CAA de NANTES, 5ème chambre, 27/07/2016, 15NT00206, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par trois demandes distinctes Mme F...N..., M. L... I..., M. et Mme O...N..., Mme J...M..., Mlle P... N...et M. H... E...ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler :
- l'arrêté du 4 novembre 2010 par lequel le maire de Saint-Malo a délivré à la SCI du Havre un permis de construire portant sur l'extension d'une habitation avec extension en un établissement hôtelier,
- l'arrêté du 27 septembre 2011 par lequel le maire de Saint-Malo a délivré à la SCI du Havre un permis de construire modificatif au permis du 4 novembre 2010,
- et les arrêtés rectificatifs du 26 juin 2013 du maire de Saint-Malo, par lesquels ce dernier a réitéré le permis de construire et le permis de construire modificatif mentionnés ci-dessus au bénéfice de la SCI du Havre.

Par un jugement n° 1101772, 1201247, 1304705 du 24 novembre 2014 le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 janvier 2015 et 25 avril 2016, MmeN..., M.E..., ainsi que M. B...I...et Mmes G...et C...I..., tous trois venant aux droits de M. L...I..., représentés par MeA..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 novembre 2014 ;

2°) d'annuler les arrêtés de permis de construire des 4 novembre 2010, 27 septembre 2011 et 26 juin 2013 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Saint-Malo et de la SCI du Havre le versement d'une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif n'a pas répondu à leur argumentation selon laquelle les permis de construire rectificatifs du 26 juin 2013 étaient irréguliers dès lors qu'ils procédaient au retrait des permis de construire antérieurs en l'absence de toute demande de la part du pétitionnaire ;
- les permis de construire du 4 novembre 2010 et du 27 septembre 2011 étaient entachés d'incompétence ;
- cette incompétence n'a pas été régularisée par les arrêtés rectificatifs du 26 juin 2013 ;
- la demande de permis de construire était incomplète au regard des articles R. 431-8, R. 431-9 et R 431-10 du code de l'urbanisme ;
- compte tenu du classement de l'immeuble en tant qu'élément du paysage à protéger en application du 7° de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, la démolition aurait dû être précédée d'un permis de démolir ou, à tout le moins, dans le cadre d'un permis de construire valant permis de démolir, d'une demande faisant apparaitre distinctement les parties de l'immeuble qu'il s'agissait de démolir ;
- l'article UE 2 du plan local d'urbanisme a été méconnu dès lors que le projet autorisé ne préserve nullement les caractéristiques du bâtiment protégé ;
- l'article UE 8 a été méconnu dès lors que le permis de construire modificatif, entaché d'incompétence, n'a pu régulariser le permis de construire initial sur ce point ;
- le permis méconnaît les prescriptions de l'article UE 11-III relatives aux îlots et immeubles faisant l'objet d'une protection au titre de l'article L. 123-1-7 ;
- les dispositions du III de l'article L. 146-4 ont été méconnues car le projet est situé dans la bande littorale de 100 mètres et en dehors d'un espace urbanisé ;
- les dispositions du I de l'article L 146-4 ont été méconnues car le projet ne correspond pas à une extension limitée de l'urbanisation, mais à une construction nouvelle déguisée ;
- le permis de construire méconnaît l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme : le projet vient créer un linéaire de façade de près de 44 mètres d'emprise au sol, lequel est en rupture complète avec l'urbanisation très diffuse et homogène implantée au bord du littoral.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 août 2015 et les 26 et 27 avril 2016, la SCI du Havre conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme N...et des autres requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 octobre 2015, la commune de Saint-Malo conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme N...et des autres requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :
- que la requête est irrecevable dès lors que les requérants n'ont pas joint à leur mémoire la copie du jugement attaqué ;
- qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant les requérants, de MeD..., représentant la commune de Saint-Malo, et de MeK..., représentant la SCI du Havre.

Une note en délibéré présentée pour la SCI du Havre a été enregistrée le 12 juillet 2016.


