Conseil d'État, 4ème chambre, 10/01/2018, 396169, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 septembre 2010 par laquelle le maire de La Bresse (Vosges) a prononcé son licenciement, d'autre part, de condamner la commune de La Bresse à lui verser les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, de 4 266,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 426,63 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, enfin d'enjoindre à la commune de le réintégrer dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement. Par un jugement n° 1001949 du 6 juillet 2012, le tribunal administratif a annulé cette décision et rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 12NC01545 du 30 mai 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a sur appels de M. B...et de la commune de La Bresse, enjoint à la commune de reconstituer la carrière de M. B...entre le 30 septembre 2010, date d'effet de son licenciement et le 31 juillet 2011, terme prévu de son dernier contrat.

Par une décision n° 370690 du 12 décembre 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur le pourvoi de M. B...et sur le pourvoi incident de la commune de La Bresse, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.

Par un arrêt n° 14NC02367 du 19 novembre 2015, la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur le renvoi du Conseil d'Etat, a enjoint à la commune de La Bresse de reconstituer la carrière de M. B...entre le 30 septembre 2010 et le 31 juillet 2011.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 14 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire intégralement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Bresse la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 décembre 2017, présentée par la commune de La Bresse ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Huet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. B...et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de la Bresse ;




1. Considérant, d'une part, qu'aux termes des troisième à huitième alinéas de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans leur rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 du titre Ier du statut général, des emplois permanents peuvent être occupés par des agents contractuels dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; / 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. / Toutefois, dans les communes de moins de 1 000 habitants et dans les groupements de communes dont la moyenne arithmétique des nombres d'habitants ne dépasse pas ce seuil, des contrats peuvent être conclus pour pourvoir des emplois permanents à temps non complet pour lesquels la durée de travail n'excède pas la moitié de celle des agents publics à temps complet. / Les agents recrutés conformément aux quatrième, cinquième et sixième alinéas sont engagés par des contrats à durée déterminée, d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables, par reconduction expresse. La durée des contrats successifs ne peut excéder six ans. / Si, à l'issue de la période maximale de six ans mentionnée à l'alinéa précédent, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée " ;

2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 15 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique : " I. - Lorsque l'agent, recruté sur un emploi permanent, est en fonction à la date de publication de la présente loi (...), le renouvellement de son contrat est soumis aux conditions prévues aux septième et huitième alinéas de l'article 3 de la même loi. (...) II. - Le contrat est, à la date de publication de la présente loi, transformé en contrat à durée indéterminée, si l'agent satisfait, le 1er juin 2004 ou au plus tard au terme de son contrat en cours, aux conditions suivantes : / 1° Etre âgé d'au moins cinquante ans ; / 2° Etre en fonction (...) ; / 3° Justifier d'une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années ; / 4° Occuper un emploi en application des quatrième, cinquième ou sixième alinéas de l'article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 (...) dans une collectivité ou un établissement mentionné à l'article 2 de la même loi " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a été employé, en qualité d'agent non titulaire, sous couvert de plusieurs contrats à durée déterminée successifs, du 1er juillet 1997 au 28 février 1999 par la commune de La Bresse, puis du 1er mars 1999 au 31 juillet 2003 par l'office du tourisme " La Bresse-Haute-Vosges ", établissement public local, puis enfin, à compter du 1er août 2003, à nouveau par la commune de La Bresse ; que le préfet des Vosges ayant indiqué au maire de La Bresse que le dernier de ces contrats à durée déterminée, souscrit pour la période du 1er août 2010 au 31 juillet 2011, avait été conclu en méconnaissance de la limite de six années fixée par les dispositions citées ci-dessus de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, le maire de La Bresse a, par une décision du 21 septembre 2010, licencié M.B..., à compter du 30 septembre 2010 ; que, par un jugement du 6 juillet 2012, le tribunal administratif de Nancy a, sur la demande de M. B..., annulé cette décision au motif que la commune avait omis de proposer à M. B..., au préalable, une régularisation de son contrat ; que par le même jugement, le tribunal administratif a, en revanche, rejeté les conclusions à fins d'injonction de M. B... ; que celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 novembre 2015 de la cour administrative d'appel de Nancy, en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions à fins d'injonction ;

