Conseil d'État, 3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies, 22/02/2017, 394647, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Les Roches a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 21 décembre 2012 par laquelle le directeur régional des finances publiques de Rhône-Alpes a rejeté sa demande tendant à la restitution de la somme de 6 066 euros recouvrée auprès de son locataire, la société Market HD, au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre des années 2009 et 2010 par le précédent propriétaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6 066 euros en réparation de son préjudice résultant du manque à gagner sur les loyers qu'elle aurait dû percevoir et la somme de 1 500 euros en réparation des préjudices de toute nature résultant du comportement fautif de l'administration, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 1301342 du 25 mars 2013, la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif a rejeté cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Par un arrêt n° 13LY01202 du 12 novembre 2015, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 17 novembre 2015, la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat le pourvoi formé par la SCI Les Roches contre cette ordonnance.

Par ce pourvoi, enregistré le 6 mai 2013 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon, deux nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le 29 décembre 2015 et les 17 février et 15 septembre 2016, la SCI Les Roches demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance de la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Lyon ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision du 21 décembre 2012 par laquelle le directeur régional des finances publiques de Rhône-Alpes a rejeté sa réclamation et sa demande de restitution de la somme de 6 066 euros, d'enjoindre à l'Etat à lui rembourser une somme de 6 066 euros, augmentée des intérêts au taux légal, dans un délai de 15 jours sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 500 euros en réparation des troubles de toute nature ayant résulté du manque à gagner sur les loyers qu'elle aurait dû percevoir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Etienne de Lageneste, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société civile immobilière (SCI) Les Roches.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société civile immobilière (SCI) Les Roches a acquis de la SCI Givors les 2 Vallées un bien immobilier le 21 janvier 2010. Les cotisations de taxe foncière dues au titre des années 2009 et 2010 relatives à cet immeuble n'ont pu être recouvrées auprès de la SCI Givors les 2 Vallées, laquelle en était débitrice pour un montant de 6 066 euros à la date de la cession. L'administration fiscale a, en application du privilège du Trésor prévu au 2° du 2 de l'article 1920 du code général des impôts, recherché le paiement des impositions sur les loyers dus à la SCI Les Roches. Par un courrier du 17 février 2012, elle a informé celle-ci de ce qu'elle avait délivré à sa locataire, la société Market HD, un avis à tiers détenteur en vue du recouvrement des cotisations de taxe foncière restant dues au titre des années 2009 et 2010. La somme de 6 066 euros a, en exécution de cet avis à tiers détenteur, été versée à l'administration fiscale par la société Market HD au cours des mois de mai, juin et juillet 2012 par prélèvement sur les loyers qu'elle devait à son bailleur.

2. Il ressort également des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une décision du 21 décembre 2012, le directeur régional des finances publiques Rhône-Alpes a rejeté la réclamation de la SCI Les Roches tendant à la restitution de cette somme. La société a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler cette décision, de condamner l'Etat au versement de la somme de 6 066 euros à titre de restitution de la somme recouvrée par voie d'avis à tiers détenteur ou de réparation du préjudice résultant de la perte de ses loyers, et de condamner l'Etat au versement d'une somme de 1 500 euros en réparation des autres préjudices que lui a causés le comportement fautif de l'administration. Par une ordonnance du 25 mars 2013, la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Par un arrêt du 12 novembre 2015, la cour administrative d'appel de Lyon, estimant que les conclusions dont était saisi le tribunal administratif avaient la nature, d'une part, d'une action en restitution d'une somme versée au titre de la taxe foncière par une personne qui n'en était ni le redevable légal, ni le débiteur solidaire et, d'autre part, d'une action indemnitaire d'un montant inférieur au seuil prévu par l'article R. 222-14 du code de justice administrative, a jugé que l'ordonnance attaquée avait été rendue en premier et dernier ressort en application des dispositions combinées de l'article R. 811-1 et des 5° et 7° de l'article R. 222-13 du même code, dans leur rédaction alors applicable. Par suite, elle a transmis le pourvoi au Conseil d'Etat.

