CAA de LYON, 4ème chambre - formation à 3, 15/02/2018, 16LY02203, Inédit au recueil Lebon
CAA de LYON, 4ème chambre - formation à 3, 15/02/2018, 16LY02203, Inédit au recueil Lebon
CAA de LYON - 4ème chambre - formation à 3
- N° 16LY02203
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
15 février 2018
- Président
- M. d'HERVE
- Rapporteur
- Mme Sophie LESIEUX
- Avocat(s)
- DE BEAUREGARD
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Aytex a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis en raison de l'illégalité de la décision du 26 septembre 2008 par laquelle le préfet de la Savoie a rejeté sa demande d'ouverture tardive de l'établissement " le Cocktail Club " situé à Chambéry.
Par un jugement n° 1206768 du 17 mars 2015, le tribunal administratif de Grenoble a, avant-dire droit, ordonné une expertise afin de déterminer le préjudice subi par la SARL Aytex.
Par un jugement n° 1206768 du 28 avril 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à la SARL Aytex la somme de 322 281 euros et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 5 587, 20 euros.
Procédure devant la cour
I°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juin 2016 et 7 juillet 2017, sous le n° 16LY02203, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016 et de rejeter les conclusions indemnitaires de la SARL Aytex ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement et de limiter la période de responsabilité de l'Etat.
Il soutient que :
- l'établissement exploité sous l'enseigne " le Cocktail Club " fait l'objet, depuis 2005, d'un très grand nombre d'incidents avec violences volontaires ayant nécessité l'intervention des forces de police ;
- il n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat malgré l'illégalité dont est entachée sa décision du 26 septembre 2008 et ce, compte tenu des nombreux troubles à l'ordre public occasionnés par ce débit de boissons, et en particulier, la rixe survenue le 31 mai 2008 à la suite de laquelle un client de cet établissement est décédé ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'à compter du 26 septembre 2008 et non du 3 août 2008 comme l'a jugé, à tort, le tribunal administratif de Grenoble ; la SARL Aytex a fait l'objet d'une nouvelle décision de rejet de sa demande d'autorisation d'ouverture tardive, le 5 avril 2009, de sorte que la fin de la période de responsabilité de l'Etat ne peut être fixée au-delà de cette date ;
- la SARL Aytex ne peut prétendre à une réparation de ses préjudices d'un montant supérieur à ce qui a été accordé par les premiers juges.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2017, et un nouveau mémoire non communiqué, enregistré le 19 janvier 2018, la SARL Aytex, représentée par le cabinet Belem Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 320 165 euros au titre de son manque à gagner du 3 août 2008 au 5 mai 2009, 23 903 euros au titre des loyers impayés du 5 mai au 1er juillet 2009, 188 741,34 euros au titre des loyers impayés de 2013 à 2015, 22 727, 90 euros au titre des honoraires exceptionnels, 611 000 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce et 10 000 euros en réparation de troubles dans les conditions d'existence ;
3°) subsidiairement, d'ordonner un complément d'expertise sur la perte de valeur du fonds de commerce avant la mise en location-gérance ;
4°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 15 548 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'appel contre le jugement du 28 avril 2016 ne vaut pas appel contre le jugement avant-dire droit du 17 mars 2015 ; les moyens invoqués par le préfet de la Savoie contre ce jugement du 17 mars 2015 sont donc irrecevables ; subsidiairement, ils ne sont pas fondés ;
- le jugement du 12 juin 2012, déclarant illégale la décision du 26 septembre 2008, est devenu définitif ; le préfet de la Savoie n'est ni recevable ni fondé à invoquer une substitution de motifs ; en tout état de cause, les faits invoqués par le préfet ne peuvent justifier la mesure prise à son encontre ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé la période de responsabilité de l'Etat courant du 3 août 2008 au 5 mai 2009 ;
- la perte de loyers de mai à juillet 2009 résulte de l'impossibilité, pour le locataire-gérant, d'exploiter l'établissement tant que l'autorisation d'ouverture tardive n'était pas donnée ;
- les loyers impayés par la société Bali de 2013 à 2015 résultent de ce qu'elle a été contrainte, par l'administration préfectorale, à conclure un contrat de location-gérance pour pouvoir prétendre à une autorisation d'ouverture tardive ;
- la perte de valeur du fonds de commerce était acquise dès 2010 ;
- la fermeture de l'établissement a causé un trouble dans les conditions d'existence personnelle et familiale de ses associés.
