Conseil d'État, 2ème chambre, 09/11/2017, 409782
Conseil d'État, 2ème chambre, 09/11/2017, 409782
Conseil d'État - 2ème chambre
- N° 409782
- ECLI:FR:CECHS:2017:409782.20171109
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
jeudi
09 novembre 2017
- Rapporteur
- Mme Cécile Barrois de Sarigny
- Avocat(s)
- SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril, 13 juillet et 5 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 février 2017 rapportant le décret du 3 mars 2014 qui lui avait accordé la nationalité française.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de Mme B...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude " ; que selon l'article 59 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, applicable en vertu de l'article 62 du même décret en cas de retrait de décret de naturalisation ou de réintégration décidé en application de l'article 27-2 du code civil, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un tel décret, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeB..., ressortissante russe, a déposé une demande d'acquisition de la nationalité française le 31 mars 2012 par laquelle elle a indiqué avoir sa résidence en France et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale ; que l'intéressée a été naturalisée par décret du 3 mars 2014 ; que, toutefois, par bordereau du préfet de police de Paris reçu le 19 février 2015, le ministre chargé des naturalisations a été informé que Mme B...avait quitté la France et s'était réinstallée en Russie depuis le mois de février 2013 ; que, par un décret du 16 février 2017, le Premier ministre a rapporté le décret du 3 mars 2014 accordant la nationalité française à Mme B...au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation personnelle ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'intention du ministre chargé des naturalisations de saisir le Conseil d'Etat d'un projet de décret portant retrait du décret du 3 mars 2014 a été notifiée à Mme B...à Moscou le 16 novembre 2015 ; que l'intéressée a été informée du délai d'un mois dont elle disposait à compter de la notification pour faire valoir ses observations ; que Mme B...a adressé des observations au ministre le 16 novembre 2015, lesquelles ont été portées par le ministre à la connaissance de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat avant qu'elle n'émette un avis sur le projet de décret, ainsi que l'indiquent les mentions de l'avis produit par le ministre comme celles du décret attaqué ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles procédurales fixées par le décret du 30 décembre 1993 ne peut qu'être écarté ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le délai de deux ans imparti pour rapporter le décret de naturalisation de Mme B...a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations ; qu'il ressort des pièces du dossier que ce ministre n'en a été informé que le 19 février 2015 ; qu'ainsi, le décret du 16 février 2017 a été pris dans le délai imparti par les dispositions de l'article 27-2 du code civil ;
5. Considérant, en troisième lieu, que le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde ; qu'il est ainsi suffisamment motivé ;
6. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 21-16 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation " ; qu'il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts ; qu'à cet égard, le départ de Mme B...C...et son installation en Russie à compter du mois de février 2013 ont constitué un changement dans sa situation personnelle que l'intéressée aurait dû, ainsi qu'elle s'y était engagée, porter à la connaissance des services instruisant la demande de naturalisation qu'elle avait déposée le 31 mars 2012, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'elle doit être regardée, dans ces conditions, comme ayant sciemment dissimulé le changement de sa situation personnelle et de sa résidence ; que, par suite, en rapportant le décret lui ayant accordé la nationalité française à raison de cette fraude, le Premier ministre n'a pas entaché sa décision de détournement de procédure et a fait une exacte application de l'article 27-2 du code civil ;
7. Considérant, en cinquième lieu, que la définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence de chaque État membre de l'Union européenne ; que, toutefois, dans la mesure où la perte de la nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité ; que l'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude ; que ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union, permettaient en l'espèce, eu égard au délai écoulé, de rapporter légalement le décret attaqué ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 16 février 2017 rapportant le décret du 3 mars 2014 lui ayant accordé la nationalité française ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
ECLI:FR:CECHS:2017:409782.20171109
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril, 13 juillet et 5 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 février 2017 rapportant le décret du 3 mars 2014 qui lui avait accordé la nationalité française.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de Mme B...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude " ; que selon l'article 59 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, applicable en vertu de l'article 62 du même décret en cas de retrait de décret de naturalisation ou de réintégration décidé en application de l'article 27-2 du code civil, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un tel décret, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeB..., ressortissante russe, a déposé une demande d'acquisition de la nationalité française le 31 mars 2012 par laquelle elle a indiqué avoir sa résidence en France et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale ; que l'intéressée a été naturalisée par décret du 3 mars 2014 ; que, toutefois, par bordereau du préfet de police de Paris reçu le 19 février 2015, le ministre chargé des naturalisations a été informé que Mme B...avait quitté la France et s'était réinstallée en Russie depuis le mois de février 2013 ; que, par un décret du 16 février 2017, le Premier ministre a rapporté le décret du 3 mars 2014 accordant la nationalité française à Mme B...au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation personnelle ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'intention du ministre chargé des naturalisations de saisir le Conseil d'Etat d'un projet de décret portant retrait du décret du 3 mars 2014 a été notifiée à Mme B...à Moscou le 16 novembre 2015 ; que l'intéressée a été informée du délai d'un mois dont elle disposait à compter de la notification pour faire valoir ses observations ; que Mme B...a adressé des observations au ministre le 16 novembre 2015, lesquelles ont été portées par le ministre à la connaissance de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat avant qu'elle n'émette un avis sur le projet de décret, ainsi que l'indiquent les mentions de l'avis produit par le ministre comme celles du décret attaqué ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles procédurales fixées par le décret du 30 décembre 1993 ne peut qu'être écarté ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le délai de deux ans imparti pour rapporter le décret de naturalisation de Mme B...a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations ; qu'il ressort des pièces du dossier que ce ministre n'en a été informé que le 19 février 2015 ; qu'ainsi, le décret du 16 février 2017 a été pris dans le délai imparti par les dispositions de l'article 27-2 du code civil ;
5. Considérant, en troisième lieu, que le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde ; qu'il est ainsi suffisamment motivé ;
6. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 21-16 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation " ; qu'il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts ; qu'à cet égard, le départ de Mme B...C...et son installation en Russie à compter du mois de février 2013 ont constitué un changement dans sa situation personnelle que l'intéressée aurait dû, ainsi qu'elle s'y était engagée, porter à la connaissance des services instruisant la demande de naturalisation qu'elle avait déposée le 31 mars 2012, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'elle doit être regardée, dans ces conditions, comme ayant sciemment dissimulé le changement de sa situation personnelle et de sa résidence ; que, par suite, en rapportant le décret lui ayant accordé la nationalité française à raison de cette fraude, le Premier ministre n'a pas entaché sa décision de détournement de procédure et a fait une exacte application de l'article 27-2 du code civil ;
7. Considérant, en cinquième lieu, que la définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence de chaque État membre de l'Union européenne ; que, toutefois, dans la mesure où la perte de la nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité ; que l'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude ; que ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union, permettaient en l'espèce, eu égard au délai écoulé, de rapporter légalement le décret attaqué ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 16 février 2017 rapportant le décret du 3 mars 2014 lui ayant accordé la nationalité française ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.