3. En relevant que la SCI Les Roches se bornait à formuler des conclusions indemnitaires, la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Lyon a méconnu la portée des demandes de la société, analysées au point 2 ci-dessus. Par suite, la SCI Les Roches est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les conclusions tendant à ce que l'Etat verse à la SCI Les Roches une somme correspondant au montant de la taxe foncière :

5. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables du Trésor (...) doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. Les contestations ne peuvent porter que : 1°) Soit sur la régularité en la forme de l'acte ; 2°) Soit sur l'existence de l'obligation de payer, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l'exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. Les recours contre les décisions prises par l'administration sont portés, dans le premier cas, devant le tribunal de grande instance, dans le second cas, devant le juge de l'impôt tel qu'il est prévu à l'article L. 199 ". Aux termes de l'article 1920 du code général des impôts : " 1. Le privilège du Trésor en matière de contributions directes et taxes assimilées s'exerce avant tout autre sur les meubles et effets mobiliers appartenant aux redevables en quelque lieu qu'ils se trouvent (....). / 2. Le privilège établi au 1 s'exerce en outre : (...) 2° Pour la taxe foncière sur les récoltes, fruits, loyers et revenus des biens immeubles sujets à la contribution ".

6. Les contestations relatives à l'existence et à la portée du privilège du Trésor ne peuvent être portées que devant le juge judiciaire. Tel est notamment le cas lorsqu'elles sont présentées par le nouveau propriétaire d'un immeuble, à l'égard duquel a été exercé le privilège du Trésor en application du 2° du 2 de l'article 1920 du code général des impôts, pour une taxe foncière dont il n'est pas le redevable, qu'elles se présentent comme la contestation d'un acte de poursuite, comme une demande de restitution de l'impôt acquitté à la demande de l'administration, avec ou sans mise en oeuvre d'un acte de poursuite, ou comme une demande de remboursement de cet impôt sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'administration.

7. Toutefois, alors même qu'il n'a pas été personnellement assujetti à cet impôt, le nouveau propriétaire peut, eu égard au fait que l'exercice du privilège du Trésor sur le fondement de l'article 1920 du code général des impôts, tel qu'interprété par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, conduit à ce qu'il en supporte la charge, saisir le juge administratif de l'impôt d'un recours, sur le fondement du b. de l'article R. 196-2 du livre des procédures fiscales, pour contester le principe de l'assujettissement du précédent propriétaire ou encore l'assiette ou le montant de l'impôt mis à sa charge et en demander la décharge ou la réduction.

8. La SCI Les Roches soutient qu'elle n'a pas été assujettie aux cotisations de taxe foncière recouvrées par voie d'avis à tiers détenteur auprès de son locataire et que l'administration a fait usage d'un privilège qu'elle n'était pas en droit de mettre en oeuvre. Elle ne formule aucune contestation relative au principe ou au montant de ces impositions. Ainsi, sa demande, qu'elle soit présentée comme une demande de restitution de l'imposition ou comme une demande indemnitaire, est fondée sur une contestation de l'existence et de la portée du privilège du Trésor, laquelle ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative.

Sur les conclusions relatives aux préjudices résultant du comportement de l'administration :

9. En application de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur les conséquences dommageables de la mise en oeuvre du privilège du Trésor.

10. La faute de l'administration qu'invoque la SCI Les Roches n'est pas détachable de sa contestation de l'existence, de la portée et de la mise en oeuvre du privilège du Trésor. Dès lors, ses conclusions ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative.

11. Il résulte de ce qui précède que les demandes de la SCI Les Roches, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance de la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Lyon du 25 mars 2013 est annulée.

Article 2 : Les demandes de la SCI Les Roches sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Les Roches et au ministre de l'économie et des finances.

ECLI:FR:CECHR:2017:394647.20170222
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