Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 11/10/2017, 397902
Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 11/10/2017, 397902
Conseil d'État - 10ème - 9ème chambres réunies
- N° 397902
- ECLI:FR:CECHR:2017:397902.20171011
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
11 octobre 2017
- Rapporteur
- M. Vincent Villette
- Avocat(s)
- SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Autogrill Côté France a demandé au tribunal administratif de Marseille la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a dû acquitter au cours des années 2005 et 2006 à raison des dépenses liées aux repas servis gratuitement à son personnel durant cette période.
Par un jugement n° 1001869 du 15 mars 2011, le tribunal administratif de Marseille lui a accordé la restitution de ces sommes.
Par un arrêt n° 11MA02986 du 5 avril 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement en tant que, par son article premier, il a accordé cette restitution à la SAS Autogrill Côté France.
Par une décision n° 369045 du 31 juillet 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par le ministre du budget, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille.
Par un arrêt n° 15MA03337 du 14 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011, et remis à la charge de la SAS Autogrill Côté France les sommes en litige au titre de la taxe sur la valeur ajoutée due par la société pour la période correspondant aux années 2005 et 2006.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un autre mémoire, enregistrés les 14 mars, 14 juin et 7 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Autogrill Côté France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 décembre 2008 Danfoss A/S et AstraZeneca A/S contre Skatteministeriet (C-371/07) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la SAS Autogrill Côté France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SAS Autogrill Côté France exploite notamment des établissements de restauration situés sur le réseau autoroutier français. Elle a présenté une réclamation, rejetée par l'administration fiscale, en vue d'obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les achats de denrées alimentaires et de boissons destinées aux repas fournis gratuitement à son personnel, au cours des années 2005 et 2006, qu'elle avait réintégrée dans sa base d'imposition à la TVA en application de la doctrine administrative alors applicable. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 janvier 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, annulant le jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011, remis à sa charge les sommes en cause.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la sixième directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977, alors applicable : " Est considérée comme "prestation de services" toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien (...) / 2. Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : / a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée; / b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise. / Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence (...) ". Aux termes de l'article 17 de la sixième directive, relatif à la naissance et à l'étendue du droit à déduction : " (...) 2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable : / a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti (...) ".
3. Le 2. du 8° de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable en l'espèce assure la mise en oeuvre en droit national du 2. de l'article 6 de la sixième directive précité. Il dispose que : " Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : a) L'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ; / b) Les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise ". Aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".
4. Dans son arrêt du 11 décembre 2008 Danfoss A/S et AstraZeneca A/S contre Skatteministeriet (C-371/07), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que : " L'article 6, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens que cette disposition, d'une part, ne vise pas la fourniture à titre gratuit de repas dans les cantines d'entreprises à des relations d'affaires à l'occasion de réunions qui se tiennent dans les locaux de ces entreprises, dès lors qu'il ressort de données objectives - ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier - que ces repas sont fournis à des fins strictement professionnelles. D'autre part, ladite disposition vise en principe la fourniture à titre gratuit de repas par une entreprise à son personnel dans ses locaux, à moins que - ce qu'il appartient également à la juridiction de renvoi d'apprécier - les exigences de l'entreprise, telles que celle de garantir la continuité et le bon déroulement des réunions de travail, ne nécessitent que la fourniture de repas soit assurée par l'employeur ".
5. Il suit de là qu'en estimant que la fourniture régulière et gratuite de repas, par la société requérante, à ses salariés devait être assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux, alors même que cette prestation, eu égard à l'activité de restauration sur le réseau autoroutier de la requérante, répondait à des exigences spécifiques de l'entreprise tenant, notamment, en un lieu d'activité de ses salariés où sont absentes des offres alternatives de restauration, la cour administrative d'appel de Marseille a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.
Sur la recevabilité du recours du ministre :
7. Le moyen tiré de ce que la signataire du mémoire ne justifierait pas d'une délégation de signature régulière manque en fait et doit, par suite, être écarté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
8. Le jugement du tribunal administratif de Marseille n'est entaché ni d'une insuffisance de motivation, ni d'une contradiction de motifs.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de restitution formée par la SAS Autogrill Côté France :
9. Aux termes des troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l'article 117-1 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005: " (...) Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux (...) les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes se prononçant (...) sur une question préjudicielle ". Aux termes de l'article R. 196-1 du même livre dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : (...) b) du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (...) ".
