Conseil d'État, Section, 24/02/2017, 376384, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État, Section, 24/02/2017, 376384, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État - Section
- N° 376384
- ECLI:FR:CESEC:2017:376384.20170224
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
24 février 2017
- Rapporteur
- M. Stéphane Decubber
- Avocat(s)
- SCP BORE, SALVE DE BRUNETON
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 68526 du 16 janvier 2014, la Cour des comptes a constitué M. A... B..., comptable de l'Etablissement français du sang, débiteur envers cet établissement de la somme de 2 255 785,58 euros, majorée de l'intérêt légal à compter du 3 décembre 2007, et a sursis à sa décharge pour les exercices 2000 à 2004 jusqu'à l'apurement du débet.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 17 mars et 17 juin 2014, M. A... B...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code de la santé publique ;
- la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, notamment son article 60, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Stéphane Decubber, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes que M. A... B...a exercé, à compter du 3 janvier 2000, les fonctions d'agent comptable de l'Etablissement français du sang (EFS), ayant la qualité de comptable public principal ; que des détournements de fonds, dont le montant s'est élevé à 5 304 765,58 euros pour la période postérieure à la prise de fonctions de M. B..., ont été commis entre 1995 et 2004 par une salariée de l'établissement de transfusion sanguine de Bretagne Est, établissement local de l'EFS doté d'un comptable public secondaire ; que des arrêtés de débet pris par le ministre chargé de la santé ont été notifiés, les 18 et 19 janvier 2012, aux deux comptables publics secondaires qui se sont succédé à la direction du poste comptable de cet établissement local au cours de la période postérieure à la prise de fonctions de M. B..., pour un montant total de 5 304 765,58 euros ; que, par un arrêt du 16 janvier 2014, la Cour des comptes a constitué M. B... débiteur d'une somme ramenée à 2 255 785,58 euros du fait de l'indemnisation versée par la compagnie d'assurances de l'EFS, majorée de l'intérêt légal à compter du 3 décembre 2007, et a sursis à sa décharge pour les exercices 2000 à 2004 jusqu'à l'apurement du débet ; que M. B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-1 du code des juridictions financières : " La Cour des comptes juge les comptes des comptables publics, sous réserve de la compétence que les dispositions du présent code attribuent, en premier ressort, aux chambres régionales et territoriales des comptes " ; qu'en vertu des dispositions du III de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics " s'étend aux opérations des comptables publics placés sous leur autorité et à celles des régisseurs et, dans la limite des contrôles qu'ils sont tenus d'exercer, aux opérations des comptables publics et des correspondants centralisés dans leur comptabilité (...) " ; qu'aux termes de l'article 14 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable, repris à l'article 15 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les comptables publics sont principaux ou secondaires. Les comptables principaux sont ceux qui rendent directement leurs comptes au juge des comptes. / Les comptables secondaires sont ceux dont les opérations sont centralisées par un comptable principal. (...) " ; qu'aux termes de l'article 15 du décret du 29 décembre 1962, repris à l'article 14 du décret du 7 novembre 2012 : " Les comptables publics assument la direction des postes comptables. / L'organisation de ces postes est déterminée selon les règles propres à chaque catégorie d'organisme public. / Tout poste comptable est confié à un seul comptable public " ; qu'aux termes de l'article 17 du décret du 29 décembre 1962, repris à l'article 14 du décret du 7 novembre 2012 : " Les comptables publics sont, avant d'être installés dans leur poste comptable, astreints à la constitution de garanties et à la prestation d'un serment. / Ils sont accrédités auprès des ordonnateurs et, le cas échéant, des autres comptables publics avec lesquels ils sont en relations. / Ils doivent rendre des comptes au moins une fois l'an " ;
3. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 2 qu'il appartient au juge des comptes de juger les comptes des comptables publics ; que tout comptable public assumant la direction d'un poste comptable, qu'il soit principal ou secondaire, est responsable des opérations qu'il accomplit ainsi, le cas échéant, que de celles accomplies, sous son autorité, par d'autres comptables publics ou des régisseurs ; que, s'agissant des opérations des comptables publics secondaires, c'est-à-dire de ceux dont la comptabilité est centralisée dans les comptes d'un comptable public principal, la responsabilité du comptable public principal ne peut être engagée que dans la limite des contrôles qu'il est tenu d'exercer, en vertu des textes qui définissent l'organisation des postes comptables concernés, dont le dispositif a été précisé par l'audience d'instruction tenue le 12 décembre 2016 par la 6ème chambre de la section du contentieux ; qu'ainsi, il appartient au juge des