CAA de DOUAI, 1re chambre - formation à 3, 19/05/2016, 14DA01418, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 18 octobre 2011 par laquelle le conseil municipal de la commune de Grande-Synthe a autorisé le maire à vendre une parcelle cadastrée section BE n° 397 située rue Allende sur le territoire de la commune au centre culturel et cultuel du Jardin de l'Eveil et de la Vertu (CJEV).

Par un jugement n° 1107079 du 5 juin 2014, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 août 2014, et des mémoires, enregistrés les 3 novembre 2014 et 21 septembre 2015, M. B...A..., représenté par Me F...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 18 octobre 2011 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette délibération ;

3°) d'annuler la vente de ce terrain ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Grande-Synthe la somme de 4 000 euros à verser à Me F...D..., son avocat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- la requête d'appel n'est pas tardive et est suffisamment motivée ;
- les conseillers municipaux n'ont pas été convoqués dans les formes et le délai prescrit par le code général des collectivités territoriales ;
- son droit à l'information prévu par les articles L. 2121-12 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales a été méconnu ;
- la motivation de la délibération ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 2241-1 du même code ;
- le terrain appartient au domaine public communal ;
- la délibération est entachée d'une erreur manifeste sur l'appréciation de l'intérêt public local ;
- la cession, qui revient à subventionner un culte, méconnaît la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- elle est entachée de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2015, la commune de Grande-Synthe représenté par Me E...C..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la requête d'appel est tardive et non motivée ;
- le juge administratif est incompétent pour annuler la vente d'un terrain appartenant au domaine privé de la commune ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 février 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mars 2016.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 septembre 2014 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi du 9 décembre 1905 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Christian Bernier, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
- et les observations de Me E...C..., représentant la commune de Grande-Synthe.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 18 octobre 2011 :

En ce qui concerne la légalité externe :

1. Considérant que l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est adressée par écrit, au domicile des conseillers municipaux ou, s'ils en font la demande, envoyée à une autre adresse ou transmise de manière dématérialisée. " ; que l'article L. 2121-12 du même code fixe un délai de convocation de cinq jours francs ;

2. Considérant que la convocation, assortie de l'ensemble des documents utiles, a été adressée par courrier au domicile de M.A..., le 13 octobre 2011 ; que, d'une part, les services de la commune n'ont pas tenu compte de la demande du 30 août 2008 par laquelle M. A...indiquait souhaiter recevoir les convocations aux réunions du conseil municipal par courrier électronique ; que, toutefois, la communication non dématérialisée n'a pas fait obstacle à l'exercice du mandat de l'élu ; qu'il est, d'autre part, constant que l'intéressé n'a disposé que d'un délai de quatre jours et non du délai légal de cinq jours francs ; qu'il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que ce délai un peu plus court aurait, en l'espèce, été insuffisant pour lui permettre de prendre utilement connaissance du projet, préparer cette séance et exercer son mandat ; que, dès lors, l'absence de respect du délai fixé par l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales n'a pas privé M. A...d'une garantie et n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. " ;

4. Considérant que la délibération autorise la vente du terrain " cadastré section BE n° 397 partie pour 1 441m² " ; que si la délibération ne précisait pas que la parcelle de 1 441 m² n'était qu'une partie de la parcelle cadastrée BE n° 397 d'une superficie totale de 6 078 m² et qu'à la date de la décision du conseil municipal, la division de la parcelle n'était pas encore intervenue, les indications portées à la connaissance du conseil municipal étaient cependant suffisantes pour que les élus puissent identifier la parcelle concernée et mesurer la portée de l'aliénation autorisée ; que la circonstance que la division parcellaire ne soit formellement intervenue que le 16 janvier 2012 est, dès lors, sans influence sur la légalité de la délibération ; que, par suite, les dispositions de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales n'ont pas été méconnues ;

5. Considérant qu'en vertu du troisième alinéa de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales : " Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. (...) " ;

