Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 16/05/2018, 409656
Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 16/05/2018, 409656
Conseil d'État - 2ème - 7ème chambres réunies
- N° 409656
- ECLI:FR:CECHR:2018:409656.20180516
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
16 mai 2018
- Rapporteur
- M. François Weil
- Avocat(s)
- SCP ROUSSEAU, TAPIE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juin 2013 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de substituer à son nom celui de sa mère et d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à cette substitution.
Par un jugement n° 1312065 du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15PA03499 du 9 février 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme A...contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 avril et 10 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Weil, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de Mme A...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ;
2. Considérant que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B...A...a présenté en mai 2010 une demande de changement de nom sur le fondement de l'article 61 du code civil afin de substituer à son nom de famille celui de sa mère, C...; que sa demande a été rejetée par une décision du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 6 juin 2013 ; que, par un arrêt du 9 février 2017 contre lequel la requérante se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle a présenté à l'encontre du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...a été abandonnée par son père en 1997, alors qu'elle était âgée de quatre ans ; que celui-ci n'a plus eu aucun contact avec elle depuis lors ; qu'il n'a subvenu, depuis 1997, ni à son éducation ni à son entretien, alors pourtant qu'il en avait l'obligation en vertu d'une ordonnance du 20 janvier 1994 du juge aux affaires matrimoniales ; qu'il n'a plus exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui avait été reconnu par cette même ordonnance ; que, par suite, en jugeant que Mme A...ne faisait état d'aucune circonstance exceptionnelle susceptible de caractériser l'intérêt requis pour changer de nom, la cour administrative d'appel de Paris a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; que Mme A...est en conséquence fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, il ressort des pièces du dossier que MmeA..., dont les parents se sont séparés peu après sa naissance, a été abandonnée par son père à l'âge de quatre ans et n'a plus eu aucun contact avec lui depuis lors ; qu'en dépit des prescriptions de l'ordonnance du 20 janvier 1994 du juge aux affaires matrimoniales, celui-ci n'a plus participé à son éducation, subvenu à son entretien et exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui avait été reconnu ; que Mme A...souhaite ne plus porter le nom de son père et se voir attribuer celui de sa mère, qui l'a élevée ; que ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom ; que, par suite, en lui déniant un tel intérêt, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait une inexacte application des dispositions de l'article 61 du code civil ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requérante, que cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 juin 2013 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'autoriser à prendre le nom de C...;
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer la demande de changement de nom présentée par Mme A...dans un délai de trois mois à compter de la présente décision ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A...d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 9 février 2017 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 3 juillet 2015 est annulé.
Article 3 : La décision en date du 6 juin 2013 du garde des seaux, ministre de la justice, est annulée.
Article 4 : Il est enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, au réexamen de la demande de MmeA....
Article 5 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à Mme A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
ECLI:FR:CECHR:2018:409656.20180516
Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juin 2013 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de substituer à son nom celui de sa mère et d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à cette substitution.
Par un jugement n° 1312065 du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15PA03499 du 9 février 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme A...contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 avril et 10 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Weil, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de Mme A...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ;
2. Considérant que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B...A...a présenté en mai 2010 une demande de changement de nom sur le fondement de l'article 61 du code civil afin de substituer à son nom de famille celui de sa mère, C...; que sa demande a été rejetée par une décision du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 6 juin 2013 ; que, par un arrêt du 9 février 2017 contre lequel la requérante se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle a présenté à l'encontre du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...a été abandonnée par son père en 1997, alors qu'elle était âgée de quatre ans ; que celui-ci n'a plus eu aucun contact avec elle depuis lors ; qu'il n'a subvenu, depuis 1997, ni à son éducation ni à son entretien, alors pourtant qu'il en avait l'obligation en vertu d'une ordonnance du 20 janvier 1994 du juge aux affaires matrimoniales ; qu'il n'a plus exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui avait été reconnu par cette même ordonnance ; que, par suite, en jugeant que Mme A...ne faisait état d'aucune circonstance exceptionnelle susceptible de caractériser l'intérêt requis pour changer de nom, la cour administrative d'appel de Paris a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; que Mme A...est en conséquence fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, il ressort des pièces du dossier que MmeA..., dont les parents se sont séparés peu après sa naissance, a été abandonnée par son père à l'âge de quatre ans et n'a plus eu aucun contact avec lui depuis lors ; qu'en dépit des prescriptions de l'ordonnance du 20 janvier 1994 du juge aux affaires matrimoniales, celui-ci n'a plus participé à son éducation, subvenu à son entretien et exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui avait été reconnu ; que Mme A...souhaite ne plus porter le nom de son père et se voir attribuer celui de sa mère, qui l'a élevée ; que ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom ; que, par suite, en lui déniant un tel intérêt, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait une inexacte application des dispositions de l'article 61 du code civil ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requérante, que cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 juin 2013 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'autoriser à prendre le nom de C...;
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer la demande de changement de nom présentée par Mme A...dans un délai de trois mois à compter de la présente décision ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A...d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 9 février 2017 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 3 juillet 2015 est annulé.
Article 3 : La décision en date du 6 juin 2013 du garde des seaux, ministre de la justice, est annulée.
Article 4 : Il est enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, au réexamen de la demande de MmeA....
Article 5 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à Mme A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.