CAA de PARIS, 6ème chambre, 16/05/2017, 16PA02012, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Afone Infrastructure a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler, d'une part, le marché à bons de commande conclu par la ville de Paris avec la société Nomosphère le 11 février 2015, pour la fourniture de services wi-fi sur certains sites municipaux à Paris et, d'autre part, la délibération des 16 et 17 juin 2014 par laquelle le conseil de Paris a approuvé le principe et les modalités de passation de ce marché et a autorisé sa signature.

Par un jugement n° 1506875/7-2 du 22 avril 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 juin 2016 et un mémoire enregistré le 6 février 2017, la société Afone Infrastructure, représentée par la société d'avocats Magenta, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 22 avril 2016 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du marché public conclu le 11 février 2015 ;

2°) d'annuler ou de résilier ce marché ;
3°) d'inviter, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à lui fournir, en tant qu'amicus curiae, des éléments d'information complémentaires ;

4°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la ville de Paris doit être regardée, compte tenu de l'objet du marché, comme un opérateur de communications électroniques, fournissant des services de communications électroniques aux utilisateurs finals grâce à un réseau ouvert au public ;
- les dispositions des articles L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales et L. 33-1 du code des postes et communications électroniques sont donc applicables ;
- l'article L. 1425-1 du CGCT a été méconnu ; la procédure prévue par cet article n'a pas été respectée ; aucune carence de l'initiative privée ne pouvait être constatée ; le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques n'a pas été respecté ; le II de l'article L. 1425-1 a été également méconnu ;
- l'article L. 33-1 du code des postes et communications électroniques a été méconnu : aucune déclaration préalable n'a été effectuée auprès de l'ARCEP ;
- le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a été également méconnu ; la notion d' " accessoire du service public ", retenue par le tribunal administratif, n'est pas pertinente ; les services Paris Wi fi et ceux assurés par la requérante (wifilib) sont substituables et interviennent sur le même marché géographique.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 janvier 2017, la ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Afone Infrastructure au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 janvier 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 février 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des postes et communications électroniques ;
- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Petit,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les conclusions de MeB..., pour la société Afone infrastructure,
- et les conclusions de MeA..., pour la ville de Paris.

Une note en délibéré, enregistrée le 3 mai 2017, a été présentée par MeB..., pour la société Afone infrastructure.


1. Considérant que la ville de Paris a, par délibération des 16 et 17 juin 2014, décidé d'engager une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande, pour la fourniture de services wi-fi permettant aux personnes fréquentant des équipements municipaux d'accéder gratuitement à internet, pour une durée de douze mois reconductible trois fois, en application des articles 33, 40, 57 à 59 et 77 du code des marchés publics ; que des avis de marché ont été publiés au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) le 27 juin 2014 ainsi qu'au journal officiel de l'Union européenne (JOUE) le 28 juin 2014 ; que l'acte d'engagement de ce marché a été conclu entre la ville de Paris et la société Nomosphère le 11 février 2015 ; que l'avis d'attribution du marché a été publié au BOAMP le 26 février 2015 ; que la société Afone infrastructure, dont la candidature n'a pas été retenue, a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la délibération du conseil de Paris des 16 et 17 juin 2014, d'autre part, d'annuler ou de résilier le marché ; que par un jugement du 22 avril 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande ; que la société Afone infrastructure fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation ou à la résiliation du marché ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le jugement répond de manière suffisante à l'ensemble des moyens soulevés en première instance par la société Afone infrastructure ; qu'il n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments présentés à l'appui de ses moyens ; qu'il ne méconnaît pas, par suite, les dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

Sur la validité du marché :

3. Considérant qu'indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; qu'à partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu'il dispose du recours ci-dessus défini, le concurrent évincé n'est, en revanche, plus recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables ; qu'en outre, le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;

5. Considérant que la société Afone infrastructure soutient que l'objet du marché est illicite, la ville de Paris ne pouvant légalement exercer les services de communications électroniques concernés par ce marché ;

