Cour Administrative d'Appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 19/05/2016, 15NC01255, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :

M. D...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le titre exécutoire du 22 avril 2013 par lequel la commune de Mondelange a mis à sa charge une somme de 52 614,69 euros.

Par un jugement n° 1302867 du 8 avril 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre exécutoire en tant qu'il excède la somme de 18 415,14 euros et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 juin 2015 et un mémoire enregistré le 18 avril 2016, M.D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1302867 du 8 avril 2015 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler le titre exécutoire du 22 avril 2013 dans son intégralité ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Mondelange une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. D...soutient que :
- le tribunal ne pouvait faire droit aux moyens de la commune dont le mémoire en défense était irrecevable ;
- les dispositions de l'article L. 1617-5-4° du code général des collectivités territoriales ont été méconnues ;
- le maire n'était pas compétent pour émettre le titre litigieux au regard de la créance en cause ;
- la prescription était acquise ;
- le montant restant à sa charge n'est pas justifié dès lors que les réceptions en cause et les dépenses exposées à cette occasion présentaient un intérêt communal dans le cadre d'une manifestation traditionnelle de la commune qui s'est poursuivie après le changement de municipalité.
Par un mémoire en observations enregistré le 28 septembre 2015, la commune de Mondelange représentée par Me A..., précise qu'elle n'entend pas produire de conclusions en défense.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
-le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Richard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour M. D...et de Me A...pour la commune de Mondelange.


Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt en date du 10 novembre 2005 à l'encontre duquel un pourvoi en cassation a été rejeté le 14 février 2007, la Cour d'appel de Metz, estimant que M. D...ancien maire de la commune de Mondelange, avait fait régler par celle-ci des frais afférents à des manifestations purement privées et a ainsi utilisé sciemment, à des fins étrangères à leur destination normale, des deniers publics a confirmé le jugement rendu le 27 janvier 2004 par le tribunal de grande instance de Thionville le déclarant coupable des faits de détournement de fonds publics, et le condamnant, en sus de la peine infligée au titre de l'action pénale, à payer à la commune une somme de 18 025,64 euros à titre de dommages et intérêts à raison des dépenses engagées à des fins personnelles lors de festivités organisées sous l'intitulé " l'anniversaire du maire ", au titre des années 1999 à 2001.


2. Par exploit d'huissier délivré le 18 décembre 2002, la commune de Mondelange a assigné M. B...D..., ancien maire de la commune, devant le tribunal de grande instance de Thionville aux fins de le faire condamner, sur le fondement des dispositions de l'article 1235 du code civil, à verser la somme de 52 614,69 euros en réparation du préjudice subi à raison des sommes versées par la commune dans le cadre de cérémonies annuelles alors intitulées " anniversaire du maire " entre 1988 et 1998. Par un jugement du 7 avril 2006, le tribunal de grande instance s'est déclaré incompétent pour connaître de cette demande au motif qu'elle relevait de la compétence des juridictions de l'ordre administratif au regard de la nature des rapports en cause entre la commune et son ancien maire (TC du 21 janvier 1985 n°02332).


3. A la suite de ce jugement, le maire de la commune de Mondelange a émis le 28 août 2009 un titre exécutoire à l'encontre de l'ancien maire portant sur un montant de 52 614,69 euros correspondant au remboursement des sommes versées par la commune pour l'organisation de ces cérémonies.


4. Après l'annulation de ce titre irrégulier en la forme par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 octobre 2011, le maire a émis un nouveau titre daté du 22 avril 2013 fondé sur le même motif et portant sur le même montant.


5. M. D...demande la réformation du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a laissé à sa charge une somme de 18 415,14 euros.


Sur la légalité du titre de recettes :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2543-9 du code général des collectivités territoriales applicable aux communes des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : " Le maire délivre les titres de recettes et les mandats de dépenses".


7. Lorsqu'une commune entend affirmer l'existence d'une créance à l'égard d'un tiers, il lui appartient, en dehors du cas des créances contractuelles, d'émettre un titre de recettes. Le fondement de la créance ainsi constatée doit cependant se trouver dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles du débiteur (CE 29 juin 2005 n° 265958).


8. Il résulte de l'instruction que le titre litigieux a été émis par le maire de la commune de Mondelange au regard des obligations quasi délictuelles de M. D...découlant de l'utilisation de fonds publics à des fins privées opérée à l'encontre de la commune à l'occasion de la cérémonie annuelle de son anniversaire organisée entre 1988 et 1998. Le moyen tiré de ce que le maire de Mondelange ne pouvait pas émettre de titre exécutoire pour recouvrer la créance communale doit ainsi être écarté comme non fondé.


9. En deuxième lieu, aux termes l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 dispose notamment que : " Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction en vigueur à la date de l'émission du titre en litige : " (...) 4° Une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable sous pli simple. (...) En application de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis (...) / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation (...) ".


10. Le titre litigieux produit par M. D...à l'appui de ses écritures comporte les mentions des nom, prénom et qualité de l'ordonnateur, soit le maire de Mondelange, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 mentionnées à l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales. Il résulte également de l'instruction que le bordereau correspondant comporte la signature du maire. Le moyen tiré de ce que le titre exécutoire du 22 avril 2013 méconnaît les dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ne peut donc qu'être écarté.


11. En troisième lieu, M. D...soutient que la créance de la commune à son encontre était prescrite compte tenu des dispositions de l'article 2270-1 du code civil.


12. Aux termes de l'ancien article 2270-1 du code civil abrogé par la loi du 17 juin 2008: " Les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ". Aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa version issue de la même loi : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". L'article 2222 du même code dispose : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".