4. Considérant que si les dispositions du II de l'article 15 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique citées au point 2, prévoient que le bénéfice, pour un agent d'au moins cinquante ans, du dispositif transitoire de transformation de plein droit de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée qu'elles instituent est notamment subordonné à la condition que l'agent justifie " d'une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années ", elles n'exigent pas que les services effectifs à prendre en compte aient été effectués au sein d'une même personne publique ; que, dès lors, en se fondant, pour rejeter les conclusions à fins d'injonction de M.B..., sur ce que ce dernier, s'il justifiait d'une durée de services publics effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années, les avait accomplis au sein de deux personnes publiques différentes et, par suite, ne satisfaisait pas la condition posée au 3°) du II de l'article 15 de la loi du 26 juillet 2005, la cour a commis une erreur de droit ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé en tant que, par son article 2, il rejette le surplus des conclusions de M. B...;

5. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; que le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond et de statuer sur l'appel formé par M. B...contre le jugement du 6 juillet 2012 du tribunal administratif de Nancy ;

6. Considérant que, par ce jugement devenu définitif sur ce point faute d'avoir été, dans cette mesure, contesté en appel, le tribunal administratif de Nancy a prononcé l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle la commune de La Bresse a licencié M.B... ; que, pour rejeter en revanche les conclusions de M. B...tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de La Bresse de prononcer sa réintégration, le tribunal s'est fondé sur ce qu'à la date de son jugement, le contrat de travail de M. B...avait pris fin et que, par suite, l'annulation de la décision de licenciement n'impliquait plus sa réintégration ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la date d'entrée en vigueur du II de l'article 15 de la loi du 26 juillet 2005, M. B...avait plus de cinquante ans, qu'il justifiait d'une durée de services effectifs au moins égale à six ans au cours des huit dernières années et enfin que, ainsi qu'il résulte de ceux des motifs du jugement qui, étant le support nécessaire de l'annulation prononcée par le tribunal, sont revêtus de l'autorité absolue de chose jugée, il occupait " un emploi permanent pour lequel il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes " en application du quatrième alinéa de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, et qu'il y était en fonction ; qu'ainsi, M. B...remplissait, au terme de son contrat en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, les conditions posées par le II de l'article 15 de cette même loi ; que son contrat de travail à durée déterminée avait, par conséquent, été transformé de plein droit, dès le 27 juillet 2011, en contrat de travail à durée indéterminée ; qu'ainsi c'est à tort que, pour rejeter les conclusions à fins d'injonction présentées par M.B..., le tribunal s'est fondé sur le fait que son contrat de travail avait pris fin le 6 juillet 2012 ;

8. Considérant que, si la commune de La Bresse demande qu'au motif erroné de la décision de licenciement de M. B...soit substitué un motif tiré de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, une telle demande est, en tout état de cause, inopérante à ce stade du litige ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'annulation, par le jugement du 6 juillet 2012 du tribunal administratif de Nancy de la décision du 21 septembre 2010 par laquelle le maire de La Bresse a licencié M. B...impliquait nécessairement la réintégration de l'intéressé à la date de son licenciement ; que, dès lors, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions en ce sens ; que, par suite, il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner la réintégration de l'intéressé à la date de son licenciement, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. B...;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de La Bresse la somme de 4 000 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par lui tant en appel qu'en cassation ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M.B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 19 novembre 2015 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de M. B...et l'article 3 du jugement du 6 juillet 2012 du tribunal administratif de Nancy sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de La Bresse de réintégrer M. B...à compter de la date de son licenciement, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : La commune de La Bresse versera à M. B...une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de La Bresse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B...et à la commune de La Bresse.
Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHS:2018:396169.20180110
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