6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date de conclusion du marché : " I.-Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, deux mois au moins après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des communications électroniques, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques au sens du 3° et du 15° de l'article L. 32 du code des postes et communications électroniques, acquérir des droits d'usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux d'initiative publique, garantit l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques. /Dans les mêmes conditions qu'à l'alinéa précédent, les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent fournir des services de communications électroniques aux utilisateurs finals qu'après avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l'Autorité de régulation des communications électroniques. Les interventions des collectivités s'effectuent dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées./L'insuffisance d'initiatives privées est constatée par un appel d'offres déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de communications électroniques. / II.-Lorsqu'ils exercent une activité d'opérateur de communications électroniques, les collectivités territoriales et leurs groupements sont soumis à l'ensemble des droits et obligations régissant cette activité " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques : " Communications électroniques./On entend par communications électroniques les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique. / 2° Réseau de communications électroniques. On entend par réseau de communications électroniques toute installation ou tout ensemble d'installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l'acheminement de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage. /Sont notamment considérés comme des réseaux de communications électroniques : les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres, les systèmes utilisant le réseau électrique pour autant qu'ils servent à l'acheminement de communications électroniques et les réseaux assurant la diffusion ou utilisés pour la distribution de services de communication audiovisuelle. /3° Réseau ouvert au public. On entend par réseau ouvert au public tout réseau de communications électroniques établi ou utilisé pour la fourniture au public de services de communications électroniques ou de services de communication au public par voie électronique.(...) 6° Services de communications électroniques. On entend par services de communications électroniques les prestations consistant entièrement ou principalement en la fourniture de communications électroniques. Ne sont pas visés les services consistant à éditer ou à distribuer des services de communication au public par voie électronique. (...) /15° Opérateur. On entend par opérateur toute personne physique ou morale exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques.(...) " ; qu'enfin, selon l'article L. 33-1 du même code : " L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont libres sous réserve d'une déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes... " ;

7. Considérant que le marché en litige a pour objet de confier à un opérateur des prestations informatiques permettant aux personnes fréquentant des sites municipaux d'accéder gratuitement, grâce à un réseau wifi, à internet ; que cet accès s'effectue grâce à des bornes (hot spots) déjà implantées sur 315 sites municipaux, à l'air libre (parcs) ou non (bibliothèques, musées) ; que cet accès à internet est accordé pour une session de deux heures consécutives, renouvelable gratuitement dans la plage horaire d'ouverture du site municipal à partir duquel l'usager se connecte ; que le prestataire doit, notamment, selon les documents techniques contractuels, élaborer un portail wifi, hébergé sur un serveur, et assurer la maintenance du service wi-fi pendant toute la durée du marché ;

8. Considérant que ce réseau wifi ne peut, dès lors qu'il n'est utilisable que depuis des bâtiments ou espaces communaux et pour une durée limitée, être regardé comme un réseau ouvert au public au sens des dispositions du 3° de l'article L. 32 du code des postes et télécommunications ; que, le fait pour la ville de Paris, de prendre un abonnement auprès d'un fournisseur de communications électroniques et de l'ouvrir au public en fournissant des points d'accès gratuits à internet dans des bâtiments et espaces publics limités, ne peut la faire regarder comme exploitant un tel réseau ou comme un opérateur de communication électroniques ou comme fournissant des services de communications électroniques au public au sens des dispositions précitées ; que la circonstance que le réseau serait, dans des cas exceptionnels, utilisable par des personnes situées à proximité immédiate de ces sites et qu'il resterait dans certains cas accessible au-delà des horaires d'ouverture du site municipal est sans incidence sur la validité du marché ; que le marché pouvait être conclu sans que la ville de Paris procède à la déclaration préalable auprès de l'ARCEP prévue à l'article L. 33-1 précité ; que par suite les moyens tirés de la violation des dispositions de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, et des articles L. 32 et L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques ne peuvent qu'être écartés;

9. Considérant, par ailleurs, que la société requérante soutient que les prestations demandées par la ville de Paris au titulaire du marché s'exercent en méconnaissance du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, dès lors qu'elle propose également un service d'accès à internet, dénommé " wifilib ", gratuit et utilisable par toute personne se trouvant sur le territoire de la ville de Paris ; que lorsqu'une personne publique entend prendre en charge une activité économique, elle ne peut légalement le faire que dans le respect de la liberté du commerce et de l'industrie et du droit de la concurrence ; qu'à cet égard, pour intervenir sur un marché, elle doit non seulement agir dans la limite de ses compétences, mais également justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter, notamment, de la carence de l'initiative privée ; qu'une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci ; que, toutefois, en l'espèce, le service offert par la ville de Paris ne bénéficie qu'aux personnes fréquentant certains bâtiments et espaces municipaux, pendant l'ouverture de ceux-ci ; que la ville de Paris ne peut, en conséquence, être regardée comme exerçant une activité économique et comme intervenant sur le marché de la fourniture d'accès à internet au public ; qu'au demeurant et en tout état de cause, l'exécution du marché litigieux n'est pas de nature à affecter la concurrence dans ce secteur ; que le moyen doit dès lors être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de solliciter l'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, la société Afone infrastructure n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande ; qu'en conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante le versement à la ville de Paris de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions ;


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Afone infrastructure est rejetée.

Article 2 : La société Afone infrastructure versera à la ville de Paris la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Afone infrastructure et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Petit, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 mai 2017.
Le rapporteur,
V. PETITLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA02012



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