Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 22/01/2018, 414860, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 22/01/2018, 414860, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 7ème - 2ème chambres réunies
- N° 414860
- ECLI:FR:CECHR:2018:414860.20180122
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
lundi
22 janvier 2018
- Rapporteur
- M. Thomas Pez
- Avocat(s)
- SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Comptoir de négoce d'équipements a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'annuler la procédure de passation du marché de fourniture de matériel d'éclairage public à leds destiné à la place d'Armes de la commune de Vitry-le-François et, à titre subsidiaire, d'annuler le rejet de son offre ainsi que la décision retenant l'offre de la société CVELUM et d'ordonner la reprise de la procédure d'attribution.
Par une ordonnance n° 1701690 du 20 septembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la procédure de passation de ce marché.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 20 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Vitry-le-François demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Comptoir de négoce d'équipements ;
3°) de mettre à la charge de la société Comptoir de négoce d'équipements la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- l'arrêté du 25 mai 2016 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l'attribution de marchés publics et de contrats de concession ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Vitry-le-François et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Comptoir de négoce d'équipements.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé que par un avis d'appel public à la concurrence, la commune de Vitry-le-François a engagé une consultation selon une procédure adaptée ayant pour objet la fourniture de matériel d'éclairage public à leds pour la place d'Armes ; qu'à l'issue de cette consultation, la commune a, par deux courriers du 23 août 2017, informé la société Comptoir de négoce d'équipements du rejet de son offre et attribué le marché à la société CVELUM ; que par une ordonnance du 20 septembre 2017, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la procédure d'attribution du marché ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat " ; que l'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 45 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " Sont exclues de la procédure de passation des marchés publics : (...) 2° Les personnes qui n'ont pas souscrit les déclarations leur incombant en matière fiscale ou sociale (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 48 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature : / 1° Une déclaration sur l'honneur pour justifier qu'il n'entre dans aucun des cas mentionnés aux articles 45 et 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée et notamment qu'il est en règle au regard des articles L. 5212-1 à L. 5212-11 du code du travail concernant l'emploi des travailleurs handicapés " ; qu'aux termes du II de l'article 51 du même décret : " L'acheteur accepte comme preuve suffisante attestant que le candidat ne se trouve pas dans un cas d'interdiction de soumissionner mentionné au 2° de l'article 45 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, les certificats délivrés par les administrations et organismes compétents. Un arrêté des ministres intéressés fixe la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales devant donner lieu à délivrance d'un certificat ainsi que la liste des administrations et organismes compétents " ; qu'aux termes de l'article 55 du même décret : " (...) II. - L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s'appuie. Cette vérification est effectuée dans les conditions suivantes : / 1° La vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financières et des capacités techniques et professionnelles des candidats peut être effectuée à tout moment de la procédure et au plus tard avant l'attribution du marché public ; 2° L'acheteur ne peut exiger que du seul candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché public qu'il justifie ne pas être dans un cas d'interdiction de soumissionner ; / 3° Toutefois, lorsque l'acheteur limite le nombre de candidats admis à poursuivre la procédure, ces vérifications interviennent au plus tard avant l'envoi de l'invitation à soumissionner ou à participer au dialogue. /... / IV. - Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'interdiction de soumissionner, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l'acheteur, produit, à l'appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. / Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires " ; qu'enfin, aux termes du IV de l'article 2 de l'arrêté du 25 mai 2016 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l'attribution de marchés publics et de contrats de concession : " L'Association de gestion du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés, mentionnée à l'article L. 5214-1 du code du travail, délivre un certificat attestant la régularité de la situation de l'employeur au regard de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-2 à L. 5212-5 du même code " ;