II°) Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2016, sous le n° 16LY02266, et un nouveau mémoire non communiqué, enregistré le 19 janvier 2018, la SARL Aytex, représentée par le cabinet Belem Avocats, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 320 165 euros au titre de son manque à gagner du 3 août 2008 au 5 mai 2009, 23 903 euros au titre des loyers impayés du 5 mai au 1er juillet 2009, 188 741,34 euros au titre des loyers impayés de 2013 à 2015, 22 727, 90 euros au titre des honoraires exceptionnels, 611 000 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce et 10 000 euros en réparation de troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 15 548 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la perte de loyers de mai à juillet 2009 résulte de l'impossibilité, pour le locataire-gérant, d'exploiter l'établissement tant que l'autorisation d'ouverture tardive n'était pas donnée ;
- les loyers impayés par la société Bali de 2013 à 2015 résultent de ce qu'elle a été contrainte, par l'administration préfectorale, à conclure un contrat de location-gérance pour pouvoir prétendre à une autorisation d'ouverture tardive ;
- la perte de valeur du fonds de commerce était acquise dès 2010 ;
- la fermeture de l'établissement a causé un trouble dans les conditions d'existence personnelle et familiale de ses associés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2016, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête et demande à la cour de réformer le jugement du 28 avril 2016 du tribunal administratif de Grenoble et de limiter la période de responsabilité de l'Etat.
Il faut valoir que :
- la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'à compter du 26 septembre 2008 et non du 3 août 2008 comme l'a jugé, à tort, le tribunal administratif de Grenoble ;
- il n'y a pas de lien de causalité direct entre la décision entachée d'une illégalité fautive et la mise en location-gérance ; la SARL Aytex a commis une faute en ne procédant pas plus rapidement au choix de la mise en location-gérance de son établissement ;
- le jugement retient inexactement la date du 5 mai 2009 pour marquer le terme du préjudice tenant à la fermeture complète de l'établissement ;
- les loyers impayés par la société Bali de 2013 à 2015 sont sans lien direct et certain avec la décision du 26 septembre 2008 ;
- la société appelante n'est pas recevable à invoquer la perte de valeur d'un fonds de commerce dont elle n'est pas propriétaire ;
- les troubles dans les conditions d'existence sont invoqués pour la première fois en appel et sont irrecevables ; par ailleurs, et en tout état de cause, il n'existe aucun lien de causalité direct entre une mesure de police administrative portant sur un établissement commercial et les conditions d'existence de ses associés ;
- la société ne peut obtenir le versement de sommes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dont elle a déjà été indemnisée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- les observations de Me A...représentant la société Aytex ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 26 janvier 2018 présentée pour la société Aytex ;
1. Considérant que les requêtes enregistrées sous les nos 16LY02203 et 16LY02266, présentées par le préfet de la Savoie et la SARL Aytex sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;
2. Considérant que la SARL Aytex, qui exploitait une discothèque à Chambéry sous l'enseigne " Le Cocktail Club ", a sollicité du préfet de la Savoie, par un courrier du 24 avril 2008, reçu le 29, le renouvellement de son autorisation exceptionnelle d'ouverture tardive ; que par un arrêté du 26 septembre 2008, le préfet de la Savoie a rejeté sa demande et que par un jugement n° 0802716-0804558 du 12 juin 2012, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision ; qu'après avoir formé une demande indemnitaire préalable, la SARL Aytex a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'un recours de plein contentieux ; que, par un jugement n° 1206768 du 17 mars 2015, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré du fait de cette illégalité fautive l'Etat responsable du préjudice subi par la SARL Aytex à compter du 3 août 2008 et a, avant dire droit, ordonné une expertise ; que par un second jugement n° 1206768 du 28 avril 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à la SARL Aytex la somme de 322 281 euros en réparation de sa perte annuelle de bénéfice et des frais d'honoraires et de conseils liés au changement de gérant et à la mise en location-gérance de l'établissement ; que le préfet de la Savoie et la SARL Aytex relèvent chacun appel de ce jugement ;
