CAA de DOUAI, 2ème chambre - formation à 3, 12/10/2017, 14DA00317, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Rouen la décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et des contributions additionnelles auxquels il a été assujetti au titre des années 2008, 2009, 2010 et 2011 à raison de revenus fonciers.

Par un jugement n° 1101089-1102224-1200470-1300320 du 13 décembre 2013, le tribunal administratif de Rouen a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements accordés en cours d'instance et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt du 14 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Douai, sur la requête de M.C..., enregistrée sous le n° 14DA000317, tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 13 décembre 2013 et à la décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et des contributions additionnelles auxquels il a été assujetti au titre des années 2008, 2009, 2010 et 2011 à raison de revenus fonciers, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si un principe du droit de l'Union fait obstacle à ce qu'un fonctionnaire de la Commission européenne soit assujetti à la contribution sociale généralisée, au prélèvement social et aux contributions additionnelles à ce prélèvement, aux taux de 0,3 % et de 1,1 %, sur des revenus fonciers perçus dans un Etat membre de l'Union européenne.
Par un arrêt n° C-690/15 du 10 mai 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 9 juin 2017, M. C...revient sur le désistement partiel présenté dans son mémoire du 25 novembre 2015 et demande à la cour :

1°) la décharge de la contribution sociale généralisée, du prélèvement social et des contributions additionnelles auxquels il a été assujetti au titre des années 2008, 2009, 2010 et 2011 à raison de revenus fonciers ;

2°) que l'Etat lui verse la somme de 20 400 euros au titre des dépens pour les frais exposés devant la Cour de justice de l'Union européenne et à ce qu'une somme de 3 376,32 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le Traité instituant la Communauté européenne ;
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 267 ;
- le protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne ;
- le règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 ;
- le Statut des fonctionnaires des Communautés européennes ;
- l'arrêt n° C-690/15 du 10 mai 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
- et les observations de Me D...A..., représentant M.C.fiscalement en France


1. Considérant qu'aux termes de l'article 1600-0 C du code général des impôts, qui renvoie à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France sont assujetties à une " contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine " (CSG), assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu afférent aux revenus du patrimoine, au nombre desquels figurent les revenus fonciers ; qu'en vertu de l'article 1600-0 F bis du code général des impôts, qui renvoie à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale, ces personnes sont, en outre, assujetties, sur ces revenus, à un " prélèvement social ", dont le taux était, en vertu de l'article L. 245-16 du code de la sécurité sociale applicable aux années en litige, fixé à 2 %, ainsi que, en vertu de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, à une contribution additionnelle de 0,3 % ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Le revenu de solidarité active est financé par le fonds national des solidarités actives mentionné au II et les départements. / (...) Le fonds national des solidarités actives finance la différence entre le total des sommes versées au titre de l'allocation de revenu de solidarité active par les organismes chargés de son service et la somme des contributions de chacun des départements. Il prend également en charge ses frais de fonctionnement ainsi qu'une partie des frais de gestion exposés par les organismes mentionnés à l'article L. 262-16. / (...) III. - Les recettes du fonds national des solidarités actives sont, notamment, constituées par une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale et une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-15 du même code. Ces contributions additionnelles sont assises, contrôlées, recouvrées et exigibles dans les mêmes conditions et sont passibles des mêmes sanctions que celles applicables à ces prélèvements sociaux. Leur taux est fixé à 1,1 % et ne peut l'excéder. (...) " ;

2. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment de son arrêt n° C-623/13 du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter, d'une part, que " la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale n'exclut pas que, au regard du règlement n° 1408/71, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, ce même prélèvement puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement ", y compris lorsque, comme en l'espèce, ce prélèvement est " assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l'exercice par ces dernières de toute activité professionnelle " et, d'autre part, que " l'élément déterminant aux fins de l'application du règlement n° 1408/71 réside dans le lien, direct et suffisamment pertinent, que doit présenter la disposition en cause avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n° 1408/71 ", " le critère déterminant étant celui de l'affectation spécifique d'une contribution au financement d'un régime de sécurité sociale " ; que, dans cet arrêt, la Cour de justice de l'Union européenne a ainsi dit pour droit que les prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle de 0,3 % à ce prélèvement présentaient un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, devenu l'article 3 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004, applicable depuis le 1er mai 2010 ;

3. Considérant, en revanche, qu'il résulte clairement des dispositions des paragraphes 1, 2 bis et 4 de l'article 4 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, reprises, à compter du 1er mai 2010, aux articles 3 et 70 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui renvoient à l'annexe X de ce règlement, qu'une prestation non contributive relevant de l'assistance sociale n'entre dans le champ d'application de ces règlements que lorsqu'elle possède également les caractéristiques de la législation en matière de sécurité sociale visée au paragraphe 1 de leurs articles 4 et 3 respectifs et à la condition, notamment, qu'elle soit mentionnée à l'annexe à laquelle ces articles renvoient.