4. Considérant, d'autre part, que l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés et l'obligation subséquente d'adresser une déclaration annuelle relative à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, prévues respectivement par les articles L. 5212-2 et L. 5212-5 du code du travail, s'appliquent uniquement, en vertu de l'article L. 5212-1 de ce code, aux employeurs occupant au moins vingt salariés ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'aucune disposition n'impose à un employeur occupant moins de vingt salariés d'employer des travailleurs handicapés ou de faire une déclaration annuelle d'emploi des travailleurs handicapés ; que, dès lors, la production du certificat attestant la régularité de la situation de l'employeur au regard de l'emploi des travailleurs handicapés mentionné dans l'arrêté du 25 mai 2016 cité au point 3 ne peut être exigée, lors de la passation d'un marché public, d'un candidat qui emploie moins de vingt salariés ; que, par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a commis une erreur de droit en estimant que la société attributaire du marché devait, alors même qu'elle n'était pas assujettie à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, produire un certificat attestant de la régularité de sa situation au regard de l'emploi des travailleurs handicapés et que la commune a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en lui attribuant le marché en cause alors que son offre aurait dû être déclarée irrecevable ; que la commune de Vitry-le-François est fondée à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen du pourvoi, l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
6. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
7. Considérant, en premier lieu, que la société Comptoir de négoce d'équipements soutient que la commune s'est abstenue de vérifier les capacités financières, techniques et professionnelles des candidats et que la candidature de la société CVELUM était incomplète, et donc irrégulière, faute de comporter une déclaration appropriée de banques ou la preuve d'une assurance pour les risques professionnels, pièce qui, en vertu du règlement de consultation du marché, devait être fournie au titre des renseignements concernant la capacité économique et financière de l'entreprise ; qu'il résulte toutefois du rapport d'analyse des candidatures élaboré par la commune que celle-ci a procédé à une analyse des capacités techniques, financières et professionnelles des candidatures ; qu'il résulte de l'instruction que le dossier de la société CVELUM était complet et conforme au règlement de la consultation ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'irrégularité de la candidature de la société attributaire du marché doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société CVELUM, dont il ressort du dossier qu'elle occupait moins de vingt salariés, n'était pas assujettie à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés ; que, par suite, la commune de Vitry-le-François n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n'exigeant pas de la société, pour qu'elle justifie ne pas être dans un cas d'interdiction de soumissionner, la production d'une attestation de conformité au regard de cette obligation ;
9. Considérant, en troisième lieu, que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics ; qu'il résulte de l'article 7.2 du règlement de la consultation que les critères d'attribution du marché litigieux étaient le prix des prestations, représentant 60 % de la note finale, et la valeur technique de l'offre, représentant 40 % de la note finale ; que le règlement de la consultation prévoyait que, pour la mise en oeuvre du critère de la valeur technique, chaque offre serait notée en fonction des caractéristiques et de la qualité des produits, représentant 70 % de la note du critère, et des conditions de livraison et de conditionnement, représentant 30 % de cette note ;
10. Considérant, d'une part, que contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, le sous-critère " conditions de livraison et de conditionnement " était en rapport avec l'objet du marché, alors même que les soumissionnaires n'étaient pas chargés de la fabrication des matériels ; que, par ailleurs, l'article 5.2 du cahier des clauses techniques particulières précisait que les fournitures devaient être " convenablement " emballées de manière à supporter sans dommage le transport et le stockage éventuel dans le magasin municipal ; que ce sous-critère était dès lors assorti de précisions suffisantes permettant son appréciation ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'eu égard à son imprécision, le sous-critère " conditions de livraison et conditionnement " conférait au pouvoir adjudicateur une liberté de choix discrétionnaire ;
11. Considérant, d'autre part, que les offres de la société requérante et de la société attributaire ont été toutes les deux jugées insuffisantes sur le sous-critère " conditions de livraison et de conditionnement " ; que la seule circonstance que, sur ce point, l'appréciation littérale de ces deux offres est identique alors que les notes attribuées sont différentes n'établit pas en soi que la méthode de notation serait irrégulière ;
12. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 60 du décret du 25 mars 2016 : " I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché public qu'il envisage de sous-traiter. / (...) II. - L'acheteur rejette l'offre : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés (...) " ;
13. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre ;
14. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'offre de la société CVELUM était d'un montant de 79 090 euros HT alors que celle de la société requérante était d'un montant de 80 331,90 euros HT ; que pour établir que la commune a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant l'offre de la société CVELUM, dont il est allégué qu'elle est anormalement basse, la société Comptoir de négoce d'équipements se borne à soutenir que le montant de l'offre de la société CVELUM correspond au prix d'achat des matériels et ne lui permet pas de faire un bénéfice ; que cette seule circonstance n'est pas suffisante pour que le prix proposé soit regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune de Vitry-le-François aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant une offre anormalement basse ;
15. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes du I de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 précité : " Pour les marchés publics passés selon une procédure adaptée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre. / Il communique aux candidats et aux soumissionnaires qui en font la demande écrite les motifs du rejet de leur candidature ou de leur offre dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Si le soumissionnaire a vu son offre écartée alors qu'elle n'était ni inappropriée ni irrégulière ni inacceptable l'acheteur lui communique, en outre, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché public " ; qu'il résulte de ces dispositions que pour les marchés passés selon une procédure adaptée, l'acheteur notifie au soumissionnaire le rejet de son offre et, s'il en fait la demande écrite, lui communique les motifs du rejet ; qu'il lui communique en outre, si son offre n'était ni appropriée ni irrégulière ni inacceptable, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché ;
16. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un courrier du 23 août 2017, la commune de Vitry-le-François a informé la société Comptoir de négoce d'équipements du rejet de son offre et des motifs de ce rejet ; qu'à la suite d'une demande écrite de la société, la commune de Vitry-le-François a, par un courrier du 12 septembre 2017, indiqué les caractéristiques et avantages de l'offre de la société CVELUM qui avait été retenue ; que contrairement à ce qui est soutenu, les indications données sur ce point par la commune étaient suffisantes ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la commune de Vitry-le-François aurait méconnu les dispositions du I de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 précité en s'abstenant d'indiquer les caractéristiques et avantages de l'offre retenue doit être écarté ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Comptoir de négoce d'équipements n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure d'attribution du marché de fourniture de matériel d'éclairage public à leds destiné à la place d'Armes de la commune de Vitry-le-François ;
18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Comptoir de négoce d'équipements la somme de 4 000 euros à verser à la commune de Vitry-le-François au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 septembre 2017 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Comptoir de négoce d'équipements devant le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est rejetée.
Article 3 : La société Comptoir de négoce d'équipements versera la somme de 4 000 euros à la commune de Vitry-le-François au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Vitry-le-François et à la société Comptoir de négoce d'équipements.
Copie en sera adressée à la société CVELUM.
ECLI:FR:CECHR:2018:414860.20180122
La société Comptoir de négoce d'équipements a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'annuler la procédure de passation du marché de fourniture de matériel d'éclairage public à leds destiné à la place d'Armes de la commune de Vitry-le-François et, à titre subsidiaire, d'annuler le rejet de son offre ainsi que la décision retenant l'offre de la société CVELUM et d'ordonner la reprise de la procédure d'attribution.
Par une ordonnance n° 1701690 du 20 septembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la procédure de passation de ce marché.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 20 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Vitry-le-François demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Comptoir de négoce d'équipements ;
3°) de mettre à la charge de la société Comptoir de négoce d'équipements la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- l'arrêté du 25 mai 2016 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l'attribution de marchés publics et de contrats de concession ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Vitry-le-François et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Comptoir de négoce d'équipements.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé que par un avis d'appel public à la concurrence, la commune de Vitry-le-François a engagé une consultation selon une procédure adaptée ayant pour objet la fourniture de matériel d'éclairage public à leds pour la place d'Armes ; qu'à l'issue de cette consultation, la commune a, par deux courriers du 23 août 2017, informé la société Comptoir de négoce d'équipements du rejet de son offre et attribué le marché à la société CVELUM ; que par une ordonnance du 20 septembre 2017, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la procédure d'attribution du marché ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat " ; que l'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 45 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " Sont exclues de la procédure de passation des marchés publics : (...) 