comptes d'examiner si la responsabilité du comptable principal doit être mise en jeu, soit au titre des opérations du poste comptable qu'il dirige, de celles des comptables publics qui sont placés sous son autorité ou de celles des régisseurs, soit au titre des opérations des comptables publics secondaires dont il centralise la comptabilité dans la mesure où celles-ci sont soumises à son contrôle ; qu'à défaut de pouvoir mettre en jeu la responsabilité de ce comptable public principal à ce dernier titre, il appartient au juge des comptes de mettre en jeu la responsabilité des comptables secondaires dont la comptabilité était centralisée dans les comptes du comptable principal ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions du cinquième alinéa de l'article R. 1222-8 du code de la santé publique, le président de l'EFS " recrute, nomme et gère les personnels de l'établissement " et " a autorité sur l'ensemble de ces personnels " ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article R. 1222-12 du même code : " Les agents comptables secondaires sont nommés par le président, après avis conforme de l'agent comptable principal " ; qu'en déduisant l'existence d'un lien d'autorité, au sens du III de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, entre M. B..., comptable public principal de l'EFS, et les comptables publics secondaires qui ont successivement assumé la direction du poste comptable de l'établissement local de Bretagne Est, de la seule circonstance que leur nomination est soumise à son avis conforme en vertu des dispositions de l'article R. 1222-12 du code de la santé publique, et alors qu'aucun texte ne lui conférait une autorité à l'égard des comptables secondaires de l'établissement pour l'exécution des opérations comptables qui leur sont assignées, la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
5. Considérant, en second lieu, que pour constituer M. B... débiteur envers l'EFS de la somme de 2 255 785,58 euros, la Cour des comptes a jugé qu'il devait répondre, en tant que comptable public principal, de l'ensemble des opérations effectuées par les comptables secondaires de l'EFS ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en oeuvre les règles énoncées au point 3 et alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les comptables secondaires de l'EFS n'étaient pas placés sous l'autorité de M. B..., la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une autre erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que M. B...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt n° 68526 de la Cour des comptes du 16 janvier 2014 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à l'Etablissement français du sang et au Parquet général près la Cour des comptes.
Copie pour information sera adressée au ministre de l'économie et des finances.
ECLI:FR:CESEC:2017:376384.20170224
Par un arrêt n° 68526 du 16 janvier 2014, la Cour des comptes a constitué M. A... B..., comptable de l'Etablissement français du sang, débiteur envers cet établissement de la somme de 2 255 785,58 euros, majorée de l'intérêt légal à compter du 3 décembre 2007, et a sursis à sa décharge pour les exercices 2000 à 2004 jusqu'à l'apurement du débet.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 17 mars et 17 juin 2014, M. A... B...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code de la santé publique ;
- la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, notamment son article 60, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Stéphane Decubber, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes que M. A... B...a exercé, à compter du 3 janvier 2000, les fonctions d'agent comptable de l'Etablissement français du sang (EFS), ayant la qualité de comptable public principal ; que des détournements de fonds, dont le montant s'est élevé à 5 304 765,58 euros pour la période postérieure à la prise de fonctions de M. B..., ont été commis entre 1995 et 2004 par une salariée de l'établissement de transfusion sanguine de Bretagne Est, établissement local de l'EFS doté d'un comptable public secondaire ; que des arrêtés de débet pris par le ministre chargé de la santé ont été notifiés, les 18 et 19 janvier 2012, aux deux comptables publics secondaires qui se sont succédé à la direction du poste comptable de cet établissement local au cours de la période postérieure à la prise de fonctions de M. B..., pour un montant total de 5 304 765,58 euros ; que, par un arrêt du 16 janvier 2014, la Cour des comptes a constitué M. B... débiteur d'une somme ramenée à 2 255 785,58 euros du fait de l'indemnisation versée par la compagnie d'assurances de l'EFS, majorée de l'intérêt légal à compter du 3 décembre 2007, et a sursis à sa décharge pour les exercices 2000 à 2004 jusqu'à l'apurement du débet ; que M. B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-1 du code des juridictions financières : " La Cour des comptes juge les comptes des comptables publics, sous réserve de la compétence que les dispositions du présent code attribuent, en premier ressort, aux chambres régionales et territoriales des comptes " ; qu'en vertu des dispositions du III de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics " s'étend aux opérations des comptables publics placés sous