CAA de NANCY, 1ère chambre - formation à 3, 14/12/2017, 16NC00388, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANCY, 1ère chambre - formation à 3, 14/12/2017, 16NC00388, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANCY - 1ère chambre - formation à 3
- N° 16NC00388
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
14 décembre 2017
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...F...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune d'Eteimbes à lui verser une somme de 140 540 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral à la suite de l'attribution, par délibération du 16 décembre 2009, d'un bail rural à M. G...sur les parcelles section 2 n°12 et 14 appartenant à la commune.
Par un jugement n° 1302971 du 7 janvier 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 1er mars 2016 et le 3 janvier 2017, M. F..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de condamner la commune d'Eteimbes à lui verser une somme de 140 540 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Eteimbes une somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commune a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité à son égard en décidant de ne pas passer ce bail avec lui ;
- il a établi par les documents présentés que son préjudice matériel est de 135 540 euros ou pour le moins de 32 940 euros ; il peut prétendre au remboursement de ses pertes de revenus sur la durée du bail de 9 ans auquel il pouvait prétendre et a démontré son calcul en produisant un calcul issu de la comptabilité du GAEC des Prés effectué par la chambre d'agriculture relatif à la marge brute correspondant aux parcelles en litige ;
- son préjudice moral doit être fixé à 5 000 euros en raison des procédures qu'il a dû engager pour faire valoir ses droits et des préoccupations qu'il a eues lors de son installation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2016, la commune d'Eteimbes représentée par Me A...conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de M. F...une somme de 5 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas commis de faute, dès lors qu'elle ignorait que M. F...était candidat à l'exploitation de ses parcelles, qu'il n'avait pas qualité à y prétendre et qu'elle n'avait pas à prendre en compte sa situation, qu'il ne remplissait pas les conditions fixées par les textes et que l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime était inapplicable sans décret d'application ;
- que l'étendue des préjudices de M. F...n'est pas démontrée ainsi qu'il ressort d'un pré-rapport d'expertise déposé devant le tribunal administratif.
Un mémoire produit par Me A...pour la commune d'Eteimbes a été enregistré le 7 novembre 2017 et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stefanski, président,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me D...substituant Me C...pour M.F....
Considérant ce qui suit :
1. M. E...F..., exploitant agricole, interjette appel du jugement du 7 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune d'Eteimbes à lui verser une somme de 140 540 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral résultant de l'attribution, par délibération du conseil municipal du 16 décembre 2009, à M.G..., d'un bail rural sur des terres appartenant à la commune.
2. Pour rejeter la demande de M.F..., le tribunal administratif a jugé que si la commune avait commis une faute en attribuant le bail à un agriculteur de la commune et non au requérant qui avait priorité en tant que jeune agriculteur bénéficiant des primes à l'installation, M. F...ne démontrait pas la réalité et l'étendue de son préjudice.
3. Devant la cour administrative d'appel, la commune fait à nouveau valoir qu'elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M.F....
Sur le principe de la responsabilité :
4. Aux termes de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime : " (...) Quel que soit le mode de conclusion du bail, une priorité est réservée aux exploitants qui réalisent une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs ou, à défaut, aux exploitants de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l'article L. 331-2 du présent code, ainsi qu'à leurs groupements (....) "
5. Aux termes de l'article D. 343-3 du même code : " En vue de faciliter leur première installation, il peut être accordé aux jeunes agriculteurs qui satisfont aux conditions fixées par la présente section les aides suivantes : 1° Une dotation d'installation en capital ; 2° Des prêts à moyen terme spéciaux " .
6. Selon l'article D. 343-5 du même code : " Le jeune agriculteur, candidat aux aides mentionnées à l'article D. 343-3, doit en outre : 1° Présenter un projet de première installation ; (...) 5° S'engager à exercer dans un délai d'un an et pendant cinq ans la profession d'agriculteur en qualité de chef d'exploitation sur un fonds répondant aux conditions fixées par la présente section en retirant au moins 50 % de son revenu professionnel global d'activités agricoles au sens de l'article L. 311-1. Le bénéficiaire des aides s'engage à mettre en valeur personnellement son exploitation et à participer effectivement aux travaux pendant cinq ans (...) ".