10. En premier lieu, une décision de la Cour de justice des communautés européennes se prononçant sur une question préjudicielle, alors même qu'elle révélerait, par l'interprétation du droit de l'Union qu'elle retient, l'illégalité d'une instruction fiscale, ne révèle pas la non-conformité d'une règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, au sens et pour l'application des dispositions précitées, dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions. Il suit de là que, s'agissant de l'instruction administrative référencée 3 D-7-88 du 25 avril 1988 dont les termes ont été repris par la documentation administrative de base référencée 3 A-1221 à jour au 20 octobre 1999, l'arrêt précité rendu le 11 décembre 2008 par la Cour de justice des communautés européennes n'a pu révéler, au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, aucune non-conformité de la règle de droit interne à une règle de droit supérieure et ne saurait constituer un événement au sens du b) de l'article R. 196-1 du même livre de nature à ouvrir un délai de réclamation.
11. En deuxième lieu, l'interprétation, rappelée au point 4 et résultant de ce même arrêt du 11 décembre 2008, des termes de la directive, lesquels sont retranscrits de façon littérale par les dispositions, seules susceptibles de fonder l'imposition, du b) du 2. du 8° de l'article 257 du code général des impôts, ne révèle, au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, aucune non-conformité de la règle de droit interne à une règle de droit supérieure et ne saurait constituer un événement au sens du b) de l'article R. 196-1 du même livre, de nature à ouvrir un délai de réclamation. Il en va de même pour les dispositions des articles 236 et 238 de l'annexe II au code général des impôts.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de restitution formée par la SAS Autogrill Côté France n'était recevable qu'à concurrence de la somme de 6 975 euros au titre du mois de décembre 2006. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a fait droit aux conclusions de la société en tant qu'elles portaient sur un montant supérieur à cette somme.
En ce qui concerne le bien-fondé de la partie recevable de la demande de restitution formée par la SAS Autogrill Côté France :
13. En premier lieu, la taxe sur la valeur ajoutée en litige, qui procède de la réintégration par l'entreprise de la taxe ayant grevé les dépenses liées aux repas servis gratuitement à son personnel, n'est fondée que sur les termes de la doctrine administrative, alors même que cette dernière ne saurait fonder une imposition. La société pouvait dès lors en opérer la déduction en application des dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts et est, par suite, fondée à en demander la restitution.
14. En second lieu, aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à invoquer des insuffisances ou omissions de toute nature pendant l'instruction de la demande laquelle doit s'entendre comme prenant effet au plus tôt à compter de l'examen de la réclamation du contribuable par l'administration et se poursuivant pendant toute la durée du contentieux devant le juge administratif statuant au fond sur le litige.
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la fourniture, par la société, de repas gratuits à ses salariés ne saurait être regardée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux. Par suite, en tant que prestation de services effectuée à titre gratuit ne relevant pas du b) du 2. du 8° de l'article 257 du code général des impôts, elle n'avait pas à être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, il n'y pas lieu d'opérer la compensation sollicitée par le ministre entre, d'une part, le montant de taxe reversé à tort par la société et, d'autre part, le montant de taxe au titre de la fourniture de repas gratuits à ses salariés que, contrairement à ce qu'il soutient, la société n'avait pas à collecter.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de la SAS Autogrill Côté France, tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ses achats de denrées et boissons afférents aux repas fournis gratuitement à son personnel, au titre du mois de décembre 2006. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à la société requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 14 janvier 2016 est annulé.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011 est annulé.
Article 3 : Il est accordé à la SAS Autogrill Côté France la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a dû acquitter au cours du mois de décembre 2006 à raison des dépenses liées aux repas servis gratuitement à son personnel durant cette période, pour un montant de 6 975 euros.