leur autorité et à celles des régisseurs et, dans la limite des contrôles qu'ils sont tenus d'exercer, aux opérations des comptables publics et des correspondants centralisés dans leur comptabilité (...) " ; qu'aux termes de l'article 14 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable, repris à l'article 15 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les comptables publics sont principaux ou secondaires. Les comptables principaux sont ceux qui rendent directement leurs comptes au juge des comptes. / Les comptables secondaires sont ceux dont les opérations sont centralisées par un comptable principal. (...) " ; qu'aux termes de l'article 15 du décret du 29 décembre 1962, repris à l'article 14 du décret du 7 novembre 2012 : " Les comptables publics assument la direction des postes comptables. / L'organisation de ces postes est déterminée selon les règles propres à chaque catégorie d'organisme public. / Tout poste comptable est confié à un seul comptable public " ; qu'aux termes de l'article 17 du décret du 29 décembre 1962, repris à l'article 14 du décret du 7 novembre 2012 : " Les comptables publics sont, avant d'être installés dans leur poste comptable, astreints à la constitution de garanties et à la prestation d'un serment. / Ils sont accrédités auprès des ordonnateurs et, le cas échéant, des autres comptables publics avec lesquels ils sont en relations. / Ils doivent rendre des comptes au moins une fois l'an " ;
3. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 2 qu'il appartient au juge des comptes de juger les comptes des comptables publics ; que tout comptable public assumant la direction d'un poste comptable, qu'il soit principal ou secondaire, est responsable des opérations qu'il accomplit ainsi, le cas échéant, que de celles accomplies, sous son autorité, par d'autres comptables publics ou des régisseurs ; que, s'agissant des opérations des comptables publics secondaires, c'est-à-dire de ceux dont la comptabilité est centralisée dans les comptes d'un comptable public principal, la responsabilité du comptable public principal ne peut être engagée que dans la limite des contrôles qu'il est tenu d'exercer, en vertu des textes qui définissent l'organisation des postes comptables concernés, dont le dispositif a été précisé par l'audience d'instruction tenue le 12 décembre 2016 par la 6ème chambre de la section du contentieux ; qu'ainsi, il appartient au juge des comptes d'examiner si la responsabilité du comptable principal doit être mise en jeu, soit au titre des opérations du poste comptable qu'il dirige, de celles des comptables publics qui sont placés sous son autorité ou de celles des régisseurs, soit au titre des opérations des comptables publics secondaires dont il centralise la comptabilité dans la mesure où celles-ci sont soumises à son contrôle ; qu'à défaut de pouvoir mettre en jeu la responsabilité de ce comptable public principal à ce dernier titre, il appartient au juge des comptes de mettre en jeu la responsabilité des comptables secondaires dont la comptabilité était centralisée dans les comptes du comptable principal ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions du cinquième alinéa de l'article R. 1222-8 du code de la santé publique, le président de l'EFS " recrute, nomme et gère les personnels de l'établissement " et " a autorité sur l'ensemble de ces personnels " ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article R. 1222-12 du même code : " Les agents comptables secondaires sont nommés par le président, après avis conforme de l'agent comptable principal " ; qu'en déduisant l'existence d'un lien d'autorité, au sens du III de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, entre M. B..., comptable public principal de l'EFS, et les comptables publics secondaires qui ont successivement assumé la direction du poste comptable de l'établissement local de Bretagne Est, de la seule circonstance que leur nomination est soumise à son avis conforme en vertu des dispositions de l'article R. 1222-12 du code de la santé publique, et alors qu'aucun texte ne lui conférait une autorité à l'égard des comptables secondaires de l'établissement pour l'exécution des opérations comptables qui leur sont assignées, la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
5. Considérant, en second lieu, que pour constituer M. B... débiteur envers l'EFS de la somme de 2 255 785,58 euros, la Cour des comptes a jugé qu'il devait répondre, en tant que comptable public principal, de l'ensemble des opérations effectuées par les comptables secondaires de l'EFS ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en oeuvre les règles énoncées au point 3 et alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les comptables secondaires de l'EFS n'étaient pas placés sous l'autorité de M. B..., la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une autre erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que M. B...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt n° 68526 de la Cour des comptes du 16 janvier 2014 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à l'Etablissement français du sang et au Parquet général près la Cour des comptes.
Copie pour information sera adressée au ministre de l'économie et des finances.