4. Considérant, à ce titre, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles citées au point 1 que la contribution qu'elles prévoient est spécifiquement affectée au financement du revenu de solidarité active ; que, d'une part, le revenu de solidarité active constitue une prestation non contributive relevant de l'assistance sociale ; qu'en effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 28 mai 1974, Odette Callemeyn contre Etat belge (187/73), qu'une prestation relève de l'assistance sociale pour l'application de ce règlement " notamment lorsqu'elle retient le besoin comme critère essentiel d'application et fait abstraction de toute exigence relative à des périodes d'activité professionnelle, d'affiliation ou de cotisation " et qu'en application de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un revenu garanti, a droit au revenu de solidarité active (...) " ; que, d'autre part, alors même qu'il posséderait également les caractéristiques d'une législation en matière de sécurité sociale visée à l'article 4, paragraphe 1, du règlement du 14 juin 1971, repris à l'article 3, paragraphe 1, du règlement du 29 avril 2004, le revenu de solidarité active n'est, en tout état de cause, pas mentionné à l'annexe II bis au règlement du 14 juin 1971, ni à l'annexe X au règlement du 29 avril 2004 ; que, par suite, la contribution de 1,1 % prévue par les dispositions de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, dès lors qu'elle est spécifiquement affectée au financement d'une prestation qui ne relève pas de l'article 4 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, n'entre pas elle-même dans le champ d'application de ce règlement ;

5. Considérant que dans l'arrêt du 10 mai 2017 par lequel elle s'est prononcée sur la question dont la cour de céans l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour européenne a indiqué au point 45 de son arrêt que l'article 14 du protocole (n° 7) sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, annexé aux traités UE, FUE et CEEA, et les dispositions du statut en matière de sécurité sociale des fonctionnaires de l'Union remplissent, à l'égard de ces derniers, une fonction analogue à celle de l'article 13 du règlement n° 1408/71 et de l'article 11 du règlement n° 883/2004, consistant à prohiber l'obligation pour les fonctionnaires de l'Union de contribuer à différents régimes en matière de sécurité sociale et, en conséquence, a dit pour droit que l'article 14 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne ainsi que les dispositions du statut des fonctionnaires de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale prévoyant que les revenus fonciers perçus dans un Etat membre par un fonctionnaire de l'Union européenne, qui a son domicile fiscal dans cet Etat membre, soient assujettis à des contributions et à des prélèvements sociaux qui sont affectés au financement du régime de sécurité sociale de ce même Etat membre ;

6. Considérant, qu'il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les revenus fonciers perçus en France par un fonctionnaire de l'Union européenne qui a son domicile fiscal en France ne peuvent être assujettis à des contributions et à des prélèvements sociaux tels que la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle de 0,3 % à ce prélèvement qui présentent un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, devenu l'article 3 du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004, applicable depuis le 1er mai 2010 ; qu'en revanche de tels revenus peuvent être assujettis à la contribution de 1,1 % prévue par les dispositions de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles dès lors qu'elle est spécifiquement affectée au financement d'une prestation qui ne relève pas de l'article 4 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, et n'entre pas elle-même dans le champ d'application de ce règlement ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.C..., fonctionnaire titulaire de la Commission européenne, domicilié..., a été assujetti à la contribution sociale généralisée, à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, au prélèvement social et aux contributions additionnelles à ce prélèvement à raison de revenus fonciers imposables à son nom au titre des années 2008, 2009, 2010 et 2011 ; que, en application de ce qui a été dit au point précédent, M. C...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit déchargé des contributions sociales auxquelles il a été assujetti sur les revenus fonciers qu'il a perçus en France au titre des années 2008, 2009, 2010 et 2011, à l'exception de la contribution de 1,1 % prévue par les dispositions de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles pour ces mêmes années ;

Sur les dépens :

8. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens " ;

9. Considérant que les honoraires d'avocat exposés par M. C...devant la Cour de justice de l'Union européenne pour répondre à la question préjudicielle posée par la cour dans son arrêt du 14 décembre 2015 constituent des dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre ces dépens pour moitié à la charge de l'Etat et de les laisser pour moitié à la charge du requérant ; que M. C...produit la facture d'honoraires établie par son conseil pour la procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne qui s'élève à la somme de 20 400 euros ; que, dans ces conditions, l'Etat versera à M. C... la somme de 10 200 euros ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il est accordé à M. C...la décharge de la contribution sociale généralisée, du prélèvement social de 2 % et de la contribution additionnelle de 0,3 % auxquels il a été assujetti sur les revenus fonciers perçus en France au titre des années 2008, 2009, 2010 et 2011.
Article 2 : Le jugement n° 1101089-1102224-1200470-1300320 du 13 décembre 2013 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C...une somme de 10 200 euros au titre des dépens.

Article 4 : L'Etat versera à M. C...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. C...est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°14DA00317



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