Sur le principe de responsabilité de l'Etat :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 811-6 du code de justice administrative : " Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige. " ; qu'il ressort des écritures mêmes du préfet de la Savoie qu'à l'occasion de son appel contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016, il conteste le principe de responsabilité de l'État retenu par le jugement du 17 mars 2015 du même tribunal déclarant avant dire droit l'État responsable du préjudice subi par la SARL Aytex ; qu'il en résulte que la SARL Aytex n'est pas fondée à soutenir que les moyens invoqués à l'encontre du jugement avant-dire-droit du 17 mars 2015, par le préfet de la Savoie, seraient irrecevables faute de conclusions d'appel tendant à son annulation ;
4. Considérant, en second lieu, que l'illégalité de la décision du 26 septembre 2008 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain ; qu'un préjudice ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit qu'elle aurait pris la même décision si elle avait fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte ;
5. Considérant qu'aux termes du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique relatif à la police administrative spéciale des débits de boissons : " En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. " ; qu'en application de l'article 2 de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2003 portant règlement permanent de la police des débits de boissons dans le département de la Savoie, l'heure de fermeture des débits de boissons, situés à Chambéry est fixée à 1h30 ; que l'article 3 de ce même arrêté prévoit la possibilité pour les exploitants de discothèques d'obtenir du préfet une dérogation à l'heure de fermeture des débits de boissons, et ce, jusque 4 heures du matin ; que cet article précise que " Ces dérogations accordées à titre précaire sont révocables à tout moment notamment pour des impératifs d'ordre et de tranquillité " ; qu'il en résulte qu'un même fait portant atteinte à l'ordre public ou à la tranquillité publique peut légalement justifier une mesure de fermeture administrative sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, dans la limite de deux mois, et un refus ou une abrogation de l'autorisation d'ouverture tardive ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 12 juin 2012, annulé l'arrêté préfectoral du 26 septembre 2008 portant refus d'autorisation d'ouverture tardive aux motifs que la matérialité des faits sur lesquels il était fondé n'était pas établie, exceptée l'alcoolémie de clients constatée les 18 avril et 31 mai 2008 ; que toutefois, le préfet de la Savoie fait état devant la cour d'affrontements de deux bandes rivales, survenus le 31 mai 2008, à proximité de la discothèque et qui ont légalement justifié la fermeture de cet établissement, pendant deux mois du 3 juin au 3 août 2008, sur le fondement du 2° de l'article 3332-15 du code de la santé publique, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Grenoble le 12 juin 2012 ; que si la SARL Aytex fait valoir que le jeune homme décédé au cours de cette rixe aurait succombé à une rupture d'anévrisme et que l'instruction judiciaire aurait conclu à un non-lieu, les faits de violence qui se sont déroulés le 31 mai 2008 et dont l'inexistence matérielle n'est pas établie, sont, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Grenoble dans son jugement définitif du 12 juin 2012, en relation directe avec la fréquentation de l'établissement ; que cet évènement constituait un trouble à l'ordre public de nature à justifier un refus d'autorisation de fermeture tardive sur le fondement de l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2003 ; que dès lors, l'illégalité fautive commise par l'administration à l'occasion de sa décision du 26 septembre 2008 n'est pas à l'origine du préjudice résultant pour la SARL Aytex du refus d'autorisation de fermeture tardive ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à indemniser la SARL Aytex du préjudice subi du fait de l'illégalité de sa décision du 26 septembre 2008 ; que la demande de la SARL Aytex devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'octroi d'une indemnité en réparation d'un tel préjudice ainsi que ses conclusions d'appel tendant à la réformation de ce jugement doivent être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1206768 du 28 avril 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SARL Aytex devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée ainsi que ses conclusions d'appel.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Savoie et à la SARL Aytex.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 février 2018.
