COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON, 1ère chambre - formation à 3, 14/06/2016, 14LY02741, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile de construction vente (SCCV) Les Balcons de l'Arly a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
- d'annuler l'arrêté du 17 septembre 2012 par lequel le maire de la commune de Crest-Voland a opposé un sursis à statuer à sa demande de permis de construire modificatif déposée le 3 avril 2008 ;
- d'enjoindre à la commune de Crest-Voland de réexaminer sa demande de permis de construire modificatif.

Par un jugement n° 1205907 du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et a enjoint au maire de Crest-Voland de statuer de nouveau sur la demande de permis de construire modificatif de la SCCV Les Balcons de l'Arly en faisant application des dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 août 2014, la commune de Crest-Voland demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 juillet 2014 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la demande de la SCCV Les Balcons de l'Arly devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de la SCCV Les Balcons de l'Arly le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la demande de la SCCV Les Balcons de l'Arly est irrecevable, dès lors qu'elle a été introduite par une personne n'ayant pas qualité pour la représenter, et que cette irrégularité ne pouvait plus être couverte après l'expiration du délai de recours contentieux ; elle est également irrecevable au motif que la décision contestée est purement confirmative des deux décisions de sursis à statuer prises les 22 et 23 mai 2012 ;
- la demande de permis modificatif est en tout état de cause vouée au rejet dès lors qu'à la date à laquelle il a été sollicité, le permis de construire initial délivré le 12 avril 2007 était devenu caduc ;
- la décision de sursis à statuer contestée est légalement fondée, dès lors que le 11 avril 2008, le conseil municipal avait pris une délibération prescrivant l'élaboration du plan local d'urbanisme ; antérieurement à la décision du 12 novembre 2008 refusant la délivrance d'un permis de construire à la société intimée, annulée par jugement du 23 février 2012, la commune avait déjà envisagé, de classer en emplacement réservé, pour la réalisation de la voirie, les terrains sur lesquels cette société envisageait son projet de construction.

Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2014, la SCCV Les Balcons de l'Arly conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la commune de Crest-Voland le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- à titre principal, le recours de la commune est irrecevable, le maire ne justifiant pas d'une habilitation par le conseil municipal à ester en justice au nom de la commune ;
- à titre subsidiaire, les moyens de la commune appelante sont infondés.

Par une ordonnance du 12 octobre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 6 novembre 2015, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lévy Ben Cheton,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant CDMF- Avocats affaires publiques, avocat de la SCCV Les Balcons de l'Arly.


1. Considérant que le 12 avril 2007, le maire de la commune de Crest-Voland a délivré un permis de construire au groupe B...Loisirs pour la réalisation d'une résidence de tourisme au lieudit La Cottuaz ; que ce permis a été transféré à la société civile de construction vente (SCCV) Les Balcons de l'Arly par arrêté du 24 juillet 2007 ; que cette société a déposé, le 4 avril 2008, une demande de permis de construire modificatif qui a été rejetée le 12 novembre 2008 ; que, par un jugement du 23 février 2012, le tribunal administratif de Grenoble a, d'une part, annulé cette décision et, d'autre part, enjoint au maire de Crest-Voland de réexaminer la demande de la SCCV Les Balcons de l'Arly dans un délai de trois mois à compter de la notification de son jugement ; qu'en exécution de cette injonction, le maire de Crest-Voland a décidé de surseoir à statuer sur cette demande par des décisions des 22 et 23 mai 2012 ; que la SCCV Les Balcons de l'Arly a, par trois courriers distincts du 16 juillet 2012 reçus en mairie le 18 juillet 2012, d'une part, demandé le retrait des décisions des 22 et 23 mai 2012 et, d'autre part, sollicité, sur le fondement des dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, le réexamen de sa demande de permis modificatif au regard des dispositions d'urbanisme applicables à la date du 12 novembre 2008 ; que par arrêté du 17 septembre 2012, le maire de Crest-Voland lui a opposé un nouveau sursis à statuer que, par un jugement du 4 juillet 2014, dont la commune fait appel, le tribunal administratif de Grenoble a annulé, enjoignant en outre au maire de Crest-Voland de statuer de nouveau sur la demande de la société pétitionnaire dans un délai de deux mois en faisant application des dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ;

