Conseil d'État, 5ème chambre, 11/04/2018, 407886, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...D...et Mme C...D..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, E...et B...D..., ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser la somme de 74 000 euros en réparation des préjudices résultant de leur absence de relogement. Par un jugement n° 1518514/6-2 du 8 novembre 2016, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février et 15 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme D..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentant légaux de leurs enfants mineurs, E...et B...D..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à leur avocat, la SCP Monod-Colin-Stoclet, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dominique Chelle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat des consortsD... ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. D...a été reconnu comme prioritaire et devant être relogé en urgence, sur le fondement de l'article L. 411-2-3 du code de la construction et de l'habitation, par une décision du 26 novembre 2010 de la commission de médiation de Paris, au motif qu'il résidait dans un logement de transition depuis plus de dix-huit mois ; que, par un jugement du 13 septembre 2011, le tribunal administratif de Paris, saisi par l'intéressé sur le fondement du I de l'article L. 441-2-3-1 du même code, a enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, d'assurer son relogement ; que, constatant l'absence de relogement, le tribunal administratif, saisi par M.D..., a par un jugement du 13 février 2014 condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 800 euros en réparation du préjudice subi ; que, le 12 novembre 2015, M. et MmeD..., déclarant agir en leur nom personnel et en qualité de représentant légaux de leur deux enfants, ont demandé au tribunal administratif de condamner l'Etat à réparer les préjudices ayant résulté de l'absence de relogement pendant la période ultérieure ; que, par un jugement du 8 novembre 2016 contre lequel les intéressés se pourvoient en cassation, le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par Mme D...en son nom propre ainsi que celles présentées par les époux D...en tant que représentants légaux de leurs enfants au motif que la carence de l'Etat n'engageait sa responsabilité qu'à l'égard de M.D..., et les conclusions présentées par M. D...au motif que cette carence n'entraînait pour lui aucun trouble dans ses conditions d'existence ;

2. Considérant que, lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence par une commission de médiation, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission, que l'intéressé ait ou non fait usage du recours en injonction contre l'Etat prévu par l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation ; que ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui court à compter de l'expiration du délai de trois ou six mois à compter de la décision de la commission de médiation que les dispositions de l'article R. 441-16-1 du code de la construction et de l'habitation impartissent au préfet pour provoquer une offre de logement ;

3. Considérant qu'il suit de là que le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant les conclusions indemnitaires présentées par Mme D...en son nom propre, ainsi que celles présentées par les époux D...en tant que représentants légaux de leur enfants, au motif que la carence de l'Etat n'engageait sa responsabilité qu'à l'égard de M. D... ;

4. Considérant, en revanche, qu'ayant constaté que le préfet n'avait pas proposé un relogement à M. D...dans le délai prévu par le code de la construction et de l'habitation à compter de la décision de la commission de médiation, le tribunal administratif de Paris ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, juger que cette carence, constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, ne causait à l'intéressé aucun préjudice indemnisable, au motif que M. D...n'établissait ni même n'alléguait que son logement serait insalubre ou affecté de désordres, alors que la situation qui avait motivé la décision de la commission perdurait, l'intéressé continuant d'occuper un logement de transition et justifiant de ce fait de troubles dans ses conditions d'existence lui ouvrant droit à réparation dans les conditions indiquées au point 2 ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le jugement doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions présentées par M. D... en son nom propre ;

5. Considérant que M. et Mme D...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Monod-Colin-Stoclet, avocat de M. et MmeD..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 8 novembre 2016 du tribunal administrative de Paris est annulé en tant qu'il rejette les conclusions présentées par M. D...en son nom propre.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris dans la mesure de la cassation prononcée.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Monod-Colin-Stoclet, avocat de M. et MmeD..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et Mme D...est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...D..., à Mme C...D...et au ministre de la cohésion des territoires.

ECLI:FR:CECHS:2018:407886.20180411
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