Article 4 : Le surplus de la demande de la SAS Autogrill Côté France devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 5 : Le surplus des conclusions du recours présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à la SAS Autogrill Côté France la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la SAS Autogrill Côté France et au ministre de l'action et des comptes publics.
ECLI:FR:CECHR:2017:397902.20171011
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Autogrill Côté France a demandé au tribunal administratif de Marseille la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a dû acquitter au cours des années 2005 et 2006 à raison des dépenses liées aux repas servis gratuitement à son personnel durant cette période.
Par un jugement n° 1001869 du 15 mars 2011, le tribunal administratif de Marseille lui a accordé la restitution de ces sommes.
Par un arrêt n° 11MA02986 du 5 avril 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement en tant que, par son article premier, il a accordé cette restitution à la SAS Autogrill Côté France.
Par une décision n° 369045 du 31 juillet 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par le ministre du budget, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille.
Par un arrêt n° 15MA03337 du 14 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011, et remis à la charge de la SAS Autogrill Côté France les sommes en litige au titre de la taxe sur la valeur ajoutée due par la société pour la période correspondant aux années 2005 et 2006.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un autre mémoire, enregistrés les 14 mars, 14 juin et 7 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Autogrill Côté France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 décembre 2008 Danfoss A/S et AstraZeneca A/S contre Skatteministeriet (C-371/07) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la SAS Autogrill Côté France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SAS Autogrill Côté France exploite notamment des établissements de restauration situés sur le réseau autoroutier français. Elle a présenté une réclamation, rejetée par l'administration fiscale, en vue d'obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les achats de denrées alimentaires et de boissons destinées aux repas fournis gratuitement à son personnel, au cours des années 2005 et 2006, qu'elle avait réintégrée dans sa base d'imposition à la TVA en application de la doctrine administrative alors applicable. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 janvier 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, annulant le jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011, remis à sa charge les sommes en cause.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la sixième directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977, alors applicable : " Est considérée comme "prestation de services" toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien (...) / 2. Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : / a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée; / b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise. / Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence (...) ". Aux termes de l'article 17 de la sixième directive, relatif à la naissance et à l'étendue du droit à déduction : " (...) 2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable : / a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti (...) ".
3. Le 2. du 8° de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable en l'espèce assure la mise en oeuvre en droit national du 2. de l'article 6 de la sixième directive précité. Il dispose que : " Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : a) L'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ; / b) Les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise ". Aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".
4. Dans son arrêt du 11 décembre 2008 Danfoss A/S et AstraZeneca A/S contre Skatteministeriet (C-371/07), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que : " L'article 6, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens que cette disposition, d'une part, ne vise pas la fourniture à titre gratuit de repas dans les cantines d'entreprises à des relations d'affaires à l'occasion de réunions qui se tiennent dans les locaux de ces entreprises, dès lors qu'il ressort de données objectives - ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier - que ces repas sont fournis à des fins strictement professionnelles. D'autre part, ladite disposition vise en principe la fourniture à titre gratuit de repas par une entreprise à son personnel dans ses locaux, à moins que - ce qu'il appartient également à la juridiction de renvoi d'apprécier - les exigences de l'entreprise, telles que celle de garantir la continuité et le bon déroulement des réunions de travail, ne nécessitent que la fourniture de repas soit assurée par l'employeur ".
5. Il suit de là qu'en estimant que la fourniture régulière et gratuite de repas, par la société requérante, à ses salariés devait être assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux, alors même que cette prestation, eu égard à l'activité de restauration sur le réseau autoroutier de la requérante, répondait à des exigences spécifiques de l'entreprise tenant, notamment, en un lieu d'activité de ses salariés où sont absentes des offres alternatives de restauration, la cour administrative d'appel de Marseille a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.
Sur la recevabilité du recours du ministre :
7. Le moyen tiré de ce que la signataire du mémoire ne justifierait pas d'une délégation de signature régulière manque en fait et doit, par suite, être écarté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
8. Le jugement du tribunal administratif de Marseille n'est entaché ni d'une insuffisance de motivation, ni d'une contradiction de motifs.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de restitution formée par la SAS Autogrill Côté France :
9. Aux termes des troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l'article 117-1 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005: " (...) Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux (...) les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes se prononçant (...) sur une question préjudicielle ". Aux termes de l'article R. 196-1 du même livre dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : (...) b) du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (...) ".