6
Nos 16LY02203 - 16LY02266
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Aytex a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis en raison de l'illégalité de la décision du 26 septembre 2008 par laquelle le préfet de la Savoie a rejeté sa demande d'ouverture tardive de l'établissement " le Cocktail Club " situé à Chambéry.
Par un jugement n° 1206768 du 17 mars 2015, le tribunal administratif de Grenoble a, avant-dire droit, ordonné une expertise afin de déterminer le préjudice subi par la SARL Aytex.
Par un jugement n° 1206768 du 28 avril 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à la SARL Aytex la somme de 322 281 euros et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 5 587, 20 euros.
Procédure devant la cour
I°) Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juin 2016 et 7 juillet 2017, sous le n° 16LY02203, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016 et de rejeter les conclusions indemnitaires de la SARL Aytex ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement et de limiter la période de responsabilité de l'Etat.
Il soutient que :
- l'établissement exploité sous l'enseigne " le Cocktail Club " fait l'objet, depuis 2005, d'un très grand nombre d'incidents avec violences volontaires ayant nécessité l'intervention des forces de police ;
- il n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat malgré l'illégalité dont est entachée sa décision du 26 septembre 2008 et ce, compte tenu des nombreux troubles à l'ordre public occasionnés par ce débit de boissons, et en particulier, la rixe survenue le 31 mai 2008 à la suite de laquelle un client de cet établissement est décédé ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'à compter du 26 septembre 2008 et non du 3 août 2008 comme l'a jugé, à tort, le tribunal administratif de Grenoble ; la SARL Aytex a fait l'objet d'une nouvelle décision de rejet de sa demande d'autorisation d'ouverture tardive, le 5 avril 2009, de sorte que la fin de la période de responsabilité de l'Etat ne peut être fixée au-delà de cette date ;
- la SARL Aytex ne peut prétendre à une réparation de ses préjudices d'un montant supérieur à ce qui a été accordé par les premiers juges.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2017, et un nouveau mémoire non communiqué, enregistré le 19 janvier 2018, la SARL Aytex, représentée par le cabinet Belem Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 320 165 euros au titre de son manque à gagner du 3 août 2008 au 5 mai 2009, 23 903 euros au titre des loyers impayés du 5 mai au 1er juillet 2009, 188 741,34 euros au titre des loyers impayés de 2013 à 2015, 22 727, 90 euros au titre des honoraires exceptionnels, 611 000 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce et 10 000 euros en réparation de troubles dans les conditions d'existence ;
3°) subsidiairement, d'ordonner un complément d'expertise sur la perte de valeur du fonds de commerce avant la mise en location-gérance ;
4°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 15 548 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'appel contre le jugement du 28 avril 2016 ne vaut pas appel contre le jugement avant-dire droit du 17 mars 2015 ; les moyens invoqués par le préfet de la Savoie contre ce jugement du 17 mars 2015 sont donc irrecevables ; subsidiairement, ils ne sont pas fondés ;
- le jugement du 12 juin 2012, déclarant illégale la décision du 26 septembre 2008, est devenu définitif ; le préfet de la Savoie n'est ni recevable ni fondé à invoquer une substitution de motifs ; en tout état de cause, les faits invoqués par le préfet ne peuvent justifier la mesure prise à son encontre ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé la période de responsabilité de l'Etat courant du 3 août 2008 au 5 mai 2009 ;
- la perte de loyers de mai à juillet 2009 résulte de l'impossibilité, pour le locataire-gérant, d'exploiter l'établissement tant que l'autorisation d'ouverture tardive n'était pas donnée ;
- les loyers impayés par la société Bali de 2013 à 2015 résultent de ce qu'elle a été contrainte, par l'administration préfectorale, à conclure un contrat de location-gérance pour pouvoir prétendre à une autorisation d'ouverture tardive ;
- la perte de valeur du fonds de commerce était acquise dès 2010 ;
- la fermeture de l'établissement a causé un trouble dans les conditions d'existence personnelle et familiale de ses associés.