1. Considérant que par arrêté du 4 novembre 2010 le maire de Saint-Malo a délivré à la SCI du Havre un permis de construire autorisant, par l'extension d'une villa existante et après démolition d'un pavillon attenant, l'édification d'un hôtel-spa de dix chambres sur une parcelle située 15 avenue de la Guimorais dans le quartier de Rothéneuf ; que par arrêté du 27 septembre 2011 la SCI du Havre a obtenu un permis de construire modificatif réduisant notamment à neuf le nombre de chambres prévues ; que dans le but de régulariser le vice d'incompétence dont ils étaient entachés, ces deux permis de construire ont fait l'objet d'arrêtés dits rectificatifs, délivrés le 26 juin 2013 ; que MmeN..., M. E...ainsi que les consorts I...relèvent appel du jugement du 24 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes qu'ils avaient présentées à l'encontre de chacun de ces permis ;

Sur la fin de non recevoir opposée par la commune de Saint-Malo :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les requérants ont bien annexé à leur requête d'appel la copie du jugement qu'ils attaquent ; qu'ainsi la fin de non recevoir invoquée par la commune de Saint-Malo sur le fondement des dispositions de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ne peut qu'être écartée ;

Sur les conclusions à fins d'annulation, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des mémoires en défense :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions, alors en vigueur, du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme : " En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage " ; qu'un espace urbanisé au sens de ces dispositions s'entend d'un espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions ; que l'espace à prendre en considération pour déterminer si un projet de construction se situe dans un espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs des constructions est constitué par l'ensemble des espaces entourant le sol sur lequel doit être édifiée la construction envisagée ou proche de celui-ci ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est situé 15 avenue de Guimorais, dans la commune de Saint-Malo, à l'intérieur de la bande littorale de cent mètres définie par le III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme précité ; que si le compartiment situé entre l'avenue de la Guimorais et le rivage maritime est constitué de vastes parcelles dont chacune est construite, selon une densité au demeurant limitée, cette urbanisation va diminuant à l'est du terrain d'implantation du projet, cependant qu'on ne trouve au sud et au sud-est de la parcelle, de l'autre côté de l'avenue, aucune construction, mais un terrain aménagé pour un camping et de vastes espaces naturels ; que ce terrain, d'ailleurs classé par le plan local d'urbanisme de Saint-Malo en zone UE qualifiée par les auteurs de ce plan de " zone urbaine mixte, de densité moyenne ou faible " est éloigné du secteur aggloméré de Rothéneuf ; que la circonstance que l'ensemble des constructions de la bande littorale seraient desservies par l'avenue de la Guimorais est sans incidence sur cette qualification ; que de même la SCI du Havre n'est pas fondée à se prévaloir du fait que le terrain supporte déjà une construction, dès lors d'une part que le projet, qui conduit à supprimer 174 m² pour y ajouter 571 m², ne peut être qualifié d'extension et, d'autre part et en tout état de cause, que les extensions entrent dans le champ des dispositions précitées du III de l'article L. 146-4 au même titre que les constructions nouvelles ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'espace constitué par l'ensemble des espaces entourant le sol sur lequel doit être édifiée la construction envisagée ou proche de celui-ci ne peut être regardé comme un espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs des constructions ; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le terrain d'assiette du projet n'est pas situé dans un espace urbanisé au sens des dispositions précitées du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et que les permis attaqués méconnaissent en conséquence ces dispositions ;

6. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date d'approbation du plan local d'urbanisme applicable à la présente espèce : " Les plans locaux d'urbanisme comportent un règlement qui fixe, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durable, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols permettant d'atteindre les objectifs mentionnés à L. 121-1, qui peuvent notamment comporter l'interdiction de construire, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger et définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l'implantation des constructions./ A ce titre, ils peuvent : (...) 7° Identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection " ;

7. Considérant, d'une part, qu'il résulte des documents graphiques du plan local d'urbanisme de Saint-Malo qu'en application des dispositions qui viennent d'être citées les auteurs de ce plan ont identifié la villa construite sur le terrain d'assiette du projet comme " patrimoine bâti balnéaire compris dans un ilot remarquable ", lui rendant ainsi applicables les dispositions figurant au règlement du plan local d'urbanisme en faveur de tels immeubles ;

8. Considérant d'autre part, qu'aux termes du II de l'article UE2 du règlement : " Dispositions relatives aux immeubles faisant l'objet d'une protection au titre de l'article L. 123-1 7° : Sont autorisés : (...) 2) Les travaux d'aménagement ou constructions nouvelles dans les îlots faisant l'objet d'une prescription au titre de l'article L. 123.1.7 dès lors qu'ils peuvent être conçus dans le sens d'une préservation des caractéristiques culturelles ou historiques desdits îlots ou qu'ils ne portent pas atteinte à la perception générale de cet îlot ou qu'ils contribuent à restituer une des composantes de cet îlot " ; et qu'aux termes du III de l'article UE 11 du même règlement : " Dans le cadre d'un" élément bâti à protéger" au titre de l' article L 123.1.7 à moins qu'il s'agisse de restituer une des composantes d'origine dudit élément : 1) Sont interdits : a) Les modifications et suppressions du rythme entre pleins et vides, des dimensions, formes et position des percements, de la hiérarchie des niveaux de la façades et de sa ponctuation par la modénature, des éléments en saillie ou en retrait " ;