6. Considérant que la délibération du 18 octobre 2011, conforme au projet soumis au conseil municipal, mentionne les références cadastrales de la parcelle, sa situation sur le territoire de la commune, son prix de cession et l'avis des domaines sur ce prix, les conditions de la vente et le nom de l'acquéreur ; que dès lors, elle est suffisamment motivée au regard des dispositions précitées du troisième alinéa de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales ;

En ce qui concerne la légalité interne :

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public " ;

8. Considérant que la parcelle BE n° 397, constituée d'une pelouse, n'est pas affectée à l'usage direct du public ; qu'elle n'est pas davantage affectée à un service public et ne comporte pas d'aménagement particulier ; que si M. A...fait valoir que la parcelle est traversée par un chemin goudronné qui facilite l'accès des élèves à un établissement scolaire, cet aménagement, dont il est constant qu'il ne relève pas de la voirie communale, se situe, en tout état de cause, en dehors du terrain qui fait l'objet de la cession ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la parcelle en cause fait partie du domaine public de la commune de Grande-Synthe et qu'elle serait de ce fait inaliénable, faute d'avoir été préalablement déclassée ;

9. Considérant que la parcelle litigieuse, qui appartient au domaine privé communal, a été vendue au prix du marché correspondant à l'évaluation des domaines ; que si M. A...fait valoir qu'il aurait été préférable que les associations cultuelles musulmanes de la commune s'accordent sur la construction d'un seul lieu de culte, ces considérations sont sans influence sur la légalité de la décision ; qu'il ne ressort pas ainsi des pièces du dossier que l'intérêt communal aurait été, en l'espèce, manifestement méconnu ;

10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'avis des domaines, que la vente a été conclue au prix du marché ; qu'elle ne constitue donc ni une libéralité, ni une aide financière ;

11. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes " ; que le dernier alinéa de l'article 19 de la même loi prévoit que les associations cultuelles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions notamment des communes ;

12. Considérant que la délibération attaquée se borne à céder au prix du marché un terrain à une association cultuelle ; que, par suite, elle ne constitue pas une subvention à un culte, prohibée par les dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 ;

13. Considérant qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'en prononçant cette cession, la commune de Grande-Synthe a entendu favoriser une association cultuelle musulmane aux dépends d'une autre ; que la vente d'un terrain du domaine privé au prix du marché à une association qui en a fait la demande ne présente pas par elle-même de caractère discriminatoire ;

14. Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas davantage établi ;


Sur les conclusions tendant à l'annulation de la vente :

15. Considérant qu'une délibération par laquelle le conseil municipal d'une commune décide du principe et des modalités d'une vente d'un terrain appartenant au domaine privé de la collectivité, est un acte administratif dont il appartient à la juridiction administrative de connaître ; qu'en revanche, la vente par la commune d'un bien faisant partie de son domaine privé est un contrat de droit privé ; que le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de cet acte de droit privé et en prononcer l'annulation ;

16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. A...tendant à l'annulation de la vente de la parcelle doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense par la commune, que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 18 octobre 2011 ;


Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

18. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par le conseil de M.A..., partie perdante ; que, dans les circonstances de l'espèce, il ya lieu de mettre à la charge de M. A...la somme de 500 euros à verser à la commune de Grande-Synthe sur le même fondement ;



DÉCIDE :



Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.


Article 2 : M. A...versera la somme de 500 euros à la commune de Grande-Synthe sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à la commune de Grande-Synthe et à Me F...D....





Délibéré après l'audience publique du 4 mai 2016 à laquelle siégeaient :


- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Christian Bernier, président-assesseur,
- M. Hadi Habchi, premier conseiller.


Lu en audience publique le 19 mai 2016.


Le président-rapporteur,
Signé : C. BERNIERLe premier vice-président de la cour,
Président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chacun en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.


Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Sylviane Dupuis
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N°14DA01418 2



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