Sur les fins de non recevoir opposées par la commune de Crest-Voland à la demande de première instance :

2. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article 1849 du code civil, rendu applicable aux sociétés civiles de construction vente par les articles L. 210-1 et L. 211-1 du code de la construction et de l'habitation, dans ses rapports avec les tiers, le gérant d'une société civile engage la société par les actes entrant dans l'objet social de la société ; qu'aux termes de l'article 1852 du même code : " Les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés " ; que ces dispositions confèrent au gérant d'une société civile immobilière qualité pour la représenter en justice ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 9 octobre 2012, l'assemblée générale de la SCCV Les Balcons de l'Arly a mandaté M.B..., en qualité de gérant de la société Panoramic, elle-même gérante de la SCCV, pour contester l'arrêté en litige ; que la qualité pour agir du représentant de la personne requérante pouvant être couverte à tout moment de l'instance, la circonstance que cette habilitation a été produite devant le tribunal administratif le 15 juillet 2013, après l'expiration du délai de recours contentieux, n'a pu faire obstacle à la régularisation de la recevabilité de la demande ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. " ;

5. Considérant qu'en exécution du jugement du 23 février 2012, dont il n'a pas été fait appel, annulant le refus de délivrer un permis modificatif opposé à la SCCV Les Balcons de l'Arly le 12 novembre 2008, et enjoignant au maire de Crest-Voland d'instruire à nouveau cette demande dans un délai de trois mois en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, ce dernier a décidé, par arrêté du 23 mai 2012 pris au nom de la commune, de surseoir à statuer sur cette demande compte-tenu notamment de ce que le projet serait de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme (PLU), alors en cours d'élaboration ; qu'à cette date, le maire, qui n'avait pas encore été saisi par la société pétitionnaire d'une confirmation de sa demande de permis modificatif, était par conséquent tenu de faire application de l'état du droit en vigueur à la date de sa décision ; que toutefois, le 18 juillet 2012, la SCCV Les Balcons de l'Arly a, dans le délai de six mois prévu à l'article L. 600-2, confirmé sa demande de permis de construire modificatif, afin de bénéficier de ces dispositions ; que cette confirmation faisait obligation au maire d'instruire à nouveau cette demande, en faisant alors application des dispositions d'urbanisme applicables le 12 novembre 2008, date du refus annulé par le jugement du 23 février 2012 ; que dans ces conditions, l'arrêté contesté du 17 septembre 2012, par lequel le maire de Crest-Voland lui a opposé un nouveau sursis à statuer, doit être regardé comme s'étant substitué à sa décision du 23 mai 2012 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la commune, il n'est pas confirmatif de cette dernière, et fait, en outre, grief à son destinataire, qui est ainsi recevable à en demander l'annulation au juge de l'excès de pouvoir ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la commune à la demande devant le tribunal administratif ne peuvent être accueillies ;

Sur la légalité de la décision contestée :

7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire, d'aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue " ; qu'aux terme de l'article R. 424-19 du même code : " En cas de recours devant la juridiction administrative contre le permis ou contre la décision de non-opposition à la déclaration préalable ou de recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité prévu à l'article R. 424-17 est suspendu jusqu'au prononcé d'une décision juridictionnelle irrévocable. " ;