9. Considérant que le projet de la SCI du Havre consiste, sur un terrain comportant une villa d'habitation de 424 m² située au 15 avenue de la Guimorais, à démolir à concurrence de 174 m² deux annexes ainsi que l'une des marquises de cet immeuble, pour créer un établissement hôtelier de neuf chambres totalisant 821 m², grâce à plusieurs extensions du bâti venant créer une surface supplémentaire de 571 m² ; que l'extension principale est prévue, à l'est de l'édifice d'origine, par la création d'un volume perpendiculaire, qui lui est relié au moyen d'un bâtiment plus léger composé essentiellement de cuivre et de verre ; qu'une extension est également créée sur la façade mer en rez-de-chaussée de la maison existante ; que l'ensemble est encore étendu par la création, en forme de kiosque, d'une surface ensuite prolongée jusqu'au mur ouest en limite de propriété ;

10. Considérant qu'il ressort de l'ensemble des plans de la demande que l'une des marquises, partie intégrante de l'ensemble protégé, est destinée à être démolie ; que le bâtiment transformé présentera un linéaire de façade de 44 mètres en front de mer là où celui de l'ancienne villa, dont l'emprise sera minoritaire par rapport à celle du projet, se limitait à 15 mètres ; que le rez-de-chaussée de la villa balnéaire sera entièrement masqué, sur ses façades nord et sud, par les extensions prévues, faisant apparaître des modifications de l'implantation des ouvertures et du rythme de façade ; que le bâtiment de liaison dont il a été question plus haut comporte une galerie couverte qui s'élève jusqu'au faitage du bâtiment initial et vient en modifier la perspective ; qu'enfin la création d'un bâtiment en forme de kiosque, qui fait corps avec l'immeuble projeté et ne peut ainsi se réclamer des édifices anciens revêtant cette fonction de kiosque, s'inscrit en saillie de l'ancien pavillon ; que dans ces conditions les travaux autorisés par les permis en litige ne peuvent être considérées, par leurs caractéristiques, comme s'attachant à la préservation du patrimoine bâti balnéaire, mais auront pour effet de modifier substantiellement l'aspect et le volume de la villa balnéaire préexistante et de porter atteinte aux caractéristiques historiques ainsi qu'à la perception générale de l'îlot auquel elle appartient ;

11. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme N...et les autres requérants sont fondés à soutenir que le maire de Saint-Malo ne pouvait accorder les permis contestés sans méconnaître les dispositions précitées des articles UE2 et UE 11 du plan local d'urbanisme de cette commune ainsi que celles alors en vigueur du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ;

12. Considérant que pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens de la requête n'est susceptible, en l'état du dossier, de justifier l'annulation des arrêtés en litige ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que MmeN..., M. E...et les consorts I...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés de permis de construire accordés les 4 novembre 2010, 27 septembre 2011 et 26 juin 2013 par le maire de Saint-Malo à la SCI du Havre ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeN..., M. E...et M. et MmesI..., qui n'ont pas dans la présente instance la qualité de parties perdantes, la somme que demandent la commune de Saint-Malo et la SCI du Havre au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'une part de la commune de Saint-Malo et d'autre part de la SCI du Havre le versement aux requérants d'une somme de 1 000 euros au même titre ;

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 novembre 2014 et les arrêtés de permis de construire accordés les 4 novembre 2010, 27 septembre 2011 et 26 juin 2013 par le maire de Saint-Malo à la SCI du Havre sont annulés.
Article 2 : La commune de Saint-Malo, d'une part, et la SCI du Havre, d'autre part, verseront aux requérants une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...N..., à M. H...E..., à M. B...I..., à Mmes G...et C...I..., à la commune de Saint-Malo et à la SCI du Havre.
Délibéré après l'audience du 8 juillet 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 juillet 2016.


Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR

Le greffier,
C. GOY


La République mande et ordonne au ministre du logement et de l'habitat durable en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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N° 15NT00206



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