2° Les personnes qui n'ont pas souscrit les déclarations leur incombant en matière fiscale ou sociale (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 48 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature : / 1° Une déclaration sur l'honneur pour justifier qu'il n'entre dans aucun des cas mentionnés aux articles 45 et 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée et notamment qu'il est en règle au regard des articles L. 5212-1 à L. 5212-11 du code du travail concernant l'emploi des travailleurs handicapés " ; qu'aux termes du II de l'article 51 du même décret : " L'acheteur accepte comme preuve suffisante attestant que le candidat ne se trouve pas dans un cas d'interdiction de soumissionner mentionné au 2° de l'article 45 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, les certificats délivrés par les administrations et organismes compétents. Un arrêté des ministres intéressés fixe la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales devant donner lieu à délivrance d'un certificat ainsi que la liste des administrations et organismes compétents " ; qu'aux termes de l'article 55 du même décret : " (...) II. - L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s'appuie. Cette vérification est effectuée dans les conditions suivantes : / 1° La vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financières et des capacités techniques et professionnelles des candidats peut être effectuée à tout moment de la procédure et au plus tard avant l'attribution du marché public ; 2° L'acheteur ne peut exiger que du seul candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché public qu'il justifie ne pas être dans un cas d'interdiction de soumissionner ; / 3° Toutefois, lorsque l'acheteur limite le nombre de candidats admis à poursuivre la procédure, ces vérifications interviennent au plus tard avant l'envoi de l'invitation à soumissionner ou à participer au dialogue. /... / IV. - Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'interdiction de soumissionner, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l'acheteur, produit, à l'appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. / Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires " ; qu'enfin, aux termes du IV de l'article 2 de l'arrêté du 25 mai 2016 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l'attribution de marchés publics et de contrats de concession : " L'Association de gestion du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés, mentionnée à l'article L. 5214-1 du code du travail, délivre un certificat attestant la régularité de la situation de l'employeur au regard de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-2 à L. 5212-5 du même code " ;
4. Considérant, d'autre part, que l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés et l'obligation subséquente d'adresser une déclaration annuelle relative à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, prévues respectivement par les articles L. 5212-2 et L. 5212-5 du code du travail, s'appliquent uniquement, en vertu de l'article L. 5212-1 de ce code, aux employeurs occupant au moins vingt salariés ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'aucune disposition n'impose à un employeur occupant moins de vingt salariés d'employer des travailleurs handicapés ou de faire une déclaration annuelle d'emploi des travailleurs handicapés ; que, dès lors, la production du certificat attestant la régularité de la situation de l'employeur au regard de l'emploi des travailleurs handicapés mentionné dans l'arrêté du 25 mai 2016 cité au point 3 ne peut être exigée, lors de la passation d'un marché public, d'un candidat qui emploie moins de vingt salariés ; que, par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a commis une erreur de droit en estimant que la société attributaire du marché devait, alors même qu'elle n'était pas assujettie à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, produire un certificat attestant de la régularité de sa situation au regard de l'emploi des travailleurs handicapés et que la commune a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en lui attribuant le marché en cause alors que son offre aurait dû être déclarée irrecevable ; que la commune de Vitry-le-François est fondée à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen du pourvoi, l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
6. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
7. Considérant, en premier lieu, que la société Comptoir de négoce d'équipements soutient que la commune s'est abstenue de vérifier les capacités financières, techniques et professionnelles des candidats et que la candidature de la société CVELUM était incomplète, et donc irrégulière, faute de comporter une déclaration appropriée de banques ou la preuve d'une assurance pour les risques professionnels, pièce qui, en vertu du règlement de consultation du marché, devait être fournie au titre des renseignements concernant la capacité économique et financière de l'entreprise ; qu'il résulte toutefois du rapport d'analyse des candidatures élaboré par la commune que celle-ci a procédé à une analyse des capacités techniques, financières et professionnelles des candidatures ; qu'il résulte de l'instruction que le dossier de la société CVELUM était complet et conforme au règlement de la consultation ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'irrégularité de la candidature de la société attributaire du marché doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société CVELUM, dont il ressort du dossier qu'elle occupait moins de vingt salariés, n'était pas assujettie à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés ; que, par suite, la commune de Vitry-le-François n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n'exigeant pas de la société, pour qu'elle justifie ne pas être dans un cas d'interdiction de soumissionner, la production d'une attestation de conformité au regard de cette obligation ;
