CAA de LYON, 3ème chambre - formation à 3, 20/02/2018, 16LY00541, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 juin 2015 par laquelle le directeur des ressources humaines du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne a rejeté sa demande de recrutement statutaire par voie de changement d'établissement et la décision verbale du 24 juillet 2015 par laquelle ledit centre hospitalier aurait refusé de la recruter en qualité d'infirmière titulaire à compter du 1er septembre 2015, d'enjoindre sous astreinte au directeur de cet établissement public de santé de réexaminer sa situation, de condamner le centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne à lui payer une indemnité de 100 000 euros en réparation des conséquences dommageables du refus illégal de la recruter par voie de changement d'établissement et une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral généré par la discrimination qu'elle estime avoir subie à raison de sa maternité et de mettre à la charge du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne les entiers dépens ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Par un jugement n° 1505250 du 19 janvier 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.


Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 février 2016 et le 9 mai 2017, Mme A... F..., représenté par la SELAS LLC et Associés, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1505250 du 19 janvier 2016 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 juin 2015 par laquelle le directeur des ressources humaines du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne a rejeté sa demande de recrutement statutaire par voie de changement d'établissement et la décision verbale du 24 juillet 2015 par laquelle ledit centre hospitalier aurait refusé de la recruter en qualité d'infirmière titulaire à compter du 1er septembre 2015 ;
3°) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner le centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne à lui payer une indemnité de 100 000 euros en réparation des conséquences dommageables du refus illégal de la recruter par voie de changement d'établissement et une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral généré par la discrimination qu'elle estime avoir subie à raison de sa maternité ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne les entiers dépens ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- les deux décisions en litige de refus de recrutement statutaire par voie de changement d'établissement sont illégales en ce que :
elles méconnaissent l'article 38 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dès lors qu'elle est séparée de son compagnon avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité du fait de la mutation de celui-ci ; elle devait bénéficier de cet article alors même qu'elle était en position de disponibilité ;
le centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne lui a fait subir sans aucun fondement juridique un examen médical le 27 avril 2015 en vue de son recrutement statutaire ;
le compte-rendu de cet examen médical ne lui a pas été communiqué et n'a pas été communiqué à son médecin traitant ;
les conclusions de cet examen mentionnant une restriction à l'embauche sous la forme d'une interdiction de port de charges lourdes de plus de quinze kilogrammes sont erronées, dès lors qu'elle avait travaillé jusque-là, y compris au centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne, sans contre-indication ni restriction médicales, conformément aux avis d'octobre 2014 et de février 2015 du médecin du travail, et que son médecin généraliste traitant, le 7 août 2015, et son rhumatologue traitant, le 18 septembre 2015, n'ont constaté aucune contre-indication ni restriction à l'exercice de la profession d'infirmière ;
plusieurs des postes d'infirmière vacants au centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne au moment de sa demande de changement d'établissement lui auraient permis d'exercer en respectant la contre-indication mentionnée dans le rapport de l'examen médical du 27 avril 2015 ;

les deux décisions en litige sont constitutives d'une discrimination liée à son état de santé, dès lors que l'interdiction de port de charges lourdes de plus de quinze kilogrammes émise n'est pas incompatible avec l'aptitude à exercer les fonctions d'infirmière ;
- du fait de l'illégalité fautive de ces deux décisions, elle a subi un préjudice matériel évalué à 100 000 euros du fait d'une perte de rémunération durant son congé de maternité et d'une perte d'avancement ;
- elle a droit à une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral généré par la discrimination qu'elle estime avoir subie à raison de sa maternité ; en effet, lors de l'entretien qu'elle a eu le 5 février 2015 avec le directeur des ressources humaines du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne en présence de deux représentants syndicaux, ce directeur lui a indiqué que sa maternité serait plus onéreuse pour le centre hospitalier en tant que titulaire qu'en tant qu'agent contractuel en contrat à durée déterminée et lui a proposé de procéder à son changement d'établissement au 1er septembre 2015, à l'issue de son congé de maternité.


Par deux mémoires en défense, enregistrés le 31 mai 2016 et le 4 novembre 2016, le centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne, représenté par la SELARL BCV Avocats, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- les conclusions de la demande de première instance dirigées contre une prétendue décision verbale du 24 juillet 2015 émanant de ses services sont irrecevables, dès lors que l'existence d'une telle décision n'est pas établie ;
- il était en situation de compétence liée pour rejeter la demande de changement d'établissement de Mme F... en l'absence d'acceptation de cette mutation par son établissement public de santé d'origine ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.


Des observations, enregistrées le 21 septembre 2016, ont été présentées par le Défenseur des droits.


Par ordonnance du 4 mai 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mai 2017.