7. En premier lieu, la commune d'Eteimbes soutient qu'elle n'a jamais eu officiellement connaissance de ce que M. F...avait bénéficié d'une aide à l'installation des jeunes agriculteurs et que l'intéressé n'avait pas présenté de nouvelle demande après que la commune ait opposé, par délibération du conseil municipal du 4 juillet 2007, un refus au GAEC des Prés dont l'intéressé faisait partie.
8. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par lettre du 2 septembre 2008, renouvelée le 29 septembre 2008, M. E...F...a indiqué au maire de la commune qu'il était candidat pour l'exploitation des deux parcelles appartenant à la commune, qu'il était installé en tant que jeune agriculteur au sein du GAEC des Prés et qu'il avait obtenu des aides à l'installation. Ainsi, la commune avait connaissance de la volonté du requérant d'exploiter ces terres et de sa candidature à l'obtention du bail. De plus, le GAEC des Prés avait déjà indiqué en 2007, période à laquelle M. E...F...s'installait dans le cadre familial du GAEC, qu'il soutenait sa candidature et MmeB..., la précédente titulaire du bail sur les terres communales, avait indiqué au maire qu'elle revendait ses parts à M. E...F...qui s'installait en tant que jeune agriculteur et qu'il serait souhaitable qu'il puisse bénéficier à son tour de ces baux. Ainsi, compte tenu de ce contexte qui durait depuis plusieurs années, la commune ne pouvait ignorer, à la date de la délibération du 16 décembre 2009, que M. E...F...était candidat à l'exploitation des terres en litige.
9. En deuxième lieu, la commune fait valoir que l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime qui donne priorité aux jeunes agriculteurs bénéficiant d'aides à l'installation sur les agriculteurs habitant la commune, n'était pas applicable faute de décret d'application. Toutefois, cet article, qui énonce clairement les conditions de l'ordre de priorité qu'il instaure, est suffisamment clair et précis pour être appliqué même en l'absence de textes d'application.
10. En troisième lieu, la commune soutient que M. F...ne remplissait pas les conditions lui donnant priorité sur M.G..., agriculteur de la commune. Elle fait valoir que les articles D. 143-3 et 143-5 du code rural et de la pêche maritime posent pour condition qu'un jeune agriculteur présente un premier projet d'installation et que si M. E... F...avait obtenu une aide pour une installation à Muespach-le-Haut, où se trouvait le siège du GAEC des Prés, il ne pouvait être regardé à nouveau comme jeune agriculteur réalisant une installation pour des terres situées à Eteimbes.
11. Toutefois, l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, qui ne donne qu'un second rang de priorité aux exploitants de la commune, ne comporte pas de condition relative au lieu d'installation pour donner le premier rang de priorité aux jeunes agriculteurs bénéficiant d'aides. Les autres textes mentionnés par la commune n'exigent pas non plus que l'installation d'un jeune agriculteur se réalise sur le territoire d'une seule commune.
12. Il résulte de l'arrêté du 12 février 2008 accordant l'aide à M. F...que son installation devait être effective au plus tard le 12 février 2009, qu'elle était conforme au projet qu'il avait présenté et que le requérant disposait de cinq ans pour achever son installation, période au cours de laquelle il devait continuer à respecter son projet. Ainsi, à la date du 16 décembre 2009, à laquelle le conseil municipal d'Eteimbes a donné le bail à M. G..., M. F... était toujours un jeune agriculteur réalisant une installation aidée et avait priorité sur M.G..., alors que rien n'indique que sa candidature à l'exploitation des parcelles appartenant à la commune n'était pas comprise dans son projet.
13. Il s'en suit, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, que la commune a pris une délibération illégale le 16 décembre 2009 en attribuant le bail à un agriculteur qui n'était pas prioritaire par rapport à M. F... et que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard de l'appelant.
Sur le montant des préjudices :
14. M. F... soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il démontre la réalité de son préjudice matériel, dû aux pertes de revenus à partir de la date du 11 novembre 2009 à laquelle il aurait dû être titulaire du bail, en produisant une lettre du début de l'année 2013 de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, mentionnant que " le suivi de gestion technico-économique du GAEC des Prés, réalisé par le service EGE de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, fait ressortir une marge brute de 2 510 euros / ha en 2011 " . En appel, il évalue son préjudice à un montant de 135 540 euros correspondant à une marge brute annuelle de 2 510 euros multipliés par 6 ha de surface des terres de la commune, pour une durée prévisible du bail rural de 9 ans.
15. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment d'un pré-rapport d'expertise établi dans le cadre d'une demande de référé présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg et communiquée par la commune que l'analyse de la chambre d'agriculture tient compte du résultat de l'ensemble des opérations du GAEC des Prés qui a une activité de polyculture et d'élevage, alors que les 6 ha de terres en litige sont destinées à la culture du maïs. D'autre part, la somme de 2 510 euros correspond à une marge brute annuelle et ne tient pas compte des frais d'exploitation. Ainsi, en se fondant sur le revenu agricole des cultures de maïs du GAEC qui a été en moyenne de 1 039 euros par ha durant la période allant de 2007 à 2011, sur les frais afférents à la surface de 6 ha en litige qui peuvent être évalués à 320 euros de charges variables et 156 euros de charges liées à la MSA, la marge représentant les revenus provenant des terres loués, d'une surface de 6,5 ha, doit être évaluée à 563 euros par ha (1 039 - 320 + 156) , soit 3 660 euros par an pour les 6, 5 ha en litige.
16. De plus, il ressort des pièces jointes que M. F...ne possède plus de parts du capital du GAEC depuis le 1er août 2016, qu'il n'apporte aucun élément sur son activité ultérieure et qu'il ne démontre pas qu'il aurait continué à exploiter les terres de la commune après cette date. Ainsi, il ne peut prétendre à une indemnisation durant les 9 années de bail, dès lors qu'il devait exploiter les parcelles en litige dans le cadre du GAEC, ainsi qu'il résulte de l'instruction et comme tel était d'ailleurs le cas pour la précédente exploitante. Il résulte également de l'instruction qu'au cours des années pendant lesquelles M. F...aurait dû exploiter les terres dans le cadre du GAEC, soit jusqu'au 1er août 2016, les statuts du GAEC prévoyaient que les associés percevaient une part de bénéfice équivalente à leur participation dans le capital. Compte tenu des parts de capital qu'il détenait et qui ont varié au fil du temps, ainsi que de l'évolution des statuts du GAEC, M. F...aurait perçu 14,87 % des bénéfices du GAEC en 2010, 10 % en 2011, 25% en 2012, 19,81 % en 2013, 5 % en 2014 et 2015. Compte tenu de ces éléments, il aurait perçu, entre la date de conclusion du bail et le 1er août 2016, un total de 2 916 euros pour les 6,5 ha de terres en litige exploitées dans le cadre du GAEC. Il sera fait une juste évaluation de son préjudice matériel à ce titre en le fixant à 3 000 euros.
17. En second lieu, M. F...demande une indemnité de 5 000 euros au titre de son préjudice moral en faisant valoir qu'il a dû engager de nombreuses procédures juridictionnelles pour faire valoir ses droits devant les juridictions judiciaires et administratives, ce qui l'a placé dans un état d'inquiétude alors qu'il devait mettre en oeuvre le projet d'installation qui comportait les terres en litiges.
18. Toutefois, l'ensemble des procédures engagées par le GAEC des Prés ou par M. F... avaient aussi pour cause les incertitudes maintenues par MmeB..., précédente exploitante des terres dans le cadre du GAEC, ainsi que par le GAEC des Prés, dans le cadre duquel M. F...entendait s'installer. En effet, Mme B... n'avait pas informé la commune que les terres qu'elle lui avait données en location avaient été en réalité mises à la disposition du GAEC. En outre, Mme B...avait donné à la commune des informations contradictoires sur la date à laquelle elle entendait prendre sa retraite, puis avait informé tardivement la commune de la date de sa cessation d'activité et n'avait pas indiqué précisément à la commune si le projet d'installation de M. F...comportait une reprise des terres en litige. Ces circonstances ont conduit la commune à modifier plusieurs fois ses décisions quant au bénéficiaire du bail en fonction des informations qui lui étaient fournies. En outre et en tout état de cause, ces terres représentaient moins de 3 % de la surface exploitée par le GAEC que M. F...entendait reprendre et ne mettaient pas en péril son projet. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. F... en le fixant à 1 000 euros.
19. Il résulte de ce qui précède que M. F...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande à hauteur de 4 000 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions de mettre à la charge de la commune la somme que M. F...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, ni de mettre à la charge de M. F..., la somme que la commune demande au titre des mêmes frais.
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er : La commune d'Eteimbes est condamnée à verser à M. F...une somme de 4 000 (quatre mille) euros.
