Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 31/03/2017, 393190
Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 31/03/2017, 393190
Conseil d'État - 4ème - 5ème chambres réunies
- N° 393190
- ECLI:FR:CECHR:2017:393190.20170331
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
31 mars 2017
- Rapporteur
- Mme Tiphaine Pinault
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 septembre 2015 et 19 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail (FGTE-CFDT) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née le 6 juillet 2015 du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 4222-10 du code du travail ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'environnement ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2000-321 du 10 avril 2000, notamment son article 16-1 ;
- le décret n° 84-1093 du 7 décembre 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Tiphaine Pinault, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
1. Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ; que, de même, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la réformation d'un règlement illégal, l'autorité compétente est tenue d'y substituer des dispositions de nature à mettre fin à cette illégalité ;
2. Considérant que l'article R. 4222-10 du code du travail, dont la rédaction, issue du décret du 7 décembre 1984 modifiant les sections Ière et VII du chapitre II du titre III du livre II du code du travail et, depuis lors, jamais modifiée, prévoit que " dans les locaux à pollution spécifique, les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur, évaluées sur une période de huit heures, ne doivent pas dépasser respectivement 10 et 5 milligrammes par mètre cube d'air " ; que la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail (FGTE-CFDT) a demandé au Premier ministre, par une lettre reçue par ce dernier le 6 mai 2015, l'abrogation de ces dispositions et leur remplacement par de nouvelles dispositions fixant des valeurs moins élevées ; que le Premier ministre n'ayant pas donné suite à cette demande dans un délai de deux mois, il en est résulté une décision implicite de rejet dont la FGTE-CFDT demande l'annulation pour excès de pouvoir ;
3. Considérant, en premier lieu, que les valeurs limites d'exposition professionnelle fixées par l'article R. 4222-10 du code du travail sont exprimées sous forme de seuils de concentrations maximales en poussières totales et en poussières alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur appelé à séjourner dans un local à pollution spécifique sur une période journalière de huit heures ; que si l'article R. 221-1 du code de l'environnement définit également des normes de qualité de l'air, ces normes, applicables à l'air ambiant, à l'exclusion des lieux de travail, reposent sur des seuils déterminés selon des méthodes différentes et sont relatives à des poussières répondant à des critères distincts ; que, dès lors, la FGTE-CFDT ne peut, pour soutenir qu'il y aurait une rupture d'égalité entre les travailleurs et le reste de la population, se borner à alléguer que les seuils retenus par l'un et par l'autre de ces textes ne concordent pas ; que la fédération requérante ne saurait davantage se prévaloir de la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibant les discriminations, faute pour elle d'invoquer la méconnaissance d'un autre droit ou liberté reconnu par cette convention ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...) " ; que si, en application de ces dispositions, l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité, il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible, éliminer ces dangers ; qu'il en va ainsi, en particulier, en ce qui concerne les lieux de travail, pour lesquels l'article L. 4221-1 du même code prévoit que : " Les établissements et locaux de travail sont aménagés de manière à ce que leur utilisation garantisse la sécurité des travailleurs. / Ils sont tenus dans un état constant de propreté et présentent les conditions d'hygiène et de salubrité propres à assurer la santé des intéressés (...) " ;
5. Considérant que la FGTE-CFDT soutient que l'article R. 4222-10 du code du travail est devenu illégal pour les poussières alvéolaires, en raison de ce que les seuils qu'il fixe pour ces poussières sont désormais, non seulement entachés d'erreur manifeste d'appréciation, mais aussi non conformes aux exigences légales rappelées au point 4 ; qu'à ce titre, elle fait valoir que les valeurs limites de référence d'exposition professionnelle aux poussières alvéolaires présentes dans l'air des locaux à pollution spécifique fixées par l'article litigieux n'apparaissent plus, en l'état des informations et données scientifiques disponibles, suffisantes pour garantir la protection de la santé des travailleurs ;
6. Considérant que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne conteste pas le caractère inadapté de ces normes en l'état de l'information disponible à la date de son refus ; qu'il produit ainsi un avis du 8 juin 2015 de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) relatif à la pollution chimique de l'air des enceintes de transports ferroviaires souterrains, rendu dans le cadre d'un programme d'expertise engagé à sa demande, concluant à l'existence d'un risque sanitaire respiratoire et cardiovasculaire lié à l'exposition chronique des travailleurs aux particules de l'air de ces lieux de travail et recommandant la révision des valeurs limites d'exposition professionnelle pour les poussières réputées sans effet spécifique ; que le ministre fait valoir qu'à la suite de cet avis il a, dès le 18 novembre suivant, saisi l'ANSES afin qu'elle formule des recommandations de nouvelles valeurs limites d'exposition professionnelle aux poussières génériques dans les lieux de travail ;
7. Considérant qu'il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier soumis au Conseil d'Etat que les autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels auraient pu être informées, avant le 8 juin 2015, de ce que l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles nécessitait de réviser les valeurs limites de référence fixées à l'article R. 4222-10 du code du travail pour les poussières alvéolaires ; que si une telle information établit ainsi qu'à la date du refus attaqué l'administration était dans l'obligation d'engager la révision de ces valeurs, il n'est pas établi en revanche, compte tenu notamment de la technicité de la matière, qu'elle était dès cette date également en mesure de fixer de nouvelles valeurs limites de référence ; que par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse née le 6 juillet 2015, par laquelle, sans refuser d'engager la révision des dispositions de l'article R. 4222-10 du code du travail, le ministre a seulement refusé, à cette date, l'abrogation de ces dispositions pour leur remplacement par de nouvelles dispositions, n'est pas entachée d'illégalité ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de la FGTE-CFDT doivent être rejetées, y compris, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail, au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
