CAA de MARSEILLE, 6ème chambre - formation à 3, 09/01/2017, 16MA02434, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2016 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1601648 du 17 mai 2016, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 17 juin 2016 sous le n° 16MA02434, complétée les 1er et 4 juillet 2016, M. B... représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 mai 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 26 janvier 2016 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, lequel renonce à percevoir l'aide juridictionnelle en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour ;
- les motifs de la décision ne sont pas fondés ;
- les premiers juges ont procédé à une substitution de motifs en retenant l'insuffisance de preuves de la résidence continue du requérant ;
- les premiers juges ont omis de se prononcer sur son insertion professionnelle ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de l'arrêté au regard des buts poursuivis par l'administration ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision porte une atteinte excessive à sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 juin 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens invoqués, qui ne sont que la reprise des moyens de première instance, ne sont pas fondés et se réfère à ses écritures de première instance.


II. Par une requête enregistrée le 17 juin 2016, sous le n° 16MA02435, M. B..., représenté par MeA..., demande à la Cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du 17 mai 2016 ;

2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un récépissé valant autorisation provisoire de séjour et de travail jusqu'à l'arrêt à intervenir, dans un délai de un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, lequel renonce à percevoir l'aide juridictionnelle en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :
- l'arrêté contesté porte atteinte d'une manière suffisamment grave à sa situation, et l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée dès lors qu'il réside en France de manière continue depuis 2003.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 juin 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête;

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Steinmetz-Schies.



Sur la jonction :

1. Considérant que les requêtes n° 16MA02434 et n° 16MA02435 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un seul arrêt ;

2. Considérant que M. B..., de nationalité tunisienne, né le 17 juillet 1977, a déclaré être entré en France le 2 août 2003, sous couvert d'un visa Schengen de dix jours ; qu'il a demandé le 11 août 2015 son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale ; que, par un arrêté du 26 janvier 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que par le jugement du 17 mai 2016 le tribunal administratif a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2016 ;


Sur la requête aux fins d'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2016 :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) " ;

4. Considérant que M. B... soutient qu'entré en France le 2 août 2003, il a résidé depuis cette date de façon continue sur le territoire français ; qu'à l'appui de ses allégations, le requérant produit, tant en première instance qu'en appel, de nombreux documents ; que pour les années 2004 et 2005, il fournit des témoignages circonstanciés de personnes qui l'ont hébergé, pour les années 2006 et 2007, des quittances de loyer, pour l'année 2008 et 2009 des factures d'hôtel et à compter de l'année 2010, des bulletins de salaire, relevés de compte, billets de train, certificats de travail, ordonnances, courriers, quittances ; que, compte tenu de la multiplicité et de la nature des preuves attestant de la présence en France de M. B... de 2004 à 2016, ce faisceau d'indices est de nature à établir sa présence en France depuis plus de dix ans ; qu'il s'ensuit que, eu égard à la durée du séjour de l'intéressé en France, le préfet était tenu de soumettre sa demande d'admission au séjour à la commission du titre de séjour ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2016 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé.".

7. Considérant que l'exécution du présent arrêt implique que le préfet des Bouches-du-Rhône saisisse pour avis la commission du titre de séjour ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre le préfet des Bouches-du-Rhône de saisir la commission du titre de séjour dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;




Sur la requête aux fins de sursis à exécution :

8. Considérant que le présent arrêt statue au fond sur les conclusions de M. B... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 mai 2016 ; que les conclusions de la requête enregistrée sous le n° 16MA02435 tendant au sursis à l'exécution dudit jugement sont, dès lors, dépourvues d'objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
10. Considérant que M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 500 euros ;



D É C I D E :



Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... tendant au sursis à exécution du jugement du 17 mai 2016.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 mai 2016 est annulé.
Article 3 : L'arrêté du 26 janvier 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de saisir la commission du titre de séjour dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2016, où siégeaient :

- M. Moussaron, président,
- Mme Steinmetz-Schies, président-assesseur,
- Mme Héry, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 janvier 2017.
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Nos 16MA02434 - 16MA02435



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