9. Considérant, en troisième lieu, que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics ; qu'il résulte de l'article 7.2 du règlement de la consultation que les critères d'attribution du marché litigieux étaient le prix des prestations, représentant 60 % de la note finale, et la valeur technique de l'offre, représentant 40 % de la note finale ; que le règlement de la consultation prévoyait que, pour la mise en oeuvre du critère de la valeur technique, chaque offre serait notée en fonction des caractéristiques et de la qualité des produits, représentant 70 % de la note du critère, et des conditions de livraison et de conditionnement, représentant 30 % de cette note ;
10. Considérant, d'une part, que contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, le sous-critère " conditions de livraison et de conditionnement " était en rapport avec l'objet du marché, alors même que les soumissionnaires n'étaient pas chargés de la fabrication des matériels ; que, par ailleurs, l'article 5.2 du cahier des clauses techniques particulières précisait que les fournitures devaient être " convenablement " emballées de manière à supporter sans dommage le transport et le stockage éventuel dans le magasin municipal ; que ce sous-critère était dès lors assorti de précisions suffisantes permettant son appréciation ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'eu égard à son imprécision, le sous-critère " conditions de livraison et conditionnement " conférait au pouvoir adjudicateur une liberté de choix discrétionnaire ;
11. Considérant, d'autre part, que les offres de la société requérante et de la société attributaire ont été toutes les deux jugées insuffisantes sur le sous-critère " conditions de livraison et de conditionnement " ; que la seule circonstance que, sur ce point, l'appréciation littérale de ces deux offres est identique alors que les notes attribuées sont différentes n'établit pas en soi que la méthode de notation serait irrégulière ;
12. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 60 du décret du 25 mars 2016 : " I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché public qu'il envisage de sous-traiter. / (...) II. - L'acheteur rejette l'offre : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés (...) " ;
13. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre ;
14. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'offre de la société CVELUM était d'un montant de 79 090 euros HT alors que celle de la société requérante était d'un montant de 80 331,90 euros HT ; que pour établir que la commune a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant l'offre de la société CVELUM, dont il est allégué qu'elle est anormalement basse, la société Comptoir de négoce d'équipements se borne à soutenir que le montant de l'offre de la société CVELUM correspond au prix d'achat des matériels et ne lui permet pas de faire un bénéfice ; que cette seule circonstance n'est pas suffisante pour que le prix proposé soit regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune de Vitry-le-François aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant une offre anormalement basse ;
15. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes du I de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 précité : " Pour les marchés publics passés selon une procédure adaptée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre. / Il communique aux candidats et aux soumissionnaires qui en font la demande écrite les motifs du rejet de leur candidature ou de leur offre dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Si le soumissionnaire a vu son offre écartée alors qu'elle n'était ni inappropriée ni irrégulière ni inacceptable l'acheteur lui communique, en outre, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché public " ; qu'il résulte de ces dispositions que pour les marchés passés selon une procédure adaptée, l'acheteur notifie au soumissionnaire le rejet de son offre et, s'il en fait la demande écrite, lui communique les motifs du rejet ; qu'il lui communique en outre, si son offre n'était ni appropriée ni irrégulière ni inacceptable, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché ;
16. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un courrier du 23 août 2017, la commune de Vitry-le-François a informé la société Comptoir de négoce d'équipements du rejet de son offre et des motifs de ce rejet ; qu'à la suite d'une demande écrite de la société, la commune de Vitry-le-François a, par un courrier du 12 septembre 2017, indiqué les caractéristiques et avantages de l'offre de la société CVELUM qui avait été retenue ; que contrairement à ce qui est soutenu, les indications données sur ce point par la commune étaient suffisantes ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la commune de Vitry-le-François aurait méconnu les dispositions du I de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 précité en s'abstenant d'indiquer les caractéristiques et avantages de l'offre retenue doit être écarté ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Comptoir de négoce d'équipements n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure d'attribution du marché de fourniture de matériel d'éclairage public à leds destiné à la place d'Armes de la commune de Vitry-le-François ;
18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Comptoir de négoce d'équipements la somme de 4 000 euros à verser à la commune de Vitry-le-François au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 septembre 2017 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Comptoir de négoce d'équipements devant le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est rejetée.
Article 3 : La société Comptoir de négoce d'équipements versera la somme de 4 000 euros à la commune de Vitry-le-François au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Vitry-le-François et à la société Comptoir de négoce d'équipements.
Copie en sera adressée à la société CVELUM.