8. Considérant que s'il est constant que les travaux autorisés par le permis de construire initial délivré le 12 avril 2007, qui a été transféré à la SCCV Les Balcons de l'Arly par arrêté du 24 juillet 2007, n'ont reçu aucun commencement d'exécution, cette autorisation était toutefois en cours de validité lorsque, le 4 avril 2008, un permis modificatif a été sollicité ; qu'en application des dispositions de l'article R. 424-19 du code de l'urbanisme, le délai de validité de cette autorisation a été suspendu du 3 avril 2009, date de saisine du tribunal administratif, jusqu'à l'expiration du délai d'appel ouvert à l'encontre du jugement du 23 février 2012 ; qu'ainsi, la commune appelante n'est pas fondée à soutenir que le permis qu'elle avait initialement accordé était devenu caduc lorsque, le 18 juillet 2012, a été confirmée, au titre de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, la demande de permis de construire modificatif du 4 avril 2008, de laquelle, au demeurant, elle ne se distingue pas ;





9. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-7, alors en vigueur, du code de l'urbanisme, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 102-13, : " Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus par les articles (...) L. 123-6 (dernier alinéa) (...) du présent code (...) " ; qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 123-6 du même code, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 153-11 : " A compter de la publication de la délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, l'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 111-8, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan. " ;

10. Considérant que si l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ne fait pas obstacle, par lui-même, à ce que la demande de permis de construire confirmée par le pétitionnaire dans les conditions qu'il prévoit fasse l'objet du sursis à statuer prévu par l'article L. 111-7 du même code, le prononcé de ce sursis ne peut être fondé, dans une telle hypothèse, sur la circonstance que la réalisation du projet de construction litigieux serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution d'un plan local d'urbanisme intervenu postérieurement à la date de la décision de refus annulée, dès lors que cette circonstance, qui repose sur l'anticipation de l'effet que les règles futures du plan local d'urbanisme auront sur l'autorisation demandée, ou celle-ci sur leur mise en oeuvre, ne pourrait motiver un nouveau refus ou l'édiction de prescriptions spéciales portant sur le permis demandé sans méconnaître les dispositions de l'article L. 600-2 ;

11. Considérant que la décision contestée, qui vise la délibération du conseil municipal du 11 avril 2008 prescrivant l'élaboration du plan local d'urbanisme (PLU), fonde le sursis à statuer qu'elle prononce sur la seule circonstance de la " modification de l'emplacement de la résidence de tourisme sur le secteur de La Cottuaz prévue dans le projet de PLU " ; qu'aucune des pièces du dossier ne témoigne d'un état suffisamment avancé du futur plan local d'urbanisme à la date du 12 novembre 2008, à laquelle il convient d'apprécier le degré d'avancement des règles futures dont l'élaboration venait d'être prescrite ; que, notamment, aucune des pièces produites au dossier ne permet d'attester que l'emplacement réservé à une voie publique aurait été, dès cette époque, envisagé dans le secteur d'implantation du projet litigieux ; que, de même, le document intitulé " orientations d'aménagement et de programmation ", qui fixe notamment pour objectif " une urbanisation cohérente du secteur de La Cottuaz ", fait état d'une enquête publique conduite durant l'année 2012, et semble avoir été approuvé le 14 février 2013 ; que, compte-tenu de ces éléments, le maire ne pouvait légalement décider de surseoir, comme il l'a fait par la décision contestée du 17 septembre 2012, à la demande de permis modificatif dont il se trouvait ressaisi au titre des dispositions de l'article L. 600-2, par la SCCV Les Balcons de l'Arly ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par la société intimée, la commune de Crest-Voland n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de la société Les Balcons de l'Arly ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCCV Les Balcons de l'Arly, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Crest-Voland au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Crest-Voland une somme de 1 500 euros en application de ces dispositions, au titre des frais exposés par la SCCV Les Balcons de l'Arly ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Crest-Voland est rejetée.
Article 2 : La commune de Crest-Voland versera la somme de 1 500 euros à la SCCV Les Balcons de l'Arly au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Crest-Voland et à la SCCV Les Balcons de l'Arly.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2016, à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Lévy Ben Cheton, premier conseiller,
Mme Vaccaro-Planchet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2016.
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N° 14LY02741
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