ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, cet arrêté n'était pas illégal du seul fait qu'il était intervenu alors que le jugement rejetant la demande dirigée contre la mesure initiale d'exclusion du service avait mis fin à la suspension de cette mesure ; que l'administration, en s'abstenant de retirer dans le délai qui lui était imparti les décisions réintégrant l'intéressée et la nommant comme stagiaire, puis en décidant de la titulariser, ne peut qu'être regardée comme ayant abrogé la mesure d'exclusion du service, ainsi qu'il lui était loisible de le faire ;

5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en retenant comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué le moyen tiré de ce qu'à la date du 28 septembre 2017 le ministre ne pouvait légalement retirer les décisions prises à la suite de la suspension de la décision du 30 juin 2015 prononçant l'exclusion du service de MmeB..., le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ; que le ministre n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme A...B....

ECLI:FR:CECHR:2018:416313.20180523
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