Un mémoire, enregistré le 15 janvier 2018 et présenté pour MmeF..., n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, notamment son article 33 ;
- le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hervé Drouet, président assesseur,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Louche, avocat (SELAS LLC et Associés), pour Mme F..., ainsi que celles de Me Brocheton, avocat (SELARL BCV Avocats), pour le centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne ;




Sur la recevabilité des conclusions de la demande de première instance dirigées contre une décision verbale du 24 juillet 2015 :

1. Considérant qu'il ne ressort d'aucune des pièces des dossiers de première instance et d'appel qu'une décision verbale émanant des services du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne aurait été prise à l'encontre de Mme F... le 24 juillet 2015 ; que, dès lors, les conclusions de sa demande de première instance tendant à l'annulation d'une telle décision étaient dépourvues d'objet et, par suite, irrecevables, ainsi que le fait valoir le centre hospitalier intimé ; qu'il résulte de ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre une prétendue décision verbale du 24 juillet 2015 ;


Sur la légalité de la décision en litige du 22 juin 2015 et les conclusions de Mme F... à fin d'injonction :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Sous réserve des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 4, les décisions relatives au recrutement et à la carrière des fonctionnaires sont prises par les autorités investies du pouvoir de nomination, qui sont désignées par les lois et décrets relatifs à l'organisation des différents établissements. " ; que selon l'article 32 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Par dérogation à l'article 29 ci-dessus, les fonctionnaires hospitaliers peuvent être recrutés sans concours : / (...) / d) Lorsqu'un fonctionnaire change d'établissement pour occuper un des emplois auquel son grade donne vocation dans un autre des établissements mentionnés à l'article 2. " ; que l'article 62 de ladite loi dispose : " La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son établissement, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l'avancement et à la retraite. / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un fonctionnaire hospitalier en position de disponibilité ne peut être recruté directement par un autre établissement par la voie du changement d'établissement sans avoir été préalablement réintégré dans son établissement d'origine ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers de première instance et d'appel que Mme F..., infirmière titulaire en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière au Groupe hospitalier Sud Ardennes, a été placée à sa demande en disponibilité pour convenances personnelles du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2015 par arrêté du 17 octobre 2014 du directeur de cet établissement public de santé ; que si, par courrier du 23 mars 2015, le directeur du Groupe hospitalier Sud Ardennes a confirmé au directeur du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne la date du 1er septembre 2015 pour le changement d'établissement de l'intéressée, il est constant qu'il n'a pas été mis fin à sa disponibilité prononcée jusqu'au 31 octobre 2015 et que l'agent n'a pas été réintégrée dans le Groupe hospitalier Sud Ardennes avant cette date ; que, dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le directeur du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne était, au 22 juin 2015, date de la décision en litige, tenu de rejeter la demande du 26 janvier 2015 de l'intéressée, renouvelée le 27 mai 2015 par l'intermédiaire de son conseil et tendant à son recrutement par ledit centre hospitalier par la voie du changement d'établissement, alors qu'elle se trouvait en position de disponibilité ; que, par suite, tous les moyens invoqués par la requérante à l'encontre de la décision contestée du 22 juin 2015 du directeur des ressources humaines du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne rejetant sa demande de recrutement par voie de changement d'établissement, doivent être écartés comme inopérants ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de ladite décision du 22 juin 2015 ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions de sa requête à fin d'injonction ;


Sur les conclusions de Mme F... à fin d'indemnisation :

5. Considérant, d'une part, que, comme il a été dit au point 1, il n'est établi par aucune des pièces des dossiers de première instance et d'appel qu'une décision verbale émanant des services du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne aurait été prise à l'encontre de Mme F... le 24 juillet 2015 ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette prétendue décision verbale ;

6. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 que la décision du 22 juin 2015 du directeur des ressources humaines du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne n'est pas illégale ; que, par suite, Mme F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette dernière décision ;

7. Considérant, en revanche, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction applicable au litige : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. " ; qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discrimination de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'une telle discrimination ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination ; que l'existence de faits de discrimination ou de harcèlement doit s'apprécier au vu de ces échanges contradictoires ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment d'une attestation du 4 mai 2015 de M. E... C... et de Mme D... B..., délégués syndicaux du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne qui ont accompagné Mme F... à l'entretien qu'elle a eu le 6 février 2015 avec le directeur des ressources humaines de ce centre hospitalier, que, durant cet entretien, ce directeur a exprimé son refus de la recruter par la voie du changement d'établissement du fait qu'elle était enceinte, en expliquant que le centre hospitalier aurait à financer son congé de maternité dans le cas d'un tel recrutement et lui a proposé, dans le cadre du contrat à durée déterminée la liant au centre hospitalier, de partir en congé de maternité qui serait alors financé par la sécurité sociale en s'engageant, en contrepartie, à la recruter par voie de mutation à l'issue de ce congé ;

9. Considérant que même s'il est demeuré sans effet sur la situation de l'intéressée en raison de l'impossibilité statutaire de faire droit à sa demande de mutation, le refus ainsi manifesté de la recruter fondé sur de telles considérations procède d'un comportement discriminatoire prohibé par les dispositions sus rappelées de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 et constitue, par suite, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Lucien Hussel à l'égard de Mme F... ; qu'il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme F... du fait de cette discrimination en lui allouant une indemnité de 3 000 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la réparation des conséquences dommageables de la discrimination qu'elle a subie ;


Sur les frais liés au litige :

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme F... et du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


DÉCIDE :


Article 1er : Le centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne est condamné à payer une indemnité de 3 000 euros à Mme F....
Article 2 : Le jugement n° 1505250 du 19 janvier 2016 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F... et les conclusions du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... et au centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne.
Copie en sera adressée pour information au Défenseur des droits.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
M. Hervé Drouet, président assesseur,
M. Marc Clément, premier conseiller.
Lu en audience publique le 20 février 2018.
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N° 16LY00541
mg



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