II°) Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2016, sous le n° 16LY02266, et un nouveau mémoire non communiqué, enregistré le 19 janvier 2018, la SARL Aytex, représentée par le cabinet Belem Avocats, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 320 165 euros au titre de son manque à gagner du 3 août 2008 au 5 mai 2009, 23 903 euros au titre des loyers impayés du 5 mai au 1er juillet 2009, 188 741,34 euros au titre des loyers impayés de 2013 à 2015, 22 727, 90 euros au titre des honoraires exceptionnels, 611 000 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce et 10 000 euros en réparation de troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 15 548 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la perte de loyers de mai à juillet 2009 résulte de l'impossibilité, pour le locataire-gérant, d'exploiter l'établissement tant que l'autorisation d'ouverture tardive n'était pas donnée ;
- les loyers impayés par la société Bali de 2013 à 2015 résultent de ce qu'elle a été contrainte, par l'administration préfectorale, à conclure un contrat de location-gérance pour pouvoir prétendre à une autorisation d'ouverture tardive ;
- la perte de valeur du fonds de commerce était acquise dès 2010 ;
- la fermeture de l'établissement a causé un trouble dans les conditions d'existence personnelle et familiale de ses associés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2016, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête et demande à la cour de réformer le jugement du 28 avril 2016 du tribunal administratif de Grenoble et de limiter la période de responsabilité de l'Etat.
Il faut valoir que :
- la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'à compter du 26 septembre 2008 et non du 3 août 2008 comme l'a jugé, à tort, le tribunal administratif de Grenoble ;
- il n'y a pas de lien de causalité direct entre la décision entachée d'une illégalité fautive et la mise en location-gérance ; la SARL Aytex a commis une faute en ne procédant pas plus rapidement au choix de la mise en location-gérance de son établissement ;
- le jugement retient inexactement la date du 5 mai 2009 pour marquer le terme du préjudice tenant à la fermeture complète de l'établissement ;
- les loyers impayés par la société Bali de 2013 à 2015 sont sans lien direct et certain avec la décision du 26 septembre 2008 ;
- la société appelante n'est pas recevable à invoquer la perte de valeur d'un fonds de commerce dont elle n'est pas propriétaire ;
- les troubles dans les conditions d'existence sont invoqués pour la première fois en appel et sont irrecevables ; par ailleurs, et en tout état de cause, il n'existe aucun lien de causalité direct entre une mesure de police administrative portant sur un établissement commercial et les conditions d'existence de ses associés ;
- la société ne peut obtenir le versement de sommes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dont elle a déjà été indemnisée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- les observations de Me A...représentant la société Aytex ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 26 janvier 2018 présentée pour la société Aytex ;
1. Considérant que les requêtes enregistrées sous les nos 16LY02203 et 16LY02266, présentées par le préfet de la Savoie et la SARL Aytex sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;
2. Considérant que la SARL Aytex, qui exploitait une discothèque à Chambéry sous l'enseigne " Le Cocktail Club ", a sollicité du préfet de la Savoie, par un courrier du 24 avril 2008, reçu le 29, le renouvellement de son autorisation exceptionnelle d'ouverture tardive ; que par un arrêté du 26 septembre 2008, le préfet de la Savoie a rejeté sa demande et que par un jugement n° 0802716-0804558 du 12 juin 2012, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision ; qu'après avoir formé une demande indemnitaire préalable, la SARL Aytex a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'un recours de plein contentieux ; que, par un jugement n° 1206768 du 17 mars 2015, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré du fait de cette illégalité fautive l'Etat responsable du préjudice subi par la SARL Aytex à compter du 3 août 2008 et a, avant dire droit, ordonné une expertise ; que par un second jugement n° 1206768 du 28 avril 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à la SARL Aytex la somme de 322 281 euros en réparation de sa perte annuelle de bénéfice et des frais d'honoraires et de conseils liés au changement de gérant et à la mise en location-gérance de l'établissement ; que le préfet de la Savoie et la SARL Aytex relèvent chacun appel de ce jugement ;