13. En outre, il résulte des dispositions de l'article 2231 du même code que : " l'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ". Par ailleurs, selon les termes de l'article 2232 du même code : " Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ". Aux termes de l'article 2242 du même code : " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ".

14. Enfin, aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ".


15. Il résulte de l'instruction que la commune n'a introduit son action tendant à la condamnation de M. D...à lui verser la somme de 52 614,69 euros devant le tribunal de grande instance de Thionville que le 18 décembre 2002. M. D...est ainsi fondé à soutenir qu'au regard des dispositions de l'article 2270-1 du code civil applicables à l'espèce et compte tenu de la nature extra-contractuelle de la créance en cause, la commune ne pouvait lui demander de rembourser les sommes correspondant aux dépenses effectuées à hauteur de 17 058,08 euros au titre des années antérieures à l'année 1993 pour l'organisation des cérémonies de l'anniversaire de M. D...le 24 janvier de chaque année.


16. En revanche, cette assignation de la commune de Mondelange devant le tribunal de grande instance a eu pour effet d'interrompre le délai qui lui était ouvert aux fins d'engager l'action en responsabilité quasi délictuelle à l'encontre de M. D...pour obtenir la réparation du dommage découlant, à compter de l'année 1993, du financement indu de cérémonies organisées par celui-ci à des fins étrangères à l'intérêt public communal.


17. Un nouveau délai de dix ans étant ouvert au bénéfice de la commune à compter du jugement d'incompétence rendu par le tribunal de grande instance de Thionville du 7 avril 2006 sur cette action, il s'ensuit qu'à la date du 19 juin 2008, soit la date d'entrée en vigueur de la loi portant réforme de la prescription en matière civile, la créance objet du titre de recettes litigieux n'était pas atteinte par la prescription décennale de l'article 2270-1 du code civil. Par ailleurs, le délai de prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, applicable à compter du 19 juin 2008, n'était pas expiré à la date à laquelle le titre de recettes a été émis, soit le 22 avril 2013. Enfin et dès lors que la durée totale de la prescription n'excède pas, conformément aux dispositions de l'article 2222 précité, celle de 10 ans prévue antérieurement, M. D...n'est pas fondé à soutenir que l'ensemble des créances litigieuses était prescrit au jour de l'émission du titre de recettes.


18. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 11 à 17 et des tableaux récapitulatifs des dépenses exposées annuellement produits au dossier, M. D...est fondé à soutenir que la créance de 52 614,69 euros était prescrite, pour les années 1988 à 1992 à hauteur de 17 058,08.


19. En dernier lieu, M. D...soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a fixé à 35% la part des dépenses qui auraient été exposées dans son intérêt personnel dès lors que ces dépenses relatives aux cérémonies d'" anniversaire du maire " organisées annuellement courant janvier dans la commune entre 1988 et 1998 conservaient un lien avec l'exercice de ses fonctions de maire et revêtaient un intérêt communal. Il indique également que le juge administratif n'est tenu ni par la qualification juridique qui a été retenue par le tribunal de grande instance pour qualifier ses agissements et le condamner au titre de l'action pénale et civile ni par celle de la Cour d'appel de Metz par son arrêt du 10 novembre 2005 à l'encontre duquel le pourvoi en cassation a été rejeté, énonçant également que M. D..." ordonnateur des dépenses de la commune a fait régler par celle-ci des frais afférents à une manifestation purement privée et a utilisé ainsi sciemment à des fins étrangères à leur destination normale des deniers publics ". M. D...fait valoir que la créance n'est pas fondée et que c'est à tort que le tribunal n'a pas annulé le titre litigieux dans son intégralité.


20. Il résulte toutefois de l'instruction que ces cérémonies initiées sous cette forme par M. D...et financées par la commune de Mondelange, qui s'ajoutaient d'ailleurs à de nombreuses autres cérémonies communales telles que les cérémonies " des voeux " ou de " la galette des rois ", présentaient un caractère purement privé dès lors qu'elles visaient clairement à célébrer l'anniversaire de ce dernier, dans son propre intérêt, avec remise d'un cadeau et d'un film souvenir sans que l'intéressé puisse dénier ce caractère privé en se bornant à indiquer que les crédits budgétaires destinés à financer les cérémonies publiques communales étaient régulièrement votés par le conseil municipal ou qu'il avait également invité, pour participer à cette manifestation organisée à son initiative et en son honneur, des partenaires institutionnels habituels comme le trésorier de la commune alors en fonction ou encore les membres du personnel communal. Ainsi, en l'absence de tout intérêt public propre à l'organisation de ces cérémonies d'anniversaire, le titre litigieux trouve son fondement dans les obligations quasi délictuelles de M. D...à l'égard de la commune.


21. Par ailleurs, M. D...ne peut pas utilement se prévaloir de la circonstance que le mémoire en défense a été jugé irrecevable par le tribunal administratif de Strasbourg pour contester le bien fondé de la créance litigieuse.


22. Dans ces conditions, M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a fixé à 35% la part des dépenses devant rester à sa charge, ce taux n'étant pas contesté par la commune qui n'a pas formé d'appel incident à l'encontre du jugement litigieux.


23. En conclusion de tout ce qui précède et compte tenu du montant initial du titre exécutoire de 52 614,69 euros, de la somme de 17 058,08 euros correspondant aux dépenses de la période 1988-1992 visées par la prescription, il y a lieu de déterminer le montant de la créance communale en appliquant le taux de 35% aux sommes non prescrites de 35 556,61 euros. M. D...est donc seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg n'a pas annulé le titre de recette en tant qu'il excède le montant de 12 444,81 euros.


Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. D...présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le titre de recette est annulé en tant qu'il excède la somme de 12 444,81 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D...et à la commune de Mondelange.
Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques de Moselle.
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N° 15NC01255



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