Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 05/02/2018, 409718, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2010 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1421635 du 3 juin 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15PA03204 du 28 février 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 12 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de M. A...;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme A...au titre des années 2009 à 2011, l'administration a remis en cause la donation faite le 17 septembre 2010 par M. A... à sa fille Louison de titres de la société 2LO Le Loisir Opérateur au motif qu'il s'agissait d'une donation fictive, constitutive d'un abus de droit, en regardant la cession de ces titres par sa fille à une autre société le 7 octobre 2010 comme ayant été en réalité effectuée par M.A.... La plus-value correspondante a été soumise à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l'année 2010. M. A...a contesté ces impositions et les pénalités correspondantes devant le tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande par un jugement du 3 juin 2015. La cour administrative d'appel de Paris a confirmé ce jugement par un arrêt du 28 février 2017 dont M. A...demande l'annulation.

Sur la régularité de l'arrêt :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'un mémoire en réplique présenté par M. A...a été enregistré le 6 février 2017 au greffe de la cour, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue le 7 mars 2016 à la suite d'une ordonnance du 1er février 2016. Le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'irrégularité en omettant de le viser manque en fait.

Sur le bien-fondé de l'arrêt :

3. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. (...) ". Aux termes de l'article R. 64-2 du même livre : " Lorsque l'administration se prévaut des dispositions de l'article L. 64, le contribuable dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations pour demander que le litige soit soumis à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal ". En l'absence de saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit, la charge de la preuve du bien-fondé de l'imposition incombe à l'administration.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la charge de la preuve du bien-fondé de la rectification appartenait à l'administration, dès lors que le comité de l'abus de droit fiscal n'avait pas été saisi. La cour a mentionné l'ensemble des éléments avancés par l'administration de nature à établir que la donation était fictive et n'a pas inversé la charge de la preuve en relevant qu'en réponse à l'argumentation de l'administration, M. A...n'apportait pas d'éléments permettant d'établir le caractère libéral de la donation faite à sa fille. Par suite, le moyen tiré de l'inversion de la charge de la preuve doit être écarté comme manquant en fait.

5. Aux termes de l'article 894 du code civil : " La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte ". L'administration peut écarter sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales comme ne lui étant pas opposable un acte de donation qui ne se traduit pas par un dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur et revêt, dès lors, un caractère fictif. Il en va notamment ainsi lorsque le donateur appréhende, à la suite de la donation, tout ou partie du produit de la cession de la chose prétendument donnée.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 17 septembre 2010, M.A..., qui détenait 21 242 parts sociales de la société 2LO Le Loisir Opérateur, a fait une donation à sa fille Louison, alors âgée de deux ans, de 11 410 de ces titres et a cédé le reste à son épouse. Le " contrat de cession d'actions " signé le 23 septembre 2010 par lequel la société Loisir Management s'était engagée à acquérir l'intégralité des parts sociales de la société 2LO Le Loisir Opérateur mentionnait que la valeur totale des 11 410 parts détenues par Louison A...est de 256 981,98 euros. Il ressort de l'annexe à l'" acte réitératif de cessions d'actions " du 7 octobre 2010 que cette somme a été versée à cette date par la société Loisir Management à LouisonA....

7. La cour a relevé que la somme de 256 981,98 euros résultant du produit de cession des titres de Louison A...a d'abord été créditée sur un compte ouvert à son nom auquel, en sa qualité de représentant légal, M. A...avait librement accès, qu'ensuite M. A...a appréhendé dans les mois qui ont suivi plus de 82 % de cette somme en la portant au crédit de plusieurs comptes rémunérés ouverts conjointement à son nom et à celui de son épouse et que ces comptes n'étaient pas bloqués et étaient à la disposition de leurs titulaires. Elle a aussi relevé que les documents, intitulés " contrats de prêt " signés par M. et Mme A...en avril 2011 par lesquels ils s'engageaient à rembourser à leur fille, au plus tard le 27 août 2027, les sommes qu'ils avaient inscrites sur leurs comptes, n'avaient pas été enregistrés et étaient dépourvus de date certaine. Ce faisant, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits en en déduisant que l'administration apportait la preuve qui lui incombait que le requérant ne s'était pas dépouillé de manière immédiate et irrévocable de son bien, alors même que M. A...soutenait avoir entendu assurer l'autonomie financière de sa fille et qu'il disposait avec son épouse de la qualité d'administrateur légal de ses biens pendant sa minorité, et en jugeant que la donation revêtait un caractère fictif et n'était pas opposable à l'administration en application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

8. Par suite, M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. En conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2018:409718.20180205
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