Article 2 : Le jugement attaqué du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F...et les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de la commune d'Eteimbes sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...F...et à la commune d'Eteimbes.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 16NC00388
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...F...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune d'Eteimbes à lui verser une somme de 140 540 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral à la suite de l'attribution, par délibération du 16 décembre 2009, d'un bail rural à M. G...sur les parcelles section 2 n°12 et 14 appartenant à la commune.
Par un jugement n° 1302971 du 7 janvier 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 1er mars 2016 et le 3 janvier 2017, M. F..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de condamner la commune d'Eteimbes à lui verser une somme de 140 540 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Eteimbes une somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commune a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité à son égard en décidant de ne pas passer ce bail avec lui ;
- il a établi par les documents présentés que son préjudice matériel est de 135 540 euros ou pour le moins de 32 940 euros ; il peut prétendre au remboursement de ses pertes de revenus sur la durée du bail de 9 ans auquel il pouvait prétendre et a démontré son calcul en produisant un calcul issu de la comptabilité du GAEC des Prés effectué par la chambre d'agriculture relatif à la marge brute correspondant aux parcelles en litige ;
- son préjudice moral doit être fixé à 5 000 euros en raison des procédures qu'il a dû engager pour faire valoir ses droits et des préoccupations qu'il a eues lors de son installation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2016, la commune d'Eteimbes représentée par Me A...conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de M. F...une somme de 5 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas commis de faute, dès lors qu'elle ignorait que M. F...était candidat à l'exploitation de ses parcelles, qu'il n'avait pas qualité à y prétendre et qu'elle n'avait pas à prendre en compte sa situation, qu'il ne remplissait pas les conditions fixées par les textes et que l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime était inapplicable sans décret d'application ;
- que l'étendue des préjudices de M. F...n'est pas démontrée ainsi qu'il ressort d'un pré-rapport d'expertise déposé devant le tribunal administratif.
Un mémoire produit par Me A...pour la commune d'Eteimbes a été enregistré le 7 novembre 2017 et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stefanski, président,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me D...substituant Me C...pour M.F....
Considérant ce qui suit :
1. M. E...F..., exploitant agricole, interjette appel du jugement du 7 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune d'Eteimbes à lui verser une somme de 140 540 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral résultant de l'attribution, par délibération du conseil municipal du 16 décembre 2009, à M.G..., d'un bail rural sur des terres appartenant à la commune.
2. Pour rejeter la demande de M.F..., le tribunal administratif a jugé que si la commune avait commis une faute en attribuant le bail à un agriculteur de la commune et non au requérant qui avait priorité en tant que jeune agriculteur bénéficiant des primes à l'installation, M. F...ne démontrait pas la réalité et l'étendue de son préjudice.
3. Devant la cour administrative d'appel, la commune fait à nouveau valoir qu'elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M.F....
Sur le principe de la responsabilité :
4. Aux termes de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime : " (...) Quel que soit le mode de conclusion du bail, une priorité est réservée aux exploitants qui réalisent une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs ou, à défaut, aux exploitants de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l'article L. 331-2 du présent code, ainsi qu'à leurs groupements (....) "
5. Aux termes de l'article D. 343-3 du même code : " En vue de faciliter leur première installation, il peut être accordé aux jeunes agriculteurs qui satisfont aux conditions fixées par la présente section les aides suivantes : 1° Une dotation d'installation en capital ; 2° Des prêts à moyen terme spéciaux " .
6. Selon l'article D. 343-5 du même code : " Le jeune agriculteur, candidat aux aides mentionnées à l'article D. 343-3, doit en outre : 1° Présenter un projet de première installation ; (...) 5° S'engager à exercer dans un délai d'un an et pendant cinq ans la profession d'agriculteur en qualité de chef d'exploitation sur un fonds répondant aux conditions fixées par la présente section en retirant au moins 50 % de son revenu professionnel global d'activités agricoles au sens de l'article L. 311-1. Le bénéficiaire des aides s'engage à mettre en valeur personnellement son exploitation et à participer effectivement aux travaux pendant cinq ans (...) ".
7. En premier lieu, la commune d'Eteimbes soutient qu'elle n'a jamais eu officiellement connaissance de ce que M. F...avait bénéficié d'une aide à l'installation des jeunes agriculteurs et que l'intéressé n'avait pas présenté de nouvelle demande après que la commune ait opposé, par délibération du conseil municipal du 4 juillet 2007, un refus au GAEC des Prés dont l'intéressé faisait partie.
8. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par lettre du 2 septembre 2008, renouvelée le 29 septembre 2008, M. E...F...a indiqué au maire de la commune qu'il était candidat pour l'exploitation des deux parcelles appartenant à la commune, qu'il était installé en tant que jeune agriculteur au sein du GAEC des Prés et qu'il avait obtenu des aides à l'installation. Ainsi, la commune avait connaissance de la volonté du requérant d'exploiter ces terres et de sa candidature à l'obtention du bail. De plus, le GAEC des Prés avait déjà indiqué en 2007, période à laquelle M. E...F...s'installait dans le cadre familial du GAEC, qu'il soutenait sa candidature et MmeB..., la précédente titulaire du bail sur les terres communales, avait indiqué au maire qu'elle revendait ses parts à M. E...F...qui s'installait en tant que jeune agriculteur et qu'il serait souhaitable qu'il puisse bénéficier à son tour de ces baux. Ainsi, compte tenu de ce contexte qui durait depuis plusieurs années, la commune ne pouvait ignorer, à la date de la délibération du 16 décembre 2009, que M. E...F...était candidat à l'exploitation des terres en litige.
9. En deuxième lieu, la commune fait valoir que l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime qui donne priorité aux jeunes agriculteurs bénéficiant d'aides à l'installation sur les agriculteurs habitant la commune, n'était pas applicable faute de décret d'application. Toutefois, cet article, qui énonce clairement les conditions de l'ordre de priorité qu'il instaure, est suffisamment clair et précis pour être appliqué même en l'absence de textes d'application.
10. En troisième lieu, la commune soutient que M. F...ne remplissait pas les conditions lui donnant priorité sur M.G..., agriculteur de la commune. Elle fait valoir que les articles D. 143-3 et 143-5 du code rural et de la pêche maritime posent pour condition qu'un jeune agriculteur présente un premier projet d'installation et que si M. E... F...avait obtenu une aide pour une installation à Muespach-le-Haut, où se trouvait le siège du GAEC des Prés, il ne pouvait être regardé à nouveau comme jeune agriculteur réalisant une installation pour des terres situées à Eteimbes.
11. Toutefois, l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, qui ne donne qu'un second rang de priorité aux exploitants de la commune, ne comporte pas de condition relative au lieu d'installation pour donner le premier rang de priorité aux jeunes agriculteurs bénéficiant d'aides. Les autres textes mentionnés par la commune n'exigent pas non plus que l'installation d'un jeune agriculteur se réalise sur le territoire d'une seule commune.
12. Il résulte de l'arrêté du 12 février 2008 accordant l'aide à M. F...que son installation devait être effective au plus tard le 12 février 2009, qu'elle était conforme au projet qu'il avait présenté et que le requérant disposait de cinq ans pour achever son installation, période au cours de laquelle il devait continuer à respecter son projet. Ainsi, à la date du 16 décembre 2009, à laquelle le conseil municipal d'Eteimbes a donné le bail à M. G..., M. F... était toujours un jeune agriculteur réalisant une installation aidée et avait priorité sur M.G..., alors que rien n'indique que sa candidature à l'exploitation des parcelles appartenant à la commune n'était pas comprise dans son projet.
13. Il s'en suit, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, que la commune a pris une délibération illégale le 16 décembre 2009 en attribuant le bail à un agriculteur qui n'était pas prioritaire par rapport à M. F... et que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard de l'appelant.
Sur le montant des préjudices :
14. M. F... soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il démontre la réalité de son préjudice matériel, dû aux pertes de revenus à partir de la date du 11 novembre 2009 à laquelle il aurait dû être titulaire du bail, en produisant une lettre du début de l'année 2013 de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, mentionnant que " le suivi de gestion technico-économique du GAEC des Prés, réalisé par le service EGE de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, fait ressortir une marge brute de 2 510 euros / ha en 2011 " . En appel, il évalue son préjudice à un montant de 135 540 euros correspondant à une marge brute annuelle de 2 510 euros multipliés par 6 ha de surface des terres de la commune, pour une durée prévisible du bail rural de 9 ans.
15. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment d'un pré-rapport d'expertise établi dans le cadre d'une demande de référé présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg et communiquée par la commune que l'analyse de la chambre d'agriculture tient compte du résultat de l'ensemble des opérations du GAEC des Prés qui a une activité de polyculture et d'élevage, alors que les 6 ha de terres en litige sont destinées à la culture du maïs. D'autre part, la somme de 2 510 euros correspond à une marge brute annuelle et ne tient pas compte des frais d'exploitation. Ainsi, en se fondant sur le revenu agricole des cultures de maïs du GAEC qui a été en moyenne de 1 039 euros par ha durant la période allant de 2007 à 2011, sur les frais afférents à la surface de 6 ha en litige qui peuvent être évalués à 320 euros de charges variables et 156 euros de charges liées à la MSA, la marge représentant les revenus provenant des terres loués, d'une surface de 6,5 ha, doit être évaluée à 563 euros par ha (1 039 - 320 + 156) , soit 3 660 euros par an pour les 6, 5 ha en litige.
16. De plus, il ressort des pièces jointes que M. F...ne possède plus de parts du capital du GAEC depuis le 1er août 2016, qu'il n'apporte aucun élément sur son activité ultérieure et qu'il ne démontre pas qu'il aurait continué à exploiter les terres de la commune après cette date. Ainsi, il ne peut prétendre à une indemnisation durant les 9 années de bail, dès lors qu'il devait exploiter les parcelles en litige dans le cadre du GAEC, ainsi qu'il résulte de l'instruction et comme tel était d'ailleurs le cas pour la précédente exploitante. Il résulte également de l'instruction qu'au cours des années pendant lesquelles M. F...aurait dû exploiter les terres dans le cadre du GAEC, soit jusqu'au 1er août 2016, les statuts du GAEC prévoyaient que les associés percevaient une part de bénéfice équivalente à leur participation dans le capital. Compte tenu des parts de capital qu'il détenait et qui ont varié au fil du temps, ainsi que de l'évolution des statuts du GAEC, M. F...aurait perçu 14,87 % des bénéfices du GAEC en 2010, 10 % en 2011, 25% en 2012, 19,81 % en 2013, 5 % en 2014 et 2015. Compte tenu de ces éléments, il aurait perçu, entre la date de conclusion du bail et le 1er août 2016, un total de 2 916 euros pour les 6,5 ha de terres en litige exploitées dans le cadre du GAEC. Il sera fait une juste évaluation de son préjudice matériel à ce titre en le fixant à 3 000 euros.
17. En second lieu, M. F...demande une indemnité de 5 000 euros au titre de son préjudice moral en faisant valoir qu'il a dû engager de nombreuses procédures juridictionnelles pour faire valoir ses droits devant les juridictions judiciaires et administratives, ce qui l'a placé dans un état d'inquiétude alors qu'il devait mettre en oeuvre le projet d'installation qui comportait les terres en litiges.
18. Toutefois, l'ensemble des procédures engagées par le GAEC des Prés ou par M. F... avaient aussi pour cause les incertitudes maintenues par MmeB..., précédente exploitante des terres dans le cadre du GAEC, ainsi que par le GAEC des Prés, dans le cadre duquel M. F...entendait s'installer. En effet, Mme B... n'avait pas informé la commune que les terres qu'elle lui avait données en location avaient été en réalité mises à la disposition du GAEC. En outre, Mme B...avait donné à la commune des informations contradictoires sur la date à laquelle elle entendait prendre sa retraite, puis avait informé tardivement la commune de la date de sa cessation d'activité et n'avait pas indiqué précisément à la commune si le projet d'installation de M. F...comportait une reprise des terres en litige. Ces circonstances ont conduit la commune à modifier plusieurs fois ses décisions quant au bénéficiaire du bail en fonction des informations qui lui étaient fournies. En outre et en tout état de cause, ces terres représentaient moins de 3 % de la surface exploitée par le GAEC que M. F...entendait reprendre et ne mettaient pas en péril son projet. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. F... en le fixant à 1 000 euros.
19. Il résulte de ce qui précède que M. F...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande à hauteur de 4 000 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions de mettre à la charge de la commune la somme que M. F...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, ni de mettre à la charge de M. F..., la somme que la commune demande au titre des mêmes frais.
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er : La commune d'Eteimbes est condamnée à verser à M. F...une somme de 4 000 (quatre mille) euros.
Article 2 : Le jugement attaqué du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F...et les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de la commune d'Eteimbes sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...F...et à la commune d'Eteimbes.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 16NC00388