Sur le principe de responsabilité de l'Etat :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 811-6 du code de justice administrative : " Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige. " ; qu'il ressort des écritures mêmes du préfet de la Savoie qu'à l'occasion de son appel contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2016, il conteste le principe de responsabilité de l'État retenu par le jugement du 17 mars 2015 du même tribunal déclarant avant dire droit l'État responsable du préjudice subi par la SARL Aytex ; qu'il en résulte que la SARL Aytex n'est pas fondée à soutenir que les moyens invoqués à l'encontre du jugement avant-dire-droit du 17 mars 2015, par le préfet de la Savoie, seraient irrecevables faute de conclusions d'appel tendant à son annulation ;
4. Considérant, en second lieu, que l'illégalité de la décision du 26 septembre 2008 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain ; qu'un préjudice ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit qu'elle aurait pris la même décision si elle avait fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte ;
5. Considérant qu'aux termes du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique relatif à la police administrative spéciale des débits de boissons : " En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. " ; qu'en application de l'article 2 de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2003 portant règlement permanent de la police des débits de boissons dans le département de la Savoie, l'heure de fermeture des débits de boissons, situés à Chambéry est fixée à 1h30 ; que l'article 3 de ce même arrêté prévoit la possibilité pour les exploitants de discothèques d'obtenir du préfet une dérogation à l'heure de fermeture des débits de boissons, et ce, jusque 4 heures du matin ; que cet article précise que " Ces dérogations accordées à titre précaire sont révocables à tout moment notamment pour des impératifs d'ordre et de tranquillité " ; qu'il en résulte qu'un même fait portant atteinte à l'ordre public ou à la tranquillité publique peut légalement justifier une mesure de fermeture administrative sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, dans la limite de deux mois, et un refus ou une abrogation de l'autorisation d'ouverture tardive ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 12 juin 2012, annulé l'arrêté préfectoral du 26 septembre 2008 portant refus d'autorisation d'ouverture tardive aux motifs que la matérialité des faits sur lesquels il était fondé n'était pas établie, exceptée l'alcoolémie de clients constatée les 18 avril et 31 mai 2008 ; que toutefois, le préfet de la Savoie fait état devant la cour d'affrontements de deux bandes rivales, survenus le 31 mai 2008, à proximité de la discothèque et qui ont légalement justifié la fermeture de cet établissement, pendant deux mois du 3 juin au 3 août 2008, sur le fondement du 2° de l'article 3332-15 du code de la santé publique, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Grenoble le 12 juin 2012 ; que si la SARL Aytex fait valoir que le jeune homme décédé au cours de cette rixe aurait succombé à une rupture d'anévrisme et que l'instruction judiciaire aurait conclu à un non-lieu, les faits de violence qui se sont déroulés le 31 mai 2008 et dont l'inexistence matérielle n'est pas établie, sont, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Grenoble dans son jugement définitif du 12 juin 2012, en relation directe avec la fréquentation de l'établissement ; que cet évènement constituait un trouble à l'ordre public de nature à justifier un refus d'autorisation de fermeture tardive sur le fondement de l'article 3 de l'arrêté préfectoral du 18 novembre 2003 ; que dès lors, l'illégalité fautive commise par l'administration à l'occasion de sa décision du 26 septembre 2008 n'est pas à l'origine du préjudice résultant pour la SARL Aytex du refus d'autorisation de fermeture tardive ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à indemniser la SARL Aytex du préjudice subi du fait de l'illégalité de sa décision du 26 septembre 2008 ; que la demande de la SARL Aytex devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'octroi d'une indemnité en réparation d'un tel préjudice ainsi que ses conclusions d'appel tendant à la réformation de ce jugement doivent être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1206768 du 28 avril 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SARL Aytex devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée ainsi que ses conclusions d'appel.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Savoie et à la SARL Aytex.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 février 2018.
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Nos 16LY02203 - 16LY02266