10. En premier lieu, une décision de la Cour de justice des communautés européennes se prononçant sur une question préjudicielle, alors même qu'elle révélerait, par l'interprétation du droit de l'Union qu'elle retient, l'illégalité d'une instruction fiscale, ne révèle pas la non-conformité d'une règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, au sens et pour l'application des dispositions précitées, dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions. Il suit de là que, s'agissant de l'instruction administrative référencée 3 D-7-88 du 25 avril 1988 dont les termes ont été repris par la documentation administrative de base référencée 3 A-1221 à jour au 20 octobre 1999, l'arrêt précité rendu le 11 décembre 2008 par la Cour de justice des communautés européennes n'a pu révéler, au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, aucune non-conformité de la règle de droit interne à une règle de droit supérieure et ne saurait constituer un événement au sens du b) de l'article R. 196-1 du même livre de nature à ouvrir un délai de réclamation.
11. En deuxième lieu, l'interprétation, rappelée au point 4 et résultant de ce même arrêt du 11 décembre 2008, des termes de la directive, lesquels sont retranscrits de façon littérale par les dispositions, seules susceptibles de fonder l'imposition, du b) du 2. du 8° de l'article 257 du code général des impôts, ne révèle, au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, aucune non-conformité de la règle de droit interne à une règle de droit supérieure et ne saurait constituer un événement au sens du b) de l'article R. 196-1 du même livre, de nature à ouvrir un délai de réclamation. Il en va de même pour les dispositions des articles 236 et 238 de l'annexe II au code général des impôts.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de restitution formée par la SAS Autogrill Côté France n'était recevable qu'à concurrence de la somme de 6 975 euros au titre du mois de décembre 2006. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a fait droit aux conclusions de la société en tant qu'elles portaient sur un montant supérieur à cette somme.
En ce qui concerne le bien-fondé de la partie recevable de la demande de restitution formée par la SAS Autogrill Côté France :
13. En premier lieu, la taxe sur la valeur ajoutée en litige, qui procède de la réintégration par l'entreprise de la taxe ayant grevé les dépenses liées aux repas servis gratuitement à son personnel, n'est fondée que sur les termes de la doctrine administrative, alors même que cette dernière ne saurait fonder une imposition. La société pouvait dès lors en opérer la déduction en application des dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts et est, par suite, fondée à en demander la restitution.
14. En second lieu, aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à invoquer des insuffisances ou omissions de toute nature pendant l'instruction de la demande laquelle doit s'entendre comme prenant effet au plus tôt à compter de l'examen de la réclamation du contribuable par l'administration et se poursuivant pendant toute la durée du contentieux devant le juge administratif statuant au fond sur le litige.
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la fourniture, par la société, de repas gratuits à ses salariés ne saurait être regardée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux. Par suite, en tant que prestation de services effectuée à titre gratuit ne relevant pas du b) du 2. du 8° de l'article 257 du code général des impôts, elle n'avait pas à être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, il n'y pas lieu d'opérer la compensation sollicitée par le ministre entre, d'une part, le montant de taxe reversé à tort par la société et, d'autre part, le montant de taxe au titre de la fourniture de repas gratuits à ses salariés que, contrairement à ce qu'il soutient, la société n'avait pas à collecter.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de la SAS Autogrill Côté France, tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ses achats de denrées et boissons afférents aux repas fournis gratuitement à son personnel, au titre du mois de décembre 2006. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à la société requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 14 janvier 2016 est annulé.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011 est annulé.
Article 3 : Il est accordé à la SAS Autogrill Côté France la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a dû acquitter au cours du mois de décembre 2006 à raison des dépenses liées aux repas servis gratuitement à son personnel durant cette période, pour un montant de 6 975 euros.
Article 4 : Le surplus de la demande de la SAS Autogrill Côté France devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 5 : Le surplus des conclusions du recours présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à la SAS Autogrill Côté France la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la SAS Autogrill Côté France et au ministre de l'action et des comptes publics.