ECLI:FR:CECHR:2017:393190.20170331
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 septembre 2015 et 19 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail (FGTE-CFDT) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née le 6 juillet 2015 du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 4222-10 du code du travail ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'environnement ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2000-321 du 10 avril 2000, notamment son article 16-1 ;
- le décret n° 84-1093 du 7 décembre 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Tiphaine Pinault, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
1. Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ; que, de même, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la réformation d'un règlement illégal, l'autorité compétente est tenue d'y substituer des dispositions de nature à mettre fin à cette illégalité ;
2. Considérant que l'article R. 4222-10 du code du travail, dont la rédaction, issue du décret du 7 décembre 1984 modifiant les sections Ière et VII du chapitre II du titre III du livre II du code du travail et, depuis lors, jamais modifiée, prévoit que " dans les locaux à pollution spécifique, les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur, évaluées sur une période de huit heures, ne doivent pas dépasser respectivement 10 et 5 milligrammes par mètre cube d'air " ; que la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail (FGTE-CFDT) a demandé au Premier ministre, par une lettre reçue par ce dernier le 6 mai 2015, l'abrogation de ces dispositions et leur remplacement par de nouvelles dispositions fixant des valeurs moins élevées ; que le Premier ministre n'ayant pas donné suite à cette demande dans un délai de deux mois, il en est résulté une décision implicite de rejet dont la FGTE-CFDT demande l'annulation pour excès de pouvoir ;
3. Considérant, en premier lieu, que les valeurs limites d'exposition professionnelle fixées par l'article R. 4222-10 du code du travail sont exprimées sous forme de seuils de concentrations maximales en poussières totales et en poussières alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur appelé à séjourner dans un local à pollution spécifique sur une période journalière de huit heures ; que si l'article R. 221-1 du code de l'environnement définit également des normes de qualité de l'air, ces normes, applicables à l'air ambiant, à l'exclusion des lieux de travail, reposent sur des seuils déterminés selon des méthodes différentes et sont relatives à des poussières répondant à des critères distincts ; que, dès lors, la FGTE-CFDT ne peut, pour soutenir qu'il y aurait une rupture d'égalité entre les travailleurs et le reste de la population, se borner à alléguer que les seuils retenus par l'un et par l'autre de ces textes ne concordent pas ; que la fédération requérante ne saurait davantage se prévaloir de la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibant les discriminations, faute pour elle d'invoquer la méconnaissance d'un autre droit ou liberté reconnu par cette convention ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...) " ; que si, en application de ces dispositions, l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité, il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible, éliminer ces dangers ; qu'il en va ainsi, en particulier, en ce qui concerne les lieux de travail, pour lesquels l'article L. 4221-1 du même code prévoit que : " Les établissements et locaux de travail sont aménagés de manière à ce que leur utilisation garantisse la sécurité des travailleurs. / Ils sont tenus dans un état constant de propreté et présentent les conditions d'hygiène et de salubrité propres à assurer la santé des intéressés (...) " ;
5. Considérant que la FGTE-CFDT soutient que l'article R. 4222-10 du code du travail est devenu illégal pour les poussières alvéolaires, en raison de ce que les seuils qu'il fixe pour ces poussières sont désormais, non seulement entachés d'erreur manifeste d'appréciation, mais aussi non conformes aux exigences légales rappelées au point 4 ; qu'à ce titre, elle fait valoir que les valeurs limites de référence d'exposition professionnelle aux poussières alvéolaires présentes dans l'air des locaux à pollution spécifique fixées par l'article litigieux n'apparaissent plus, en l'état des informations et données scientifiques disponibles, suffisantes pour garantir la protection de la santé des travailleurs ;
6. Considérant que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne conteste pas le caractère inadapté de ces normes en l'état de l'information disponible à la date de son refus ; qu'il produit ainsi un avis du 8 juin 2015 de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) relatif à la pollution chimique de l'air des enceintes de transports ferroviaires souterrains, rendu dans le cadre d'un programme d'expertise engagé à sa demande, concluant à l'existence d'un risque sanitaire respiratoire et cardiovasculaire lié à l'exposition chronique des travailleurs aux particules de l'air de ces lieux de travail et recommandant la révision des valeurs limites d'exposition professionnelle pour les poussières réputées sans effet spécifique ; que le ministre fait valoir qu'à la suite de cet avis il a, dès le 18 novembre suivant, saisi l'ANSES afin qu'elle formule des recommandations de nouvelles valeurs limites d'exposition professionnelle aux poussières génériques dans les lieux de travail ;
7. Considérant qu'il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier soumis au Conseil d'Etat que les autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels auraient pu être informées, avant le 8 juin 2015, de ce que l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles nécessitait de réviser les valeurs limites de référence fixées à l'article R. 4222-10 du code du travail pour les poussières alvéolaires ; que si une telle information établit ainsi qu'à la date du refus attaqué l'administration était dans l'obligation d'engager la révision de ces valeurs, il n'est pas établi en revanche, compte tenu notamment de la technicité de la matière, qu'elle était dès cette date également en mesure de fixer de nouvelles valeurs limites de référence ; que par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse née le 6 juillet 2015, par laquelle, sans refuser d'engager la révision des dispositions de l'article R. 4222-10 du code du travail, le ministre a seulement refusé, à cette date, l'abrogation de ces dispositions pour leur remplacement par de nouvelles dispositions, n'est pas entachée d'illégalité ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de la FGTE-CFDT doivent être rejetées, y compris, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération générale des transports et de l'équipement de la